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mardi, 31 mai 2005

Houellebecq hors-série

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Hors-Série HOUELLEBECQ
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DVD EXCLUSIF


En avant-première de la parution de son nouveau roman, La Possibilité d’une île le 1er septembre, Les Inrockuptibles publient un hors-série exceptionnel sur Michel Houellebecq accompagné d’un DVD exclusif avec 1 h 40 d’entretien réalisé en avril 2005 ainsi que son film érotique : La Rivière.

Au programme de ce hors-série de 100 pages :
> La place de Houellebecq dans la littérature en France en 2005
> L’ « abécédaire Houellebecq » ou le lexique de son univers.
> Houellebecq vu par ses différents éditeurs
> Houllebecq vu de l’étranger : témoignage de Julian Barnes
> Houellebecq et le cinéma
> L’intégrale des interviews parues dans Les Inrockuptibles
> Les chroniques de Houellebecq écrites pour Les Inrockuptibles à la fin des années 90.
> Reportage sur l’adaptation de Plateforme à l’ICA de Londres, fin 2004
> Bibliographie complète et portfolio inédit réalisé par Houellebecq lui-même.

+ DVD EXCLUSIF :
> Interview vidéo exclusive d’1 H 40 réalisée en avril 2005 sur ses terres en Espagne : retour sur l’ensemble de sa vie et de son œuvre à travers 10 chapitres correspondant aux 10 livres-clés de sa carrière.
> Court-métrage érotique de 16 minutes, réalisé par Michel Houellebecq en 2002 : La Rivière.

En kiosque (12 €)
En partenariat avec I Télé et France Culture

*

Un bel objet, assurément, de quoi ravir les fans de Houellebecq. Belle mise en page, superbes photos, iconographie, interviews intéressantes (notamment celles de ses éditeurs Bulteau, Nadeau, Sorin), repères chronologiques, quelques articles de fond. Un DVD propose un long entretien avec l’auteur, réalisé en Espagne, qui revient sur chacun des livres publiés.
Et pourtant, la déception s’installe et perdure devant un certain manque de consistance, la plupart des articles reproduits ont déjà été publiés dans Les Inrocks, critiques de livres ou contributions de MH au magazine.
De l'entretien de 100 minutes, entrecoupé de silence, d'hésitations, (dans lequel Houellebecq reste conforme à l'image qu'il a créée ou qu'il a laissé créer, habillé en Deschien, fumant cigarette sur cigarette sur cigare placés entre l'index et l'annulaire, air gêné, "médiatique en étant anti-médiatique", comme le souligne Julian Barnes), on apprend peu de choses : sa foi en la science, qui fait avancer la Vérité ; sa certitude de la fin inéluctable des religions, qu'il considère comme "triste", l'homme ayant troqué son espoir en une vie éternelle pour un désespoir du néant ; son refus d'être taxé de réactionnaire, car il croit en l'irréversibilité des choses et ne se pose pas la question de savoir si c'était mieux avant, tandis que le réactionnaire veut un retour vers un âge d'or.
La question reste entière : comment et surtout pourquoi Michel Houellebecq est-il devenu l'auteur français le plus reconnu, le plus traduit dans le monde ? Que l'auteur lui-même n'ait pas toutes les clés, rien de plus normal, la création devant se faire largement en aveugle, au revers d'une certaine opacité de la pensée - mais il manque encore (à ma faible connaissance) et malgré un texte intéressant de ce hors-série signé Marc Weitzmann, des études et des critiques puissantes de ce phénomène unique, que l'on ne peut réduire - comme le font certains lecteurs rapides - à la seule dimension sociologique. Que Houellebecq soit le meilleur observateur de l'homme moyen de son temps ne suffit pas à expliquer la dimension de son œuvre et sa résonance auprès de ses lecteurs. J. G. Ballard nous dit à quel point il a été impressionné par Les Particules élémentaires : « Je pense que c’est le principal, chez Houellebecq, ce qui explique qu’il est un vrai original : vous vous souvenez de ce qu’il écrit. Il mord profondément, et il ne lâche pas prise. La plupart des écrivains, malheureusement, sont complètement oubliables. Vous oubliez ce qu’ils racontent au moment même où vous les lisez. Houellebecq apporte des nouvelles, alors vous vous asseyez, et vous faites attention. »
L’un des plus grands cinéastes français, Maurice Pialat, avait d’ailleurs mesuré l’importance de cette œuvre. Ayant d’abord songé à adapter Extension du domaine de la lutte (les droits étaient malheureusement déjà vendus), il avait ensuite prévu d’adapter Les Particules élémentaires, mais la maladie l’empêcha de réaliser ce projet.

20:55 Publié dans Lectures | Lien permanent

samedi, 28 mai 2005

L'album de Monsieur K.

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Invité à s'épancher sur le divan, Monsieur K. refusa de se séparer de son Journal et demeura bouche close.

Gérard Bertrand, artiste inventeur d'images, nous propose sur son site une série de 16 photographies, "L'Album de Monsieur K."
"Et si l'ami Max Brod ne s'était pas contenté de sauver des flammes les petits cahiers bleus. S'il avait, malgré l'interdiction, conservé aussi un mince album de seize photographies ? Et ce serait cet album qui serait présenté ici. Un album de photographies improbables où Franz Kafka (Monsieur K.) apparaîtrait dans des lieux et approcherait des personnages qu'il aurait pu (ou qu'il n'aurait jamais dû) rencontrer. Une vie rêvée en sorte. Un hommage, de toute façon."

Un voyage dans le temps et dans l'imagination, des scènes irréelles mais d'une secrète cohérence. Les éclairages, les compositions, les atmosphères et le ton sépia ont été choisis pour restituer au mieux le climat de cauchemar tranquille et d'horreur ouatée qui baigne les écrits de Kafka. Le regard admiratif que porte Gérard Bertrand sur le génial écrivain qui hanta la Ruelle d'Or de Prague n'exclut pas la distance, une ironie respectueuse que n'eût pas reniée l'auteur du Procès.

jeudi, 26 mai 2005

La fureur des blogs littéraires

Dans Le Nouvel Observateur de cette semaine (26 mai - 1er juin), Anne Crignon livre un article sur les blogs littéraires :
http://www.nouvelobs.com/articles/p2116/a269263.html
Une étude assez chaleureuse qui est une première reconnaissance de l'importance des blogs littéraires, et de la qualité de certains d'entre eux, même si, précise-t-elle, "le meilleur voisine avec le pire".
Dans son choix, j'ai retenu 3 blogs qui sont pour moi parmi les meilleurs du moment :
Du coq à l'âne
Stalker, Dissection du cadavre de la littérature
Christian Cottet-Emard


vendredi, 20 mai 2005

Louis Pize (1892 – 1976)

Ardéchois de naissance (Bourg Saint-Andéol, 18 mai 1892), Louis Pize, après des études secondaires au lycée de Tournon, vint à Lyon pour préparer une licence en droit.
D’abord clerc d’avoué, il quitta cette carrière pour l’enseignement : de 1924 à 1964, il fut professeur de lettres dans divers établissements privés dont l’externat Saint-Joseph de Lyon. Son oeuvre reconnue comptant notamment une quinzaine de recueils se vit couronnée par le Grand Prix des Poètes français en 1970. Il était l’ami de Francis Jammes et de Patrice de la Tour du Pin.



Sous l’yeuse et le pin

Sombre enclos traversé de rayons éclatants,
Les fuseaux des cyprès m’ouvrent ton labyrinthe.
J’avance et tout à coup m’enveloppe l’étreinte
Amère et douce du printemps.

Dans le ciel qui brasille un peuple d’oiseaux chante.
Ceux qui dorment tout près ne les entendent pas.
Sous l’yeuse et le pin, ma jeunesse, là-bas,
Repose à l’ombre de la pente.

In Le bois des adieux


*

Strophes, vous êtes un reflet
Bref et changeant des heures.
Mais le plaisir, las ! des meilleures,
Où s’est-il envolé ?

Dans le sombre azur que divise
Le cèdre aux glaives noirs,
Dans le clair silence des soirs
Que balançait la brise ?

Ainsi l’heure qui va finir
Souffle un peu de lumière.
Toutes nous blessent. La dernière
Eteint le souvenir.

In Le bois des adieux

samedi, 07 mai 2005

Une tigresse

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Une tigresse, à la poursuite du chasseur qui lui a dérobé son petit, est trompée par sa propre image reflétée dans un miroir.

Physiologus
Cambrai, vers 1270-1275
Douai, Bibliothèque municipale, ms. 711, fol. 2

20:50 Publié dans Bestiaire | Lien permanent

mercredi, 04 mai 2005

Le café de la gare de Quincieux-Trévoux

Les dimanches d’été vers dix-sept heures, le père enfilait une chemise propre, une salopette propre, se coiffait d’une casquette propre, changeait ses bottes pour des mocassins et proposait à Jacques d’aller boire une bière. Tous deux montaient dans la deux-chevaux et rejoignaient le petit café de la gare de Quincieux-Trévoux. C’était la récompense et le repos qu’ils s’accordaient après avoir sacrifié aux travaux du jardin et de la maison, un des rares intermèdes que s’autorisait le père entre le curage des fossés, le débroussaillage, le sarclage des allées, le tri des pommes de terre et l’arrosage. La mère n’y trouvait rien à redire.
Roulant comme toujours à faible allure, ils quittaient la nationale au lieu-dit La Thibaudière, où subsistaient en contrebas de la route les restes d’un lavoir communal, pour emprunter l’étroite départementale sinueuse qui conduisait vers les paysages de l’Ain. La voiture bruyante et tremblante, souple et légère, se penchait dans les virages. Sur cet ancien modèle Citroën, la portière de Jacques s’ouvrait par l’avant et il advint qu’une fois, sur le parcours accidenté, cette portière mal bloquée s’ouvrit toute seule sur un cahot. Le vent la rabattit violemment sur la porte arrière. Les tôles claquèrent, l’air s’engouffra dans la voiture. En un réflexe salvateur, le père agrippa Jacques par son maillot et le plaqua contre le dossier du siège. Il ralentit, s’immobilisa sur le bas-côté de la route, très près du fossé, ôta sa casquette pour s’éponger le front et poussa de grands soupirs :
- On l’a échappé belle !
Dès lors, ils ne discutèrent plus que de l’événement, et d’abord, au café de la gare. Le père, encore tout remué, montrait son fils comme un miraculé. Il ne semblait pourtant pas à Jacques, vivement impressionné lui aussi par l’incident, qu’il ait risqué d’être expulsé de la voiture en marche…
- Il faut se méfier, confirmait un paysan accoudé au comptoir. L’autre jour, mon voisin roulait avec sa deux-chevaux quand son capot s’est soulevé et s’est rabattu sur le pare-brise ! Il ne voyait plus rien et n’a eu que le temps de s’arrêter avant l’accident.
A Quincieux aussi la plaine régnait. Mais les haies, les bosquets, les arbres avaient été préservés. La gare, à la frontière des départements du Rhône et de l’Ain, ressemblait à un poste douanier. Le passage à niveau, situé cinquante mètres avant le café, était très dangereux, avait dit le père à Jacques. Un dimanche qu’un garde-barrière remplaçant avait oublié de baisser la barrière à l’approche du train, trois hommes de la commune des Chères étaient morts, déchiquetés dans leur voiture par le rapide Paris-Lyon. Pendant quelques heures, ajoutait-il, on a cru que ton oncle Dodo faisait partie des victimes, car il était un ami du conducteur et se baladait souvent avec lui. On a eu très peur.
La salle était un peu sombre, toute de bois et de couleurs brunes, bruissante. Jacques et le père se tenaient de part et d’autre d’une table près du mur, le corps tourné vers le spectacle du café, comme assis en parallèle. Ils buvaient leur bière, une brune, une Pelforth, en silence, le regard perdu dans l'agitation des ombres et les volutes de fumée des pipes et des cigarettes. Ils ne disaient rien. Ils ne se disaient rien. Ou des choses convenues. Des choses qui semblaient vides, vaines, éphémères, décevantes. Mais Jacques emmagasinait des images, des lumières, des sons, la plénitude cuivrée de leur silence, les signes alors à peine sensibles de leur affection réciproque derrière la gêne et la pudeur.
Parfois un maquignon ou un paysan du coin reconnaissait le père, venait s’asseoir à leur table. Une conversation s’ensuivait, à laquelle Jacques se sentait résolument étranger : la dernière guerre, l’évocation de figures disparues ou inconnues, la taille des vignes, les conseils de jardinage, la croissance des veaux, les problèmes de remembrement rural… il décollait de la place et, dégustant sa bière à petits coups, se réfugiait dans ses pensées, la littérature, le lycée, les filles.
Ils rentraient de bonne heure, effectuant quelques détours par des chemins de terre, où le père laissait Jacques s’exercer à conduire au volant de la deux-chevaux. Ils mangeaient à sept heures au plus tard, et la mère n’aurait pas toléré que l’on déroge à cette régularité. Une salade de tomates et de haricots verts du jardin, agrémentée de persil et d'ail du jardin. Puis une fricassée de pommes de terre du jardin. Les pêches du verger. On prenait ensuite un peu le frais. Dans les rayons du soleil couchant, le père arrosait encore, se penchait sur la terre pour arracher une herbe isolée, inspectait une dernière fois son royaume végétal.
Jacques se couchait tôt. Le dimanche était toujours un mauvais soir, lourd de pensées sombres, d’angoisses diffuses, la veille anxieuse de la reprise du lycée. Le sommeil était difficile, contrarié. Plus tard, à n’en pas douter, à n’en juger que par les adultes autour de lui, le dimanche soir serait la veille de la reprise du travail, bien qu’il n’avait aucune idée du travail qu’il effectuerait. Serait-ce encore la veille mélancolique ? Serait-ce toujours cette même veille mélancolique, à intervalle régulier, cadencé, jusqu’au soir de sa vie ? Il en éprouvait une vague crainte, une prescience douloureuse, dans la solitude de sa chambre. La chatte Mireille n’était pas là, partie pour quelques jours ou quelques semaines, comme elle le faisait plusieurs fois par an, partie pour l’une de ces fugues amoureuses dont on craignait toujours qu’elle finisse par ne plus revenir.
Demain, il reverrait aussi ses amis. Hubert, Maurice, et les autres. Ils parleraient entre eux des programmes télévisés du dimanche, les extraits de films de La séquence du spectateur, le chanteur invité de Denise Glaser dans son émission Discorama. Dans son lit, il écoutait le transistor, tout près de son oreille. Au Club des Poètes, de Jean-Pierre Rosnay, on récitait des poèmes de Desnos, d’Apollinaire, d’Aragon. La musique assourdie des vers s’accordait bien avec la tristesse du dimanche soir.

extrait de La plaine des Chères, 1968 (inédit)

20:10 Publié dans Textes et nouvelles | Lien permanent