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samedi, 10 mars 2007

Joséphin Soulary, un poète lyonnais (4)

Petite anthologie



SONNET DE DECEMBRE


L’hiver est là. L’oiseau meurt de faim; l’homme gèle.

Passe pour l’homme encor ; mais l’oiseau, c’est pitié !

Dans un bouquin rongé des rats plus qu’à moitié

j’ai lu qu’il paie aussi la faute originelle.

 

La bise a mangé l’air, durci le sol, lié

Les ruisseaux. - Temps propice aux heureux ! La flanelle

Les couvre ; au coin du feu le festin les appelle.

Mais les autres ?.. Sans doute ils auront mal prié !

 

Le soleil disparaît sous la brume glacée ;

C’est l’acteur des beaux jours qui, la toile baissée,

Prépare sa rentrée au prochain renouveau ;


Et, tandis qu’on grelotte, il vient, par intervalle,

Regarder plaisamment, l’oeil au trou du rideau,

La grimace que fait son public dans la salle.

 

in La chasse aux mouches d’or



 

*

 

 

 

LES IRONIES DE LA MORT

 

Enfant mal accueilli, comme un fardeau qui gène,

« O madame la Mort, disais-je, à mon secours ! »

Mais elle : - « Cher baby, j’aime à trancher des jours

Pleins d’azur ; j’attendrai que le ciel t’en amène. »

 

A vingt ans, rebuté par la beauté hautaine,

« Cette fois, c’en est fait, criai-je à l’autre, accours ! »

Mais elle : - « J’ai souci des coeurs pris à leur chaîne ;

J’attendrai que tu sois aimé de tes amours. »

 

Plus tard, nouveaux appels (je débutais poète) ;

Mais elle : - « Je fais cas d’un laurier sur la tête ;

J’attendrai qu’on t’imprime et que tes vers soient lus. »


Aujourd’hui, las de tout, je l’implore ; mais elle :

- « Non pas ! ton âme aspire à l’heure solennelle ;

J’attendrai pour venir que tu n’y songes plus. »


in Les diables bleus


 


*

 

 


DANS LA BRESSE AU SOL GRIS

 

Dans la Bresse au sol gris coupé d'étangs limpides,

Saint Hubert a souvent ri de me voir chasser ;

Car le râle me nargue en ses crochets rapides,

Et le lièvre, bien coi, me regarde passer.

 

Un jour, las et fourbu, les flancs du carnier vides,

Je m'étendis à l'ombre et cessai de penser.

Deux bouleaux balançaient sur moi leurs voix timides,

Et je crus les entendre en ces mots converser :

 

«Comprends-tu, disait l'un, qu'on soit assez poète

Pour venir de si loin dormir, et qu'on s'entête

A poursuivre un gibier qu'on veut ne pas tenir ?»

 

Et l'autre : « Mon avis est que cet imbécile,

Ennuyé de sa femme, aura quitté la ville

Pour s'ennuyer tout seul, et n'en pas convenir.»

 

in La chasse aux mouches d'or


 

 

*

 


 

UNE GRANDE DOULEUR

 

Comme il vient de porter sa pauvre femme en terre,

Et qu’on est d’humeur noire un jour d’enterrement,

Il entre au cabaret ; car la tristesse altère,

Et les morts sont bien morts ! - c’est là son sentiment.


l se prouve en buvant que la vie est sévère ;

Et, vu que tout bonheur ne dure qu’un moment,

Il regarde finir mélancoliquement

Le tabac dans sa pipe et le vin dans son verre.

 

Deux voisins ses amis sont là-bas chuchotant

Qu’il ne survivra pas à la défunte, en tant

Qu’elle était au travail aussi brave que quatre.


Et lui songe, les yeux d’une larme rougis,

Qu’il va rentrer ce soir, ivre-mort, au logis,

Bien chagrin - de n’y plus trouver personne à battre.

 

in Les diables bleus



 

*

 



SUB SOLE QUID NOVI ?

 

Sous mes yeux vainement tout se métamorphose,

L’enfance en la vieillesse, et le jour en la nuit ;

Dans ce travail muet qui crée et qui détruit,

C’est toujours même loi, même effet, même cause.

 

Aujourd’hui vaut hier. Comme un collier morose

L’Ennui soude le jour qui passe au jour qui suit ;

Et l’immobile Dieu gouverne ce circuit,

Où l’acteur machinal quitte et prend même pose.


Sur le rayon de l’heure et dans le bruit des jours,

La vie a beau tourner, rien ne change son cours ;

Le pendule uniforme au front du Temps oscille.


N’est-il donc nulle part un monde où l’inconnu

Déconcerte l’attente, où, sur le cadran nu,

La Fantaisie en fleur fasse la folle aiguille ?

 

in Papillons noirs



 

 *



 


FEBRIS ACCESSIO

 

Je me sentais descendre, emporté dans le vide,

Les spirales sans fin d’un abîme sans fond ;

J’entendais clapoter, dans l’inconnu profond,

Comme les caillots lourds d’une flaque sordide ;

 

Rien ne faisait lueur dans cette nuit livide ;

Rien ne ralentissait mon élan furibond ;

Mon corps frappait, aux flancs de l’entonnoir avide,

De seconde en seconde une plainte par bond !


Désespoir insensé ! mes deux mains frémissantes

Vainement s’incrustaient dans les parois glissantes ;

Le sol railleur fuyait sous mon ongle tendu !


Et j’écoutais pleurer, à distance infinie,

Une voix qui disait : « Le pauvre homme est perdu !

Le voyez-vous froisser son drap dans l’agonie ? »


in Papillons noirs


 

 

*



 

LE FAISEUR DE CERCUEILS


Le charpentier des morts sommeille. Il est minuit.

Tout à coup l’établi poudreux craque, et les planches

S’agitent çà et là comme autant d’ombres blanches.

« Oh ! dit-il fou de peur, qui fait ce méchant bruit ? »


Là-bas, dans ce coin sombre où leur acier reluit,

Grincent la lime rude et la scie aux dents franches ;

les ciseaux dans le bois ont fait crier leurs tranches ;

Le rabot a sifflé ; mais qui donc les conduit ?

 

Le sapin s’équarrit, se charpente et se change

Sous d’invisibles mains en quelque chose étrange ;

C’est long, lourd, et béant. - Un fantôme apparaît :


« Ohé ! maître, debout ! Tes morts t’ont fait ta bière ! »

Le coq chante. Il s’éveille. - Il est au cabaret.

« Debout ! criait sa femme ; ohé ! vieux sac à bière ! »


in Papillons noirs




*



 

JUSTICE BOITEUSE


Par ces temps de rancune, un jour ne passe guère

Que le couteau ne fasse à l'écart quelque mort.

Quand on aime le sang, par l'enfer ! on a tort

De naître dans la peau d'un meurtrier vulgaire.


Celui qui tue un peuple au grand jour, et s'endort

Calme, aux râles humains que son genou fait taire,

Celui-là porte haut la gloire du sicaire :

C'est bien plus qu'un héros, c'est le bras droit du Sort.


Il me manque le sens de l'abstrait, je l'avoue !

Entre le gueux qu'on blâme et le brigand qu'on loue

La nuance m'échappe. - Ah ! si j'avais pouvoir !


J'aurais tôt condamné, confondant mes colères,

A la peine d'amour le bandit du trottoir,

Et l'assassin royal à celle des galères !


in Les rimes ironiques

 

 


*




REVES AMBITIEUX

 

Si j’avais un arpent de sol, mont, val ou plaine,

Avec un filet d’eau, torrent , source ou ruisseau,

J’y planterais un arbre, olivier, saule ou frêne,

J’y bâtirais un toit, chaume, tuile ou roseau.


Sur mon arbre, un doux nid, gramen, duvet ou laine,

Retiendrait un chanteur, pinson, merle ou moineau;

Sous mon toit, un doux lit, hamac, natte ou berceau,

Retiendrait une enfant, blonde, brune ou châtaine.


Je ne veux qu’un arpent ; pour le mesurer mieux,

Je dirais à l’enfant la plus belle à mes yeux :

« Tiens-toi debout devant le soleil qui se lève;


Aussi loin que ton ombre ira sur le gazon,

Aussi loin je m’en vais tracer mon horizon. »

- Tout bonheur que la main n’atteint pas n’est qu’un rêve !


in Pastels et mignardises

 

 

Voir également :

Joséphin Soulary (1)

Joséphin Soulary (2)

Joséphin Soulary (3)

 

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