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mardi, 06 mars 2007

Joséphin Soulary, un poète lyonnais (3)

Après l'introduction de l'ouvrage, je republie un extrait de la dernière partie "Une oeuvre à redécouvrir".

 

Si l’oeuvre de Soulary est aujourd’hui oubliée, elle connut dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle un grand succès et une renommée qui ne fut pas que locale. Baudelaire, dont on a toujours salué, parallèlement à son génie poétique, l’intelligence critique, écrivait dans une lettre à Armand Fraisse du 18 février 1860 : « Que M. Soulary soit un grand poète, cela est évident aujourd’hui pour tout le monde, et cela a été évident pour moi dès les premiers vers que j’ai pu lire de lui. »

En introduction à ses Oeuvres poétiques, publiées chez Lemerre, Soulary a reproduit la lettre que lui avait adressée Sainte-Beuve le 8 janvier 1860.

« Monsieur,

«  J’ai un remerciement, déjà bien ancien, mais bien sincère, à vous adresser pour le présent qui m’a été fait en votre nom par M. Delaroa du charmant volume de vos admirables sonnets. Je ne serai content que lorsque j’aurai dit tout haut ce que j’en pense.

« J’ai quelque droit sur le sonnet, étant des premiers qui aient tenté de le remettre en honneur vers 1828 ; aussi je ne sais si je mets de l’amour-propre à goûter cette forme étroite et curieuse de la pensée poétique, mais je sais bien (et je crois l’avoir écrit) que j’irais à Rome à pied pour avoir fait quelques sonnets de Pétrarque, et maintenant j’ajoute : - quelques sonnets de Soulary. »

L’un des plus célèbres critiques du temps égalait ainsi Soulary aux plus grands.


*


Certes, toute l’oeuvre du poète n’est pas d’un égal intérêt. La cinquantaine de pages qui composent la partie anthologique de cet ouvrage est extraite de nombreux recueils différents, non seulement parce que nous avons voulu extraire le meilleur de chacun d’eux, mais aussi parce qu’aucun recueil ne peut se lire entièrement avec plaisir par un lecteur contemporain. De très nombreuses pièces apparaissent mièvres et emberlificotées. Il est à ce sujet curieux de constater - mais cela se vérifie chez bien d’autres écrivains, dont de très célèbres - que les poèmes les plus appréciés de son temps sont précisément ceux qui nous touchent le moins aujourd’hui, comme si notre sensibilité s’était transformée, déplacée.

 

On a vu, dans les précédentes pages, à quel point Soulary avait été éprouvé par l’éreintement implacable auquel se livra Jules Lemaître, l’un des critiques de l’époque qui faisait autorité - éreintement dont notre poète ne se remit jamais.

« Toute chose, en passant par les mains de M. Soulary, se rapetisse, s’amignote, s’amenuise, s’amignardise. »

Après de multiples exemples, parfois mal choisis, destinés à montrer les défauts du poète, Lemaitre achève par des propos plus constructifs et pertinents.

« Soulary est un italien. Ses aïeux littéraires sont les poètes de la Pléiade, les précieux du dix-septième siècle et les concettistes italiens, Guarini ou Le Tasse de l’Aminta. Son sonnet des Rêves ambitieux rappelle par la facture tel sonnet de Joachim du Bellay ; ses Métaux font songer aux Pierres précieuses de Rémy Belleau. Il a, comme Ronsard, un fonds gaulois qui perce çà et là sous la mignardise transalpine. Et par delà ces poètes raffinés il se rattache aux troubadours. Il est dans notre siècle le représentant inattendu du gai savoir et de la poésie menue des cours d’amour. Bref, et pour ne retenir que ses traits essentiels, M. Soulary est un concettiste et un provincial. »

« Il se pourrait bien que M. Soulary fût le roi des poetae minores. Et n’allez pas croire que ce soit peu de chose ! »

Cette fin ne sauve rien, au contraire, et l’on comprend que Soulary en ait été si abattu.


Une large part de l’inspiration de l’auteur ne correspond plus du tout à ce qu’un lecteur de poésie moderne aime à lire aujourd’hui. Soulary se situait même largement à part du mouvement poétique de son temps, n’ayant que très peu subi l’influence de ses contemporains, et se rattachait à une veine italienne, qui venait de la Renaissance ; il avait une vision panthéiste de la Nature et s’inspirait plus d’Horace et d’Anacréon que de Lamartine ! L’oeuvre des poètes de la Pléiade nous est étrangère pour les mêmes raisons.


*


La caractéristique première de Soulary, c’est la perfection de la forme, parfois la virtuosité. Tous les articles du temps consacrés au poète le définissent comme un "ciseleur", un "orfèvre", et on le compare à d’autres grands sculpteurs de vers qui lui sont contemporains : Théophile Gautier, Leconte de Lisle. On ne saurait réduire Soulary à un pur tenant de l’art pour l’art (car son art, nous le verrons, n’était pas vide de sens) mais il a mérité sa réputation de "plus grand sonnettiste du siècle" et non pas, comme le disait méchamment Lemaitre, parce qu’il en a écrit plus que les autres, mais bien parce qu’il a écrit le plus grand nombre de chefs-d’oeuvre du genre.

Dans un poème intitulé Le sonnet, Soulary expose son art poétique et ses « doux combats » avec la Muse, d’abord rétive :

Je n’entrerai pas là, - dit la folle en riant -

Je vais faire éclater cette robe trop juste !

mais la patience du poète, son travail sans cesse recommencé viennent à bout de cette résistance.

Là, serrant un atour, ici le déliant,

J’ai fait passer enfin tête, épaules et buste.

Cependant le résultat, s’il est obtenu à force de travail, n’a rien de laborieux ni de pesant : Soulary construit une poésie simple, gracieuse et attentive au détail concret. L’oeuvre est toujours solidement et parfaitement construite. L’opposition (nous en avons vu un bon exemple avec Les deux cortèges) est le procédé favori du poète, et on le voit tour à tour conjuguer vie et mort, jeunesse et vieillesse... Son sens de la construction confine parfois à la virtuosité ; ainsi dans Le faiseur de cercueils, il effectue un ingénieux montage entre le rêve et la réalité : le menuisier est endormi ; tout-à-coup, ses outils, animés par d’invisibles mains, découpent les planches et assemblent un cercueil.

Un fantôme apparaît :

Ohé ! maître, debout ! Tes morts t’ont fait ta bière !

Le coq chante. Il s’éveille. - Il est au cabaret.

« Debout ! criait sa femme ; ohé ! vieux sac à bière ! »


Baudelaire, dans sa lettre précitée à Armand Fraisse, fait un éloge de Soulary et dresse à son propos une magnifique étude de l’art du sonnet :

« Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense. Tout va bien au sonnet : la bouffonnerie, la galanterie, la passion, la rêverie, la méditation philosophique. Il y a là la beauté du métal et du minéral bien travaillés. Avez-vous observé qu’un morceau du ciel, aperçu par un soupirail, ou entre deux cheminées, deux rochers, ou par une arcade, etc., donnait une idée plus profonde de l’infini que le grand panorama vu du haut d’une montagne ? Quant aux longs poèmes, nous savons ce qu’il en faut penser ; c’est la ressource de ceux qui sont incapables d’en faire de courts.

« Tout ce qui dépasse la longueur de l’attention que l’être humain peut prêter à la forme poétique n’est pas un poème. »


Ces considérations de forme une fois énoncées, on doit continuer de lire aujourd’hui Soulary pour d’autres excellentes raisons - raisons qui ne sont plus les mêmes qu’au dix-neuvième siècle.

Si une large partie de son inspiration nous est aujourd’hui étrangère, il reste heureusement des domaines où les poèmes sont portés par un sentiment qui n’est pas mièvre ni désuet. Il échappe alors à ses défauts, entraîné par une violence d’émotion qui nous touche encore.

Lorsque Soulary s’emporte contre les injustices, contre la bêtise humaine, il le fait avec une rare violence verbale.

Il dénonce les catholiques trop zélés :

« Je hais ces preux portés à faire entrer leur foi

Dans le ventre des gens, comme une arme aiguisée,

Et j’entends qu’on me laisse agir à ma visée,

Dieu seul nous jugeant tous , chacun plaidant pour soi. »

(Je hais ces preux, in Les diables bleus)

les horreurs de la violence et de la guerre :

« Soit qu’il lave un affront, soit qu’il venge un Etat,

Qu’il dresse un guet-apens ou gagne une bataille,

Sous la balle qui troue ou le couteau qui taille,

L’assassinat toujours est un assassinat ! »

(Ira, in L’hydre aux sept têtes)

ou le patriotisme :

« Il n’est qu’un sol, le globe ; il n’est qu’un Dieu, l’Amour,

Confins des nations, croulez ! fuis sans retour,

Dernier culte imposteur, culte de la patrie. »

(Pro Aris et focis, in Ephémères)


Le Soulary le plus émouvant est celui qui dépeint la misère des pauvres gens, leur désespoir, leur dénuement, leur envie de révolte. Sonnet de décembre nous apparaît ainsi comme l’un de ses plus beaux textes, et peut-être son plus pur chef-d’oeuvre. Ajoutons Au dehors, c’est l’hiver, dans lequel mère, enfants, affamés même en rêve / Songent de pains volés et de vins défendus. Et cette magnifique introduction à Nunc Vivendum :

J’ai souvent admiré que la pauvreté fière,

Quand le travail lui manque, et que la faim la mord,

Ne sache pas gaîment se ruer à la mort

Dans un beau suicide en bloc, par rue entière.

Cette attention aux pauvres gens ne se limite pas à la ville de Lyon et aux canuts, la campagne aussi connait ses pauvres. Dans Le vieux pauvre (in Paysages), Soulary dresse un tableau poignant et nous donne en même temps, chez un poète dont on a souvent dénoncé le maniérisme et l’affectation, un exemple d’une belle sobriété verbale :

Pour ne regretter rien je n’ai rien désiré ;

Où la mort me prendra, là je m’endormirai,

Sans vouloir qu’après moi ce bon soleil s’éteigne.

Cette attention chaleureuse pour les pauvres gens s’accompagne d’une dénonciation des puissants. Sans admirations évoque les "assis au large"et les "haut perchés" pour les traiter de "fantoches" et de "fanges"; on ne peut s’empêcher de penser que Soulary, dans son poste de secrétaire particulier du préfet, devait les voir de bien près ! Ephémérides, Justice boiteuse, Gula (tous reproduits dans l’anthologie) contiennent la même dénonciation des grands personnages, depuis le bourgeois "auguste pourceau" jusqu’aux rois, "qui ne daignent signer l’histoire / qu’avec du sang au bout des doigts".

Il y a chez Soulary des accents très libertaires. Son ami Vingtrinier dit qu’il se proclamait libre-penseur et qu’il ne voyait dans le monde que des loups, des ingrats et des méchants.

Dans un tel rôle, et à la même époque, les lyonnais ont un autre poète, Pierre Dupont. On connaît encore quelques-unes de ses chansons, et Charles Baudelaire lui a consacré des articles élogieux, dont deux études reproduites dans L’Art romantique. Dupont reste une figure très vivante à Lyon ; malgré la qualité souvent médiocre de son oeuvre, il n’est pas oublié comme Soulary. Probablement bénéficie-t-il, à travers le temps, d’une image toujours vivace de poète prolétarien.

Bien loin des ingéniosités et des préciosités qui le rapprochent des poètes de la Pléiade, nous rencontrons aussi chez Soulary des poèmes de l’ennui de vivre et d’élans vers l’infini, dont l’inspiration nous fait penser à Baudelaire, le poète du Voyage, qui voyait notre existence comme "une oasis d’horreur dans un désert d’ennui".

Relisons Charles Baudelaire :

O Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre !

Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !

(...)

Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?

Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

Rapprochons ce texte de Sub sole quid novi ? où nous retrouvons les mêmes thèmes, les mêmes accents :

Aujourd’hui vaut hier. Comme un collier morose

L’Ennui soude le jour qui passe au jour qui suit ;

A la description de l’ennui (le spleen baudelairien), succède le même appel vers l’inconnu :

N’est-il donc nulle part un monde où l’inconnu

Déconcerte l’attente, où, sur le cadran nu,

La Fantaisie en fleur fasse la folle aiguille ?


Mais ce qui apparaît au lecteur moderne comme la plus grande richesse de Soulary, son originalité et sa meilleure veine, reste l’humour. Cette dimension, certes remarquée à son époque, n’avait pas été suffisamment perçue, et on aimait Soulary pour d’autres raisons. Le sonnet le plus célèbre, Les deux cortèges, n’est-il pas de l’anti-humour par excellence ? Du bon sentiment, un peu risible, comme toute naïveté. Si l’on en rit, c’est aux dépens de l’oeuvre, et de l’auteur.

Mais, comme disait Lemaitre, « heureusement pour lui, il a fait beaucoup mieux » ; le meilleur est dans d’autres pièces, dans l’humour précisément. Soulary le revendiquait d’ailleurs : n’a-t-il pas titré l’un de ses ouvrages Sonnets humouristiques ? Et un autre Les rimes ironiques ? Les pièces humoristiques, très nombreuses dans ses recueils, sont autant de chefs-d’oeuvre que l’on admire sans réserve. Ces tableaux parfaits, finement observés, solidement construits, sont servis par la forme sans faute. La construction est souvent la même, une large exposition, descriptive ou narrative - et le dernier vers, en rupture absolue, décoché comme un trait, vient éclairer ou contrecarrer tout le reste du poème.

Certes le fond de cet humour n’est pas gai : présence de la mort, inconstance féminine, amertume... « L’humour chez lui est un composé de fantaisie italienne et de brume lyonnaise qui découle le plus souvent d’une veine d’amertume. » (Marieton) Le meilleur de Soulary est ainsi imprégné de tristesse et de l’idée de la mort :

Pour chaque enfant qui naît ici-bas, Dieu fait naître

Un petit fossoyeur expert en son métier,

Qui creuse incessamment sous les pieds de son maître

La place où l’homme un jour s’abîme tout entier.

(Le fossoyeur, in Pastels et mignardises)

ou encore dans ce credo philosophique :

Le germe est la marche vers l’être,

Et l’être est l’essor vers souffrir ;

Souffrir, c’est commencer de naître,

Et naître, c’est déjà mourir.

(Le gland, in Poésies diverses)


Ces mots sont ceux d’un blessé de la vie. « La dure condition de sa vie, écrit Marieton, a toujours pesé sur son oeuvre ; elle y a marqué d’autant plus profondément qu’il y avançait davantage. » Il ajoute que la lecture du poète, pour riche et intéressante qu’elle soit, n’est pas un exercice de sérénité : « après une fréquentation assidue du poète, on découvre en lui un humoriste, et sous cet humoriste un attristé. »

Les constantes de Soulary, ce " fond de tristesse", produit de son enfance malheureuse et de sa vie grise, le désenchantement, se retrouvent dans ses poèmes, font un excellent et subtil ménage avec l’humour, pour composer une peinture un peu amère de la vie. De la tristesse est né l’humour, sombre et violent parfois, mélancolique en général. Et cette note finale, drôle et désabusée, éclaire le poème, le sauve de l’académisme de sa forme et nous rapproche de son auteur.

 

Voir également :

Joséphin Soulary (1)

Joséphin Soulary (2)

Joséphin Soulary (4)

 

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