mercredi, 30 décembre 2009
Entretien avec Roland Counard
La revue Bleu d'Encre, revue littéraire en Haute-Meuse dirigée par Claude Donnay, publie dans son numéro 22 une série de mes aphorismes, ainsi que l'entretien suivant avec Roland Counard.
Bleu d'Encre, Claude Donnay, 43 rue d'Anseremme, 5500 Dinant, Belgique.
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Roland Counard : Tu as été animateur de la revue Casse. Puis tu t'es consacré à l'écriture. Maintenant tu en reviens (après un constat d'échec, dis-tu) à l'activité éditoriale. Voilà, me semble-t-il, un bel exemple de dévouement à la cause. Qu'est-ce qui, dans la littérature, te motive à ce point ? Serais-tu simplement quelqu'un de têtu ? Serait-ce l'expression d'un égo démesuré ? Ou s'agit-il d'un engagement profond, chevillé au corps et à l'esprit ?
Jean-Jacques Nuel : Les choses sont à la fois plus simples et plus complexes. Au départ, il y a l'écriture, qui est ma pratique depuis quarante ans, et le désir d'être reconnu un jour comme écrivain. Je suis mal placé pour juger la valeur de mon œuvre, mais j'avoue en avoir attendu davantage de reconnaissance et, d'une certaine façon, l'écriture a été un échec. Elle continue cependant, car elle est pour moi vitale.
Mais l'écriture s'inscrit dans une chose plus vaste qui est la littérature, et c'est d'ailleurs l'amour de la littérature (la découverte à 15 ans de Musset, Rimbaud, Lautréamont, etc.) qui m'a donné envie d'écrire par imitation. J'ai toujours été lecteur de littérature et un jour, j'ai eu envie d'être aussi un acteur littéraire à ma modeste mesure, et d'offrir des espaces à d'autres auteurs. La première expérience a été la création et l'animation de la revue littéraire Casse, de 1993 à 1996. La prochaine sera la création d'une maison d'édition, à Lyon, au cours de l'année 2009. Alors, oui, je suis têtu, j'ai un ego démesuré, et surtout je vis par et pour la littérature.
RC : Un colloque s'est déroulé à Liège, il y a quelques années, lors des Biennales de la poésie sur le thème "Science et Poésie". Y était débattue la question du processus créatif. Je suis, personnellement, féru de physique des particules et d'astrophysique. Parfois, je trouve beaucoup de points communs entre une loi quantique (ou plutôt un "phénomène" quantique) et une certaine poésie. Pourtant, je constate que la plupart des poètes sont ignorants des choses de la science, comme d'ailleurs la plupart de nos contemporains. N'y aurait-il pas une tendance des poètes "au repli sur soi"? Plus largement, d'après toi, quels rapports entretiennent la littérature et le monde ? Je ne parle pas ici du seul engagement politique, mais, comment dire ... De l'engagement du "poétique" dans le processus de la connaissance. Ou, plus simplement: En quoi la poésie est-elle une connaissance ? (NB. J'avoue ne pas avoir de réponse précise là-dessus, mais ton avis m'intéresse)
JJN : On a souvent l'impression d'un divorce entre la science et la poésie (ou la littérature, au sens plus large). Rares sont les génies universels comme Blaise Pascal. Pour ma part, je reconnais - sans en tirer ni honte ni orgueil - que j'ai toujours été un cancre scientifique et mathématique. Ma scolarité a été marquée par cette contradiction (nul en maths, très bon en français) et j'avais d'ailleurs inventé, pour me venger de mes mauvaises notes, une théorie mathématique dite du « nombre élastique » : tout nombre était flottant entre celui qui le précède et celui qui le suit, de sorte que beaucoup de ces lois et théorèmes que je ne parvenais pas à ingurgiter ne pouvaient plus s'appliquer... C'est vrai que les mondes scientifique et littéraire sont trop étrangers et étanches (je me souviens de Houellebecq, ingénieur agronome de formation, regretter que les critiques ne relèvent pas la dimension scientifique des « Particules élémentaires »...) En définitive, je crois qu'il y a des modes différents d'approche d'une même réalité qui nous échappe très largement, la science en est une, la mystique une autre, la poésie une autre. Par exemple, le haïku est une manière d'accéder à un instantané de réalité, un état de conscience global et ramassé. A chacun son don, sa force et sa méthode, la littérature, parmi d'autres, est une voie de connaissance de l'homme et du monde.
RC : C'est marrant ton histoire du « chiffre élastique ». Tu as, en quelque sorte, réinventé l'un des fondements de la physique quantique : l'indétermination. En gros, une particule ne se détermine que quand on l'observe, sinon elle n'a pas de position précise, et ne se décide pas à être une particule ou une onde. Elle est les deux: une particule et une onde ! On dit aussi qu'elle est une « onde de probabilité ». Les physiciens sont donc partis d'une intuition (une blague de potache en somme) pour finalement découvrir un aspect étrange de la réalité. D'une certaine manière, on peut dire que ton exemple prouve que poésie et science ont beaucoup de points communs...
Revenons-en à nos moutons. Parle-nous de tes éditions. As-tu déjà des livres imprimés ou en passe de l'être ? Comment effectues-tu tes choix ? Et surtout, comment seront-ils diffusés ? On sait que la poésie et la fiction très littéraire sont peu lues, peu vendues et mal exposées. Beaucoup se sont cassé les dents sur cet aspect, à mon sens essentiel, de la vie éditoriale.
JJN : J'ai des projets de livres : des auteurs du passé, tombés dans le domaine public, et des auteurs contemporains, prose très littéraire ou poésie. A priori, je crois que les auteurs du passé, parfois un peu connus, se vendront mieux que les contemporains souvent inconnus et équilibreront le budget. Mes choix sont le pur reflet de mes goûts et de mes coups de foudre.
Le problème central de la diffusion est le suivant : pour un petit éditeur indépendant, le circuit classique de la diffusion/distribution est impossible. D'abord parce les diffuseurs refusent les maisons qui n'ont pas une taille suffisante, ensuite parce que les marges de la diffusion sont telles (55 à 60 % du prix du livre), auxquelles s'ajoutent des frais de retour, qu'elles peuvent ruiner une structure éditoriale fragile. Il convient donc de trouver des solutions alternatives. Internet est la solution principale, qui remet les éditeurs à égalité, et on peut mettre en place un site de vente en ligne (avec paiement Paypal), un blog et des pages sur les réseaux sociaux. Un important service de presse doit servir à la notoriété de la maison d'édition. Mais on ne peut pas tabler sur le seul internet. Il faut bien aussi faire de la mise en place en librairies, au moins au niveau local, participer à quelques salons. Les choses se mettront en place peu à peu, mais au début, je mise essentiellement sur mon réseau de relations et sur l'internet.
RC : Que penses-tu de ces "nouvelles" formes d'écriture que sont le Slam et le Rap ? Ne s'agit-il pas d'un retour à une forme de classicisme sous couvert de nouveauté ? Et qu'en est-il du support papier ?
JJN : A vrai dire, je n'aime pas le rap et le slam (que je connais bien mal aussi, reconnaissons-le.) Je suis d'une génération qui a voué un culte au rock 'n roll, fanatique des Rolling Stones, et le rap est une chose que j'ai rejetée. Quant au slam, ça ne m'attire pas, la poésie n'a pas besoin d'être chantée. Ce n'est ni de la chanson (art original dont le maître incontesté fut Charles Trenet) ni de la poésie à mon sens. D'ailleurs, pour moi, la poésie en France a connu ses sommets avec Mallarmé et Apollinaire, le 20e siècle a vu plutôt le triomphe du roman. C'est dire que je me pose peu de questions en fait sur la poésie moderne, que je connais assez bien mais qui a moins compté pour moi que les œuvres de Joyce ou de Thomas Bernhard, par exemple.
Quant au support papier, je ne pense pas qu'il soit obsolète - sans cela je ne me lancerais pas dans l'aventure d'une maison d'édition ! Mais je m'intéresse beaucoup au support numérique et j'ai mis des textes courts en ligne sur la plateforme Feedbooks. Les deux modes de lecture (papier et numérique) ne sont pas exclusifs, je peux lire sur l'un ou l'autre supports en fonction des situations.
RC : Que préfères-tu: l'aile ou la cuisse ? (C'était le titre d'une émission radio de la RTBF, que j'aimais beaucoup...)
JJN : La cuisse. Cette question m'a toujours étonné. Franchement, il n' y a pas grand-chose à manger dans l'aile...
11:03 Publié dans Annexes et dépendances | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, revue, édition, nuel, counard
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