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jeudi, 04 octobre 2007

Rencontre avec Christian Cottet-Emard

Christian Cottet-Emard a accepté de répondre à quelques-unes des questions que j'avais envie depuis longtemps de lui poser, car je suis son oeuvre avec beaucoup d'intérêt (voir ma chronique sur son dernier roman, Le club des pantouflards). Je renvoie pour sa bibliographie à son blog et à son site personnel.

 

Après un premier roman remarqué (Le club des pantouflards, chez Nykta), mélange détonnant d'humour et de fantastique, quels sont tes projets romanesques ?

En dehors des nouvelles qu'il faut écrire très vite au moment où s'en imposent les sujets, je travaille toujours sur plusieurs chantiers romanesques. Une série de courts romans dans la lignée du Club des pantouflards puisqu'on m'encourage à poursuivre dans cette voie, un roman dont les chapitres sont constitués de nouvelles qui peuvent se lire séparément et un roman humoristique pour me détendre. Je serais très fier de réussir un vrai roman d¹humour. Je suis sur certains chantiers depuis des années et depuis quelques mois seulement sur d'autres. Ayant bénéficié d'une bourse du Centre National du Livre, je me concentre sur le projet que j'ai présenté pour l'obtenir (la série dans la lignée du Club des pantouflards).
Ainsi résumé, tout cela a l'air de partir dans tous les sens mais il existe une véritable unité. Je me sens un peu comme un organiste qui cherche le bon registre. Dès lors, j'accélère un chantier ou un autre en fonction des opportunités de publication qui peuvent se présenter.

La poésie reste l'un de tes modes d'expression privilégiés, et constants dans le temps. Mais par ailleurs, tu écris des nouvelles, des romans, des proses courtes. Prose, poésie, comment coexistent ces deux écritures en toi ?

Je ne suis pas dans le même état psychique et physique selon que j'écris de la prose ou de la poésie. C'est un rapport au monde complètement différent. Mais il peut arriver que ces deux écritures se rapprochent, comme deux rivières allant vers leur confluent. Cela s'est manifesté lorsque j'ai écrit Le Grand variable, expérience au cours de laquelle prose et poésie semblaient vouloir s'aimanter sans cesse. De toute façon, même si je travaille en priorité sur mes chantiers romanesques pour être lu, je reviens toujours, pour le plaisir, à la poésie car elle est le seul espace de liberté qui reste, non seulement en raison de sa désormais totale déconnexion du « marché » de l'édition mais aussi en raison de l'effritement de toutes ses règles. La poésie est aujourd'hui un merveilleux champ de ruines où tout peut recommencer.

Il me semble remarquer une évolution de ta poésie, vers des thèmes plus proches du quotidien. Ressens-tu aussi une évolution, et quels sont les auteurs qui t'influencent ?

Lorsque j'ai commencé à publier de la poésie dans des revues, dans les années 1980, j'étais un jeune homme svelte et j'écrivais des poèmes sveltes. Je recherchais surtout la fluidité, la musicalité, qui ont fini par brider mon expression poétique. J'ai regretté toute ma vie de n'avoir pas pu devenir musicien, compositeur. J'ai dû attendre de franchir la quarantaine pour accepter l'idée que la poésie ne pouvait rivaliser avec la musique. Quant au quotidien qui me pose problème en permanence, je ne me serais jamais autorisé à lui ouvrir la porte de ma poésie. Résultat des courses, je ne suis plus tout à fait un jeune homme svelte, je ne serai jamais compositeur et le quotidien, ce grossier personnage à qui je refusais d'ouvrir la porte, est entré par la fenêtre. Alors, je tente aujourd'hui d'incorporer des éléments du quotidien dans des vers très longs, étiolés, qui s'étendent jusqu'à former de petites sections de prose. Au début de cette expérience, je trouvais le résultat très laid d'un point de vue visuel, typographique, mais l'effet parodique, décalé (c'est le cas de le dire) me plaît bien. Je ne souhaite pas pour autant rentrer dans le rang des poètes du quotidien car cela signifierait, au moins pour moi, que ce quotidien ennemi de tout élan vital et créatif aurait gagné la guerre ! Ce que j'essaie de faire avec cet adversaire sournois, c'est de le jeter dans de longs textes où, bien malmené, ballotté comme un galet ou du bois mort dans un torrent, il pourra peut-être de nouveau faire sens (car le quotidien tel que nous le subissons et tel qu'il est célébré par des poètes au ras des pâquerettes n'a, à mon avis, pas beaucoup d'intérêt). Je creuse aujourd'hui ce sillon mais je ne sais pas si l'on peut parler d¹une évolution. Ce n'est peut-être rien d'autre qu'un mouvement d¹humeur, une réaction contre les crises de formalisme stérile qui conduisent régulièrement, depuis les années 1970 la poésie, notamment la poésie française, dans des impasses. Pour échapper à cette atmosphère confinée, je puise de grands bols d'air chez Breton, Borgès, Auden, Ungaretti, Carver, Pessoa, mais aussi dans la poésie portugaise contemporaine dont l'anthologie parue dans la collection Poésie / Gallimard souligne l'étonnante vitalité.

Dans ton feuilleton "Tu écris toujours ?", dont certains extraits paraissent dans Le magazine des livres, tu te mets en scène avec une part d'autodérision, cultivant un regard mi-désabusé mi-ironique sur le monde de l'édition et sur les auteurs. Que penses-tu de la comédie littéraire qui se joue chaque année, entre la rentrée, les prix et les transferts d'auteurs ?

« Tu écris toujours » est un petit divertissement. Rien ne m'horripile autant que l'esprit de sérieux. « Toujours trop sérieux n¹est pas très sérieux » disait le grand auteur africain Amadou Hampâté Bâ. Or, la société tout entière plonge à nouveau dans l'esprit de sérieux et le monde des Lettres n'échappe pas à cette nouvelle crise de solennité. Beaucoup d'auteurs cherchent à se prévaloir de « professionnalisme », sans doute par peur d'être exclus du grand bazar de l'édition. Je peux comprendre cette angoisse de ne pas être intégré à un système qui pousse à rouler les mécaniques mais j'ai toujours pensé qu'un artiste, en particulier un écrivain, est précisément le contraire d'un professionnel. Ce cirque autour de la rentrée littéraire, des prix et des transferts d'auteurs, ça sent l'industrie, l'entreprise, le chiffre, toutes choses qui ne concernent la création littéraire qu'au moment où elle s'en saisit pour en faire de la littérature ou pour les affronter.

Même si l'on vit pour écrire, écrire ne permet pas souvent de vivre (au sens matériel du terme). Comment ressens-tu cette difficulté ? As-tu réussi à concilier dans certaines périodes de ta vie travail salarié et création littéraire ?

Je n'ai jamais pu concilier la création littéraire et quoi que ce soit. Je ressens cela comme une guerre de tranchée sans fin. Qu'on ne puisse pas gagner sa vie en faisant oeuvre littéraire alors qu'on peut gagner sa vie en tapant dans un ballon, en vociférant dans un micro, en fabriquant à la chaîne des saletés en plastique ou des mines antipersonnel, c'est bien triste mais c'est ainsi dans l'hémisphère Nord et ce sera peut-être ainsi bientôt sur la Terre entière si nous ne réagissons pas vigoureusement... Nous vivons dans une société très morne, celle du gâchis de talent, de créativité, dans laquelle finalement, personne n'est à sa place. Mais c'est peut-être aussi pour cette raison que résiste la littérature, de plus en plus absurde dans un monde réduit à l'économisme, telle une plante rudérale, une fleur de décombres.

Tu as investi le web avec un blog littéraire très apprécié "Cuisine et dépendances". Vois-tu un bénéfice d'internet en terme de reconnaissance et d'audience, et cette pratique du blog a-t-elle une influence sur ton écriture ?

Pour moi, tenir un blog est une petite manie innocente, pas sérieuse, même si j'y parle parfois de choses sérieuses. Le blog, j'en donnerais aujourd'hui, en bientôt trois ans d¹exercice dont je n'ai tiré que des bénéfices, la même définition que celle que j'avais proposée au début à Anne Crignon qui m'avait interviewé pour le Nouvel Observateur : une sorte de salon où l'on cause et où l'on se construit un réseau tout en restant chez soi. Pour moi qui vis très retiré, c'est pratique pour échanger avec des lecteurs, d'autres auteurs, voire pour publier sans être obligé de s'intégrer à un groupe qui impose toujours plus ou moins des rites de passage. Sur internet, on prend ou on jette, on lit ou on ne lit pas. La reconnaissance, c'est le lecteur qui ne juge que le texte. L¹audience, c'est lorsqu'il revient avec des amis quand il est content. Le blog, contrairement aux revues, permet de mesurer soi-même cela avec des statistiques. Celles-ci semblent me sourire mais j'ai bien conscience des limites de cet outil qui n'influence pas mon écriture puisqu'il s'agit d'un simple support, certes  plus souple que le papier mais beaucoup plus volatil.  

 

Commentaires

J'espérais découvrir une petite part cachée de toi, Christian, et ma foi non, tu es à l'image des écrits de ton blog, tant mieux. N'aurais-tu aucun secret à nous dévoiler, bigre! Seul détail que je n'avais pas vu et heureusement que JJ l'évoque: "Cuisine et dépendances". Superbe ! Continue ton bonhomme de chemin, ça nous va bien.

Écrit par : Pascale | jeudi, 04 octobre 2007

Ne sois pas déçue, Pascale, car la petite part cachée n'est le plus souvent qu'un misérable tas de petits secrets ! Et comme nous tous, je continue plus sûrement le chemin du bonhomme que le bonhomme de chemin !

Écrit par : Christian Cottet-Emard | lundi, 08 octobre 2007

Bonjour JJN et CCM :)

"J'ai regretté toute ma vie de n'avoir pas pu devenir musicien, compositeur." C'est strictement mon cas, et j'ai souvent pensé à l'écriture (à mon humble niveau quoiqu'humble ne soit peut-être pas le terme le plus juste :)) comme quelque chose essayant en effet de singer la musique sans y arriver... Mais finalement peut-être pas au point d'être d'accord avec la phrase suivante :
"J'ai dû attendre de franchir la quarantaine pour accepter l'idée que la poésie ne pouvait rivaliser avec la musique." N'y a t'il pas quand même des propriétés poétiques que la musqiue ne peut rendre de son côté?

J'ai eu une pensée pour vous récemment, en parcourant "On vient chercher Monsieur Jean" de Tardieu.

Écrit par : OrnithOrynque | lundi, 08 octobre 2007

J'aurais parié, OrnithOrynque, en naviguant dans vos amples périodes, que vous étiez des grands nostalgiques de la musique, comme l'était aussi Jean Tardieu lorsqu'il titrait « Suite mineure », « Étude en de mineur », « Prélude pour Schumann », « Da capo »... Votre question m'emporte vers ce passage du texte de Tardieu, « La musique » :
« ... L'heureux demi-sommeil, qui croit soudain comprendre sans effort une langue inconnue ! Cent fois j'ai voulu traduire ce qu'ainsi j'entendais apparaître : cent fois j'ai perdu le souffle à courir sur des traces aussitôt recouvertes par d'autres. Cette poursuite exaltante était bien le Langage, lorsqu'il se meut jusqu'au bord de lui-même, lorsqu'il meurt à mesure qu'il change. Ah ! Comme il eût été vain de vouloir l'enchaîner de raisons ou de preuves, car c'était le profond vouloir de l'esprit au-delà des paroles en cendres, l'efficacité du désir sans retard, le miracle d'un long caprice qui sur un signe se réalise !... »

Écrit par : Christian Cottet-Emard | lundi, 08 octobre 2007

Cela est beau et résonne très juste. J'aime chez ce poète le mélange de simplicité et de profondeur. Je lisai hier précisément le passage de "On vient chercher... " où il raconte son expérience de la radio, de ce nouvel outil au service de la matière sonore - pas que la musique mais les premières créations proprement radiophoniques -, et si j'ai bien compris il est un des cofondateurs de France-Musique!

Pour revenir à l'idée musique/langage, une réponse possible de Gracq ("entrevu" par Jean Carrière, In "Qui êtes-vous Julien Gracq?" (Ed. La Manufacture) :

"Parfois il [l'écrivain] a l'impression que l'art des sons, ayant fait naître l'émotion comme peut-être aucun art ne sait le faire, abandonne l'auditeur au moment où la parole veut intervenir, pour cerner, formuler, fixer. Elle donne l'idée d'un état encore fluide de l'art, qui suscite l'émotion à l'état de totale disponibilité, et qui l'abandonne au moment où cette émotion voudrait cesser d'être la mer en rumeur, et chercher, en fait d'expression, une terre ferme."
Ensuite Gracq parle de son interêt pour l'Opéra en cela qu'il ajoute à la musique ce "supplément de signification" propre au langage...
D'une certaine manière, je suis un peu surpris de lire cela sous la plume de Gracq, car précisément, ce que j'aime chez lui, c'est tout sauf la tentative de chercher un sens, que je ne trouve d'ailleurs même pas dans ses textes - les romans du moins... C'est justement plutôt la musique, le style, l'univers, l'ambiance, les motifs, ensemble qui forme sans doutes un réseau de signification, mais à la limite presqu'à la manière d'une construction musicale...

Cette conception pourrait toutefois expliquer le tour qu'a pris sa oeuvre, en n'écrivant plus que des textes, toujours aussi beaux, mais avant tout explicatifs.

Sur l'dée de la musique à proprement parler, sa remarque n'est pas réellement une contradiction, puisqu'il reconnait que c'est bien elle qui dispose du plus grand pouvoir de suggestion.

Mais ne devenons pas trop sérieux, je suis bien d'accord avec votre dénonciation de l'esprit de sérieux - en dépit des apparences :) !

Bien à vous et à JJN!

Écrit par : OrnithOrynque | mardi, 09 octobre 2007

C'est avec beaucoup d'hésitations que j'interviens dans votre espace-temps pour ne dire qu'une chose très simple.
Comme on n'en fait plus beaucoup.
Nous sommes allé-e-s au Mali avec des élèves électriciens installer des capteurs sol(id)aires dans une commune rurale desenvirons de la ville de Kayes.

Voir notre blog.

Qu'en pensez-vous ?
-je me retire sur la pointe des p i e d s. C h u t ! -

Écrit par : HOUSEZ Pierre | jeudi, 01 novembre 2007

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