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samedi, 04 mars 2006

Comment j'ai écrit Le nom

medium_lfar41.jpgLe numéro 41 de La faute à Rousseau, revue de l’APA (Association pour l’autobiographie), vient de sortir. Pour cette livraison, dont le thème est « le nom », Philippe Lejeune, spécialiste de l’autobiographie (Le Journal intime, histoire et anthologie est son dernier livre publié aux éditions Textuel) et vice-président de l’APA, m’a demandé un texte relatif à l’écriture et à la conception de mon roman Le nom. Tout le dossier de la revue illustre la complexité des rapports entre un être et son patronyme.

 

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Comment j’ai écrit Le nom

Si Le nom (publié en 2005 aux éditions A contrario) est un court roman, donc une fiction, dont l’action se déroule en sept jours comme la création du monde avant un épilogue renversant, il rejoint bien des aspects de la recherche autobiographique par la mise en scène d’un narrateur – d’une grande proximité avec l’auteur – qui tourne avec vertige autour de son nom propre, autour de son moi réduit à son nom : un être qui se confond avec ses lettres.

Le nom, c’est d’abord un livre sur le livre, le roman d’un homme qui écrit un roman. Jusque-là, le thème peut apparaître peu novateur, il a été usé par des centaines ou des milliers d’écrivains. L’originalité, c’est la matière ou le matériau de l’œuvre : un seul nom, ou un seul mot, qui est le nom de l’auteur (jamais « prononcé » ou écrit explicitement dans le livre mais décrit de manière à ce qu’on le reconnaisse : rappel des caractéristiques phonétiques des quatre lettres utilisées, de leur place exacte sur un clavier « azerty » d’ordinateur) rétrogradé au statut de nom commun, élément brique de l’œuvre à venir.

En général, je reste longtemps sur un projet littéraire, roman ou recueil de nouvelles, parfois plusieurs années. Or, dans le cas du Nom, la conception et la rédaction ne m’ont guère pris plus de trois mois, certes d’une intensité inhabituelle. Ce projet a été véritablement dicté, il s’est imposé.

Il est né je crois à la fois de mon désir d’être reconnu (comme écrivain) et de mon échec littéraire. Or, être reconnu, c’est être connu, c’est donc la promotion de son nom propre. L’idée était la suivante : puisque l’on écrit des milliers de choses originales, dans la souffrance (l’écrivain accouche de son œuvre dans la douleur) pour devenir un homme célèbre, donc un homme dont la plupart des gens ne connaissent que le nom, pourquoi ne pas faire du nom le sujet même de l’œuvre ?

Au-delà de cette idée exploitée jusqu’à l’absurde, devenue trame romanesque jusqu’au retournement final qui est un retour à la réalité, je me suis rendu compte ensuite que cette œuvre était un hommage à mon père, qui m’a transmis le nom.

D’une certaine façon, faire œuvre autobiographique, c’est - dans l’espoir en général illusoire de le faire durer – parler d’un moi qui, s’il n’avait pas de nom, se dissoudrait dans la masse anonyme et n’existerait plus. L’autobiographie est bien, derrière l’anecdote de l’existence (souvent très commune, banale), l’affirmation et le développement du nom propre. Ce nom d’ailleurs ne nous est pas propre, il est celui d’une famille, d’une lignée (gros d’une histoire sédimentée, il redevient nom commun, celui d’une communauté), il a été essaimé au cours des siècles et des migrations en une multitude de foyers, dispersé et répandu. Mille fois mort, mille fois repris et continué, perpétué. L’alliance du nom et du prénom nous caractérise déjà mieux, réduisant le champ des porteurs du patronyme. Encore cela ne nous préserve pas des homonymes exacts ; rien n’empêche un Rousseau actuel d’appeler son fils Jean-Jacques.

Derrière l’ironie du propos, l’absurde de la situation, l’aspect autobiographique est très présent. Non seulement par le portrait de cet aspirant écrivain maniaque et plein de rites, dans un décor lyonnais qui est le mien, par des évocations de scènes de ma vie passée (la scène finale dans le cimetière est très réaliste), mais aussi par la relation de l’échec littéraire. Un échec aux dimensions extérieure (le héros du livre ne reçoit que des lettres de refus des éditeurs, des circulaires anonymes de surcroît) et intérieure : il n’a pas vraiment d’inspiration et passe plus de temps à rêver de sa gloire forcément future qu’à travailler sur son œuvre, il est plus obsédé par la réussite de sa carrière que par la réussite de son œuvre ; or, peut-on faire carrière sans le support et le moyen d’une œuvre ?

J’ai absolument conscience que ces idées ne peuvent être que celles d’un homme (au sens de masculin) et que cette œuvre n’aurait pu être écrite par une femme, car la continuité, la permanence du nom sont le privilège de l’homme, en une société fondée sur l’usage du patronyme. A partir de son nom de famille (ou selon l’expression consacrée, de jeune fille !), une femme aurait écrit une toute autre histoire, non que ce thème revête pour elle moins d’importance, mais elle le vit très différemment, pouvant changer au gré des alliances et des divorces plusieurs fois de nom dans sa vie. Je conçois également que l’usage du patronyme puisse être considéré comme le signe de la domination masculine à travers les siècles et qu’il soit aujourd’hui remis en cause. Pour autant, la récente loi sur le nom de famille, qui permet désormais aux couples de choisir librement le nom de la femme ou de l’homme pour la transmission aux enfants, méconnaît la dimension symbolique du nom dans la filiation, car si la femme porte l’enfant dans son corps établissant ainsi la plus absolue et irréfutable des origines, l’homme n’a d’autre ressource que de reconnaître l’enfant par le don du nom ; à cet égard, la nouvelle loi est moins le signe d’une égalité conquise des droits entre l’homme et la femme qu’un signe du processus continu d’affaiblissement de la place et du rôle du père dans la société – mais ceci mériterait d’autres développements et nous éloigne de notre sujet.

Bien évidemment, plongé dans le processus de création, aucune de ces idées ne m’a effleuré (et fort heureusement ne m’a freiné) ; on écrit dans une certaine opacité, dans une démarche non intellectuelle, à partir d’un certain point aveugle naît un texte dont la cohérence n’apparaît qu’après coup, celui-ci refroidi et distancé. Jusqu’à la dernière ligne, j’ai tenté de mener à terme une histoire absurde.

 

Commentaires

"puisque l’on écrit des milliers de choses originales, dans la souffrance (l’écrivain accouche de son œuvre dans la douleur) pour devenir un homme célèbre"

je n'aime pas cette vision de l'écriture, comme s'il fallait toujours souffrir pour créer, non. Vraiment non.

Écrit par : Calou | dimanche, 05 mars 2006

Moi non plus (salut Jean-Jacques, salut Calou !), moi non plus disais-je , je n'aime pas cette vision misérabiliste de l'écriture et de l'écrivain. Pour moi, l'écriture est un plaisir immense. C'est du travail, certes, un travail très minutieux et très patient, qui peut me vider de mes forces parfois, me rendre incapable de faire autre chose, ou alors mal, mais ce travail me procure une véritable jouissance. C'est le travail dans toute sa noblesse : celui que l'on a choisi, qui nous procure une saine fatigue.
Ce qui fait souffrir, c'est peut-être de voir ses textes refusés, ou mal compris, c'est de ne pas savoir s'ils ont été lus attentivement etc... Mais ça, ça n'a plus rien à voir avec "l'accouchement de l'oeuvre". C'est un aspect important que la publication (je n'ai pas honte de dire que c'est mon seul véritable but quand j'écris : être lu), mais en même temps ce n'est plus "écrire".
Pour ce qui est du nom et de la célébrité, c'est très intéressant ton analyse. J'ajouterai juste un petit témoignage, tout personnel : ce dont je rêve, moi, c'est d'être lu par beaucoup de monde, c'est que mes textes, sans faire l'unanimité (ce qui serait triste) puisse toucher un jour beaucoup de lecteurs, dans l'espace et dans le temps. Et je sais que si cela devait m'arriver, cela induirait la célébrité de mon nom. Or, je dois bien avouer que celle-ci ne m'intéresse absolument pas pour elle-même. Ce serait une "célébrité nécessaire" : pour que le public ait envie de lire d'autres livres d'un auteur qu'il a aimé, il faut qu'il connaisse ... le nom de cet auteur. Mais être connu personnellement, être identifié physiquement, interrogé publiquement sur différents sujets dans les émissions, voir ses habitudes, ses goûts, disséqués, commentés, critiqués, copiés, bref, sacrifier à tous ces rituels qui accompagnent inévitablement le succès dans notre société, non, ce n'est pas ça qui m'intéresse. J'ai beau chercher, je ne vois pas le plaisir que cela pourrait m'apporter. De même que laisser la trace de mon nom, ce nom porté par des ancètres que je n'ai pas connus pour leur immense majorité et qui, aussi bien, étaient des parfaits crétins (il y en a forcément eu, dans chacune de nos familles), non, vraiment, ce n'est pas ça qui me motive. Ce qui me motive dans l'écriture... c'est le plaisir d'écrire et d'être lu. Pas de laisser mon nom.

Écrit par : Roland Fuentès | dimanche, 05 mars 2006

Avant de donner mon petit point de vue dans cet échange que je trouve très intéressant, je voudrais d’abord affirmer en toute simplicité que le livre de Jean-Jacques est un grand livre qui révèle de manière très originale (et très crue) la part d’ombre de l’écrivain et je ne vois pas le moindre misérabilisme dans cette vision de l’écriture et de ce qui en déclenche le processus. Il s’agit plutôt d’une vision tragique qui n’a, à mon avis, jamais été exprimée avec autant de clarté et de force dans tout ce que j’ai pu lire aujourd’hui sur ce thème.
Je ne pense pas que Jean-Jacques défende l’idée qu’il faille souffrir pour créer (ou alors je l’ai mal lu). Quant à l’accouchement de l’oeuvre dans la douleur, c’est pour moi une évidence pour la simple raison que rien n’est donné dans ce que nous appelons la “création”, mot que j’emploie à contrecoeur puisque, comme l’écrit Henri Laborit dans son livre “L’homme imaginant”, “l’imagination créatrice ne crée probablement rien. Elle se contente de découvrir des relations dont l’homme n’avait point encore conscience.” Cette seule activité que nous continuerons par convenance de nommer “création” (littéraire ou autre) requiert un travail considérable auquel je ne trouve aucune noblesse particulière. Il est nécessaire, c’est tout. Ce travail, comme tous les travaux, est une “peine” comme disent les italiens, et il fait souffrir parce qu’il est difficile. Si je pouvais m’y prendre autrement qu’en travaillant pour écrire mes livres, je le ferais mais c’est impossible. C’est pourquoi je pense que ce travail, même “choisi” est une malédiction, certes moins aliénant que le travail subi, celui auquel on est astreint quand on n’a pas de fortune ou de rente personnelle. On accouche donc de l’oeuvre dans la peine, dans le travail, c’est-à-dire dans la souffrance. On n’y peut rien, c’est comme ça. C’est notre condition. Si quelqu’un a une solution de rechange, je suis preneur.
Quant aux notions de nom et de célébrité, elles sont pour moi essentiellement liées à l’argent. À part l’argent, la célébrité n’apporte rien de bon : elle expose à toutes sortes de risques, y compris à l’insécurité physique. Parlons plutôt de la notion de nom, beaucoup plus intéressante. Le nom est indissociable de la condition sociale. Les motivations d’un écrivain sont multiples. Je pense qu’elles sont le résultat d’un faisceau de déterminismes (un terme cher au professeur Laborit). En tentant d’examiner les miennes, j’ai fait de surprenantes découvertes qui n’avaient pas grand-chose à voir avec la littérature mais qui m’ont pourtant conduit à essayer de produire de la littérature. Et dans ces motivations qui m’ont animé très jeune, il y avait une tentative de résistance à la perte d’un nom et d’un statut social familial.
Afin de ne pas abuser de l’hospitalité de l’auteur du “Nom”, je développerai cela sur mon propre blog. Je compte sur ton indulgence, cher Jean-Jacques, pour m’être un peu trop étendu dans ton espace de commentaires !

Écrit par : Christian Cottet-Emard | lundi, 06 mars 2006

Salut Christian. Le roman de Jean-Jacques est excellent, je ne me suis pas privé de le dire.
En revanche, non, non, et non, je ne souffre absolument pas, moi, quand j'écris. On a évidemment tous des approches différentes, et des ressentis personnels, ça je veux bien le croire, mais ce qui m'embête c'est ce "on", qui est sensé représenter tous les écrivains. Non, moi je ne souffre pas. Il me faut passer environ dix heures à travailler sur une page pour qu'elle me satisfasse, mais ce sont dix heures de pur plaisir. C'est comme ça, quoi qu'en dise machin ou bidule que je ne connais pas et qui aurait peut-être eu raison s'il s'était contenté de parler pour lui...

Écrit par : Roland Fuentès | lundi, 06 mars 2006

Cher Roland
Il est vrai que le "on" porte toujours à confusion. Il n'exprime ici que ce qui m'apparaît comme une fatalité car l'idée de représenter tous les écrivains m'est bien sûr totalement étrangère.
De plus, je ne suis pas maso et s'il n'y avait pas de plaisir à écrire, je poserais tout simplement le stylo. Je dirais que j'ai plaisir à écrire quand je suis arrivé à dire ce que j'avais à dire et... quand j'ai terminé !

Écrit par : Christian Cottet-Emard | lundi, 06 mars 2006

Ouf, si je ne suis plus inclus dans ce "on", je respire mieux ! J'avais peur d'être obligé de soufrir moi aussi pour avoir le droit d'écrire (Il y a suffisamment de choses emmerdantes dans la vie, alors s'il fallait en plus que je soufre en pratiquant l'activité qui me plait le plus...).
Je corrige au passage ton contresens de tout à l'heure, Christian : la "vision misérabiliste", ça ne s'appliquait pas au roman de Jean-Jacques (j'espère que toi, Jean-Jacques, tu ne l'auras pas fait, ce contresens). Ça s'appliquait à ce cliché de l'écrivain "accouchant dans la souffrance", cliché que Calou venait de relever dans le billet de Jean-Jacques (et non dans son roman, dont le propos est heureusement beaucoup plus large que ça).

Écrit par : Roland Fuentès | lundi, 06 mars 2006

Jean-Jacques sait tout le bien que je pense de son roman.
C'est en effet Roland cette idée convenue que l'écriture est souffrance qui me dérange. C'est un travail, pas assez reconnu, qui demande des efforts, des privations, de l'humilité et se fait souvent dans une solitude terrible. De la à parler de souffrance, à vrai dire ça m'horripile, car je ne le vis pas du tout ainsi. Peut-être que les écrivains qui n'ont pas la pression de l'édition à tout prix s'en sortent mieux et "souffrent" moins?

Écrit par : Calou | lundi, 06 mars 2006

Il y a autant de manières d'écrire, et de ressentir l'écriture, que d'écrivains.
Qu'est-ce qui nous oblige à faire des généralités ? Qu'est-ce qui nous oblige à produire, et à reproduire, du cliché ?

La vie d'un écrivain, sa façon de se positionner par rapport à son art, son plat préféré, le nom et la généalogie de ses différentes maitresses, la musique qu'il apprécie, toutes ces choses et bien d'autres encore ne m'intéressent pas le moins du monde : ce qui m'intéresse c'est son oeuvre. Alors, savoir qu'untel puisse souffrir en écrivant alors que tel autre prend son pied comme moi, à vrai dire ce sont des choses qui ne m'intéressent pas puisqu'elles sortent de l'oeuvre. Je suis bien conscient d'être extrême sur ce point, et je n'oblige personne à l'être autant que moi. Les seuls écrivains dont la vie privée m'intéresse, ce sont ceux que je considère comme mes amis. Ceux-là oui, leur vie m'intéresse. Mais ce n'est pas en tant qu'écrivains qu'ils m'intéressent, c'est en tant qu'amis.

Écrit par : Roland Fuentès | mardi, 07 mars 2006

La petite vérole semble aussi contagieuse que le H5N1; elle vole de blog en blog à tire d'aile, pond sa petite crotte en acajou, lève une queue hirsute et va conter fleurette deux blogs plus loin.

Intriguée, j'ai suivi son photophore (déf : dispositif optique susceptible de réfléchir la lumière dans une direction donnée) et j'ai lu, dans une lueur : "Web-blog d'expression libre et énervée".

Eblouie, j'avoue m'être plongée illico et sans honte dans mon dico pour trouver la définition du mot susceptible que je vous offre : (pour les choses) qui a les qualités requises, à un moment donné, pour faire quelque chose.

En effet, le don doit être animal plus qu'humain. Le moment choisi plus délicat qu'une rose trémière. Dans ma troisième vie, j'aimerais être susceptible de devenir oiseau pour aller faire caca sur les petites histoires qui osent dire si merveilleusement merci à la culture.

Écrit par : la poulette | mercredi, 08 mars 2006

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