dimanche, 30 janvier 2005
Le pantin de la lune
J’ai découvert, avec amusement et une certaine stupeur, que j’étais – le comble pour un auteur ! – un personnage de fiction. Sur Bopy.net, Claude Jego nous livre des contes pour enfants, dont une série de trois histoires met en scène Nuel, un pantin de chiffon (cheveux bleus et yeux de verre) qui habite sur la lune.
Voici leur résumé :
NUEL - LE PANTIN DE LA LUNE : Nuel habite sur la Lune où il fait briller les étoiles. Il a trois amis sur la Terre : Capucine, Tom et Rémi avec qui il va vivre de passionnantes aventures. (15 pages)
NUEL ET LE PETIT MARTIEN : Un petit martien a été oublié sur la Lune par ses parents et il pleure car il a très faim. Nuel décide de l'emmener sur la Terre. (15 pages)
NUEL ET L'ANNIVERSAIRE DE POMPON : Nuel, Capucine, Tom et Rémi sont invités sur Mars et ils vont découvrir qu'un anniversaire martien est très surprenant. (15 pages)
Extraits choisis :
Nuel appréciait cette solitude, d'ailleurs comment pouvait-il en être autrement puisqu'il était le seul habitant de la Lune ?
Alors il fit une chose qu'il n'avait encore jamais faite, il ouvrit la bouche et s'entendit prononcer :
– Bonjour ! Mon nom est Nuel.
Tandis qu'il mettait la main devant sa bouche pour retenir les autres mots qui voulaient sortir, un juron retentit :
– Il est pas vrai, celui-là ! Il dégringole sur le toit de notre cabane, et il nous sort tranquillement : Je m'appelle « machin » !
– Tom ! dit une jolie petite fille. Pourquoi tu te mets en colère ? C'est mignon « Nuel ».
Les enfants grimpèrent sur le toit de la cabane, et se regroupèrent autour de Nuel.
– Tu t'es fait mal ? demanda Rémi. Comment il s'appelle déjà ?
– Nu-el, lâcha Tom qui ajouta : Tu parles d'un nom pour un garçon.
- C'est quoi des " bigoudis " ? demanda Nuel qui avait un peu de mal à suivre la conversation.
Tom, Capucine et Rémi jetèrent un regard sur les cheveux bleus tout ébouriffés du pantin.
- Laisse-béton, Nuel, dit Tom. Tu ne peux pas piger.
Il détailla d'abord le petit bonhomme de la tête aux pieds puis décida de lui parler :
- Je m'appelle Nuel, dit-il en s'avançant vers lui.
Le petit bonhomme parut si surpris en le voyant qu'il cessa de pleurer. Mais ça ne dura pas, il se mit à hurler :
- Je veux ma mamannnn !!!
Les enfants et le pantin restèrent pétrifiés. Cet homme avait découvert leur secret et il menaçait le pantin. Qu'allait donc devenir Nuel ? Allait-on le jeter dans une cage ?
- C'est une catastrophe ! s'exclama Capucine, horrifiée. S'il nous dénonce, Nuel et Pompon finiront leurs jours enfermés dans un laboratoire.
Elle avait l'air de trouver Nuel bizarre.
– C'est normal, il EST bizarre, lâcha Tom en enlevant les lunettes du nez du pantin. Il a les mêmes yeux que mon vieux lapin en peluche.
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jeudi, 27 janvier 2005
Le nouveau Journal de la Culture (n° 12)
Nouveau, le Journal de la Culture ? Pas vraiment, car il compte déjà 12 numéros. Nouvelle formule, assurément, depuis le n° 11, puisque le journal mensuel s’est transformé en revue bimestrielle, gagnant en présentation, en densité.
La véritable nouveauté de cette revue littéraire et culturelle (la littérature occupant la place essentielle) tient dans la diversité, l’ouverture et la liberté de ton, affranchie de ces dogmes qui plombent la vie culturelle et réduisent nos horizons livresques. A l’heure où le politiquement correct se décline en littérairement correct, alors que les luttes sectaires de chapelles et de réseaux rabaissent la critique littéraire à un vaste trafic d’influences, il est réjouissant de découvrir un espace libre réunissant des sujets aussi différents que Jean Ferrat et Jean-Marie Rouart, des études sur Proust, Marguerite Duras et Beckett, des articles de controverse sur Nabe, un cahier critique consacré à des auteurs aussi divers que Sylvie Germain, Henri Thomas, Renaud Camus ou Alberto Bevilacqua. Sans oublier la note d’humour « Contrefaçons », toujours réussie, due à D.J Zukry et Raphaël Juldé.
La revue tient les promesses de la belle profession de foi affichée en quatrième de couverture : « Ni guide ni vade-mecum du prêt-à-penser, éclectique, passionné, ouvert à toutes les tendances, nécessairement subjectif dans ses choix et ses approches éditoriales, le JC a pour seule ambition de donner à lire, à voir et à entendre en allant à la découverte – ou à la redécouverte – sans a priori ni parti pris, de la culture dans toutes ses composantes. »
On trouve dans le Journal de la Culture, animé par Joseph Vebret, un respect fondamental pour la création, une curiosité sans exclusive ni limite, qualités qui surprennent, enchantent dans l’univers étroit et convenu des magazines littéraires.
09:55 Publié dans Lectures | Lien permanent
lundi, 24 janvier 2005
La faute
Ce texte (une nouvelle?) paru dans Portraits d'écrivains n'est pas sans rapport avec le thème de mon roman Le nom, à paraître prochainement aux éditions A contrario : notre nom nous constitue - et je garde en moi, tenace, une drôle de conviction : qui touche à la lettre touche à l'être.
La faute
On a fait une faute d'orthographe à son nom. Immédiatement il l'a vue car immédiatement son œil s'est précipité sur la place de son nom dans la liste. Une faute énorme. Elle lui crève les yeux. C'est monstrueux. Il n'ose pas le croire, il n'ose pas le voir. Il y a sous ses yeux une liste de lauréats d'un prix littéraire, les lauréats depuis l'origine du Prix du Livre du Conseil général du département. Et parmi la vingtaine de noms il s'en trouve un seul mal orthographié, et c'est le sien. Il tourne et retourne le dépliant, fort bien fait au demeurant. Composition élégante, mise en page impeccable, couleurs discrètes et chatoyantes - un beau document promotionnel, mais il y a cette faute, la faute de cette faute. Elle porte en plus sur la première lettre de son nom, la seule qui soit en capitale. La première d'un nom de quatre lettres. L'initiale, celle qui le place dans l'alphabet, qui le classe dans l'ordre des lauréats, dans l'ordre du monde. Une faute capitale.
On a fait une faute d'orthographe à son nom. Il est atteint, blessé, anéanti. Pourquoi faut-il que cela tombe sur lui ? Il lui revient en mémoire un cas similaire, mais moins grave. Son pire ennemi est un sale écrivain de renom, il a un putain de nom italien avec deux l et deux t, une paire d'l, une paire de t. Souvent, et surtout au début de sa carrière, quand ce bellâtre était moins connu, on relevait dans un article de journal son nom avec une lettre en moins. Un l ou un t omis. Un nom légèrement raccourci, diminué. Mais l'erreur pouvait se concevoir car ni les critiques littéraires ni les secrétaires de rédaction ni les typographes n'ont l'habitude des patronymes italiens. Et cet oubli d'une lettre (une, rien qu'une sur huit) ne déformait pas le nom, ne le dénaturait pas. Phonétiquement on ne percevait aucune différence. C'était donc une faute mineure, passant généralement inaperçue, une faute de détail. Alors que dans son cas, la faute concerne la première lettre du nom (et d'un nom court, qui plus est), la consonne d'attaque, l'initiale. Cela change tout. Ce n'est plus le même nom, ce n'est plus le même homme. Sa mère, son père eux-mêmes ne le reconnaîtraient pas. Une lettre erronée sur quatre : une proportion énorme, vingt-cinq pour cent, un quart. Et comme il s'agit de la lettre capitale, d'une majuscule faite pour attirer le regard, le pourcentage de vingt-cinq pour cent doit être revu et majoré, il convient d'appliquer un coefficient multiplicateur, au final on n'est pas loin de cinquante pour cent. Oui, près de la moitié. Une moitié d'erreur sur un nom, sur un être. Une atteinte à son intégrité. Une entreprise de démolition. Un début d'extermination.
On a fait une faute d'orthographe à son nom. A quoi sert-il d'avoir le prix pour récolter cette infamie ? La courte joie de cette récompense a viré au cauchemar, sa journée est gâchée, sa semaine est gâchée, son année est gâchée, il n'aura pas trop de toute une vie gâchée pour oublier ce gâchis. Il aurait mieux valu ne jamais être distingué. Autant être un homme sans nom, un quidam. Ceux qui s'occupent de la culture et de la communication au Conseil général sont vraiment nuls. Comment ont-ils pu laisser passer ça ? N'y a-t-il personne pour relire ? Ou serait-ce une malveillance ? Serait-ce à dessein, par volonté de nuire, volonté de toucher au vif, auquel cas on ne s'est pas trompé. Tout est possible. Il n'a pas que des amis dans le département, ni dans le pays ; il a même d'anciens et solides ennemis comme ce putain de sale écrivain de renom tellement connu aujourd'hui que l'on n'écorche plus son nom. Il peut compter sur ses ennemis ; la haine a ceci de supérieur à l'amour qu'elle est indéfectible.
On a fait une faute d'orthographe à son nom. Qui a commis l'erreur ? Qui doit être châtié ? Contre qui porter plainte ? Comme d'habitude les responsabilités se diluent, se délitent ; l'attaché culturel du département accusera les maquettistes d'avoir mal saisi le nom, ceux-là diront qu'il était mal écrit et sujet à interprétation. Il n'y a rien à faire contre une machine administrative, contre une chaîne d'opérateurs qui renvoient la faute les uns sur les autres, sur l'avant ou sur l'après, de l'amont à l'aval tout fuit et se débine, et puis, il est trop tard. Ce dépliant a été diffusé, multiplié à des milliers d'exemplaires. Les librairies, les bibliothèques, les centres culturels en sont inondés.
On a fait une faute d'orthographe à son nom. On, toujours revenir à ce on, opaque, impénétrable. Ça le remplit de rage, d'une énergie de pure violence, inépuisable, qu'il ne sait contre qui diriger. Le voici réduit à tracer des mots sur une feuille blanche, à écrire sans fin, à la suite, pour vider sa rancœur, vider la querelle tout seul, faute d'ennemi identifié, tout seul contre ce on qui se dérobe, ce on tout rond qui n'offre aucune prise, aucune aspérité. On, ce pronom indéfini porte bien son nom, il est obscur, indistinct, commode pour dissimuler les coupables. Qui se cache derrière ? Sont-ils un, deux, plusieurs ? Quel sont leur visage, leur âge, leur sexe ? Qui est responsable, derrière ce on, derrière ce magma, ce pronom qui est à peine un mot, juste un son, une onomatopée marmonnée par dieu sait qui. Cet arbre cache toute une forêt. A l'abri de ce petit mot de deux lettres, tout le Conseil général du département se terre, aligné derrière à la queue leu leu sans une seule oreille qui dépasse, tous, les élus comme les fonctionnaires des services, les chargés de mission et cette cellule à la con qui s'occupe du Prix du Livre, avec la compétence que l'on sait ! Il est hors de lui. Il marche de long en large dans toutes les pièces de son appartement. Son corps est parcouru de tremblements et de tics. Il repense au discours suave et consensuel qu'il a prononcé dans les grands salons de la préfecture pour remercier le Conseil général de lui avoir décerné le prix. Ce jour-là, dans le magnifique décor un peu irréel, sous les lambris dorés et les lustres lourds, devant le parterre de personnalités et de journalistes, il a loué l'action culturelle de la collectivité, sa politique en faveur du livre ! Il a flatté les élus ! Il les a remerciés à plusieurs reprises ! Il leur a léché le cul ! Et voilà ce qu'il trouve en réponse : une faute d'orthographe à son nom. Une gifle. Un témoignage de mépris. Ce désastre lui ouvre les yeux. Il veut tellement être lisse, poli, civilisé, dans la norme et dans la règle, qu'on ne le distingue plus, qu'on ne le connait plus. Il devient transparent. On ne se souvient plus de son nom, on ne sait même plus l'écrire. Il va falloir qu'il arrête cette hypocrisie, ces beaux discours, ces faux-semblants, qu'il dise ce qu'il pense au lieu de mots convenus, factices et flatteurs, qu'il dise la vérité ; au moins on le remarquera, serait-ce pour s'en offusquer, et on lui prêtera enfin attention. On ne fera plus de faute d'orthographe à son nom. On le craindra. On aura peur de se tromper en écrivant son nom, on sera malade à l'idée de commettre une faute et on vérifiera, plutôt trois fois qu'une, on se relira, on se fera relire. On l'écrira en faisant gaffe, lentement, méticuleusement, en s'appliquant comme à l'école, la langue entre les dents, avec respect, avec un indéfinissable frisson dans le dos. C'est décidé. Rien ne sera plus comme avant. Plus de concessions. Il sera lui-même, clair, brutal, abrupt. On va l'entendre. Ils vont voir. Ils feront dans leur froc en pensant à lui, à sa vue ils se rouleront dans leur fange, il y aura de la merde jusqu'au plafond, ils écriront son nom avec leurs étrons, ils l'articuleront avec leur anus, ils le chieront sous eux, traçant les quatre lettres, une à une, gorgées de matière, sans la moindre faute et d'une forme impeccable, avec les pleins et les déliés.
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jeudi, 20 janvier 2005
La religion de l'inédit
Dans le numéro 33/34 de la revue Le Cri d’Os (dont la publication, qu’animait Jacques Simonomis, s’est aujourd’hui arrêtée), j’avais relevé une passionnante contribution de Jean l’Anselme, qui apparaissait comme un lointain écho à un éditorial de feue la revue Casse : la cinglante Edith O s’en prenait alors à la religion de l’inédit, dogme établi chez les directeurs de revues littéraires. Les auteurs connaissent bien ce problème, condamnés à ne proposer aux revues (voire aux sites littéraires en ligne) que de l’inédit, montrés du doigt s’ils publient le même texte dans un ou plusieurs autres périodiques.
« Que l’on m’oppose un « je ne peux pas publier votre texte car je n’en ai pas l’exclusivité » me fait toujours regimber. Quand un directeur reçoit par voie d’échanges toutes les revues, il peut se trouver agacé de voir ce qu’on lui offre semé déjà dans d’autres endroits, mais pense-t-il à la poignée de lecteurs de sa propre publication qui, n’ayant pas cet avantage, n’aura la veine de tomber sur le texte incriminé, qu’avec une chance de cocu ? Or, ce qui prévaut c’est l’intérêt du consommateur. J’ai beau argumenter que personne ne se chagrine de trouver la même information dans l’Obs, le Canard ou Libé, que ce que je propose procède aussi du désir d’informer, de prouver que je pense, que j’existe, que j’écris tout en souhaitant que le plus grand nombre le sache, personne ne m’écoute. »
Effectivement, personne ne s’offusque d’entendre la même chanson sur plusieurs antennes différentes, un film diffusé sur plusieurs chaînes, les mêmes invités à des émissions concurrentes ; seul l’excès de la diffusion nous fera crier au matraquage ! Pourquoi une revue qui tire à cent exemplaires exigerait-elle d’un auteur qu’il ne propose pas son texte à une autre revue qui aurait une autre aire de diffusion ? Et Jean l’Anselme d’enfoncer le clou :
« Sans compter que l’argent qui sert dans les autres domaines de la création à monnayer l’exclusivité, la propriété, n’a jamais été, chez les poètes, une monnaie d’échange. Notre récompense est une modeste gloire de fond de tiroir que l’exigence de l’inédit voudrait encore nous mesurer. Quand on songe au modeste lectorat d’une revue, on mesure l’écoute d’un texte inédit et la gloire qui rejaillit sur son auteur ! On est en droit de penser qu’en multipliant la publication de ce texte, cette gloire grandit dans les mêmes proportions. »
Ayant beaucoup publié de textes en revues, en ayant envoyé bien davantage, je garde en mémoire certaines exigences de responsables de revues - dont le tirage avoisine les 88 exemplaires, le public une vingtaine d’abonnés, et dont la présentation a tout du torchon cochonné -, qui conservent votre texte dans un tiroir, vous interdisant de le proposer ailleurs, et vous annoncent après plusieurs années qu’ils doivent cesser leur parution sans pouvoir publier le texte retenu (quand ils vous préviennent, car vous pouvez apprendre leur faillite par hasard). En proposant de « modifier notre constitution », Jean l’Anselme parle d’un véritable problème qui mérite d’être débattu. Manifestement, ici, l’intérêt de l’éditeur semble s’opposer à celui de l’auteur. Mais quel est l’intérêt du lecteur ?
07:25 Publié dans Humeurs | Lien permanent
lundi, 17 janvier 2005
Ecrire & Editer
Le Calcre et moi, c’est une longue histoire – dont je parlerai un jour plus à loisir. Une histoire d’amitié depuis 20 ans avec Roger Gaillard, qui est resté le président de cette association de défense et d’information des auteurs jusqu’à sa faillite et sa dissolution (la mise en règlement judiciaire ayant été prononcée à la suite d’un procès intenté par un ex-salarié). Toutes les activités du Calcre se sont donc arrêtées l’an dernier, notamment la publication du magazine bimestriel Ecrire & Editer, dont j’avais été longtemps l’un des collaborateurs.
Je viens de recevoir un courrier de Michel Champendal m’annonçant qu’il anime avec une dizaine de bénévoles une nouvelle association, Cose-Calcre, qui remplace feu le Calcre, et poursuit son action de défense des auteurs face aux éditeurs indélicats et sa mission d’information sur les arcanes de l’édition. Une telle nouvelle me réjouit, et les projets sont forts et cohérents : la tenue d’un stand au prochain Salon du Livre de Paris en mars, l’enrichissement du site internet, la parution prochaine (la renaissance du titre, pourrait-on dire) du numéro 50 d’Ecrire & Editer.
Pour le salon de Paris, Cose-Calcre prévoit d’éditer un numéro hors-série d’E&E « 2004 : une année d’édition – Bilan de l’année écoulée et perspectives pour l’année 2005 ». Comme j’ai été l’auteur du guide « La Revue mode d’emploi » paru au Calcre en 1999, et chroniqueur des revues littéraires dans le magazine, Michel Champendal me propose de rédiger un long article (7 feuillets de 1500 signes) sur le paysage éditorial des revues en 2004. Mais ayant cessé volontairement ma collaboration au magazine il y a trois ans, ne recevant plus de services de presse, et à vrai dire moins passionné qu’auparavant par le monde des périodiques, je pense n’avoir plus la compétence ni la connaissance suffisante pour l’écrire – et je viens de décliner cette offre.
La création de Cose-Calcre, la reprise des activités au service des auteurs, la renaissance d’Ecrire & Editer sont les bonnes nouvelles de ce début d’année.
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vendredi, 14 janvier 2005
N
Quelques grands écrivains ont un nom qui commence par un N : Nerval, Nietzsche, Novalis...
sans compter Nolière, Nateaubriand, Nallarmé, Nouellebecq...
07:09 | Lien permanent
vendredi, 07 janvier 2005
Like a Rolling Stone
En contrepoint de mon amour de la littérature, ma passion pour les Rolling Stones, depuis plus de trente ans. Je reproduis cet article paru dans Europe, sur une biographie qui m’a inspiré un roman humoristique inédit.
Rolling Stones, une biographie, par François Bon (éditions Fayard)
Aucun roman n’approchera jamais la vie des Rolling Stones, la vie de chacun des membres du groupe mythique, et surtout celle des deux âmes fondatrices, le noyau noir, Mick Jagger et Keith Richards. Faiblesse de la fiction, qui n’aura jamais l’imagination et la puissance de l’Histoire, ou du réel qui s’emballe. Ils auront tout connu, des premières piaules sordides aux paradis pour milliardaires, en passant par la case prison. Cent vies dans une seule, une légende au quotidien, où se heurtent les fuseaux horaires, les cultures, les rencontres essentielles : cette folie, cette frénésie, l’excès revendiqué (sexe drogue et rock ’n roll) comme image de marque, fondent l’histoire des Stones.
Ecrire la biographie de ce groupe était un pari difficile, risqué. On ne dira jamais assez à quel point François Bon a effectué un travail admirable, et fou, maniaque, d’avoir rassemblé une telle documentation, confronté les versions et les sources, recherché la vérité ou la vraisemblance, pour reconstituer un réel plus fort que toute fiction, composer à la fin une ébouriffante saga, avec toutes ses composantes, ses rebondissements et ses drames, gloire, amitié, trahison, déchéance, fourmillant d’anecdotes, de détails, une suite ordonnée de détails révélant à la fin, comme un puzzle reconstitué, une figure et son sens. 650 grandes pages bourrées de mots, pas d’iconographie, rien que des mots, mais il fallait une telle démesure, pour épouser celle de l’aventure musicale et sociale du plus grand groupe de rock ’n roll du monde.
Portrait du Londres des années 60, vivant, grouillant, novateur, avant qu’il ne devienne la vitrine touristique de ce qu’il a été, portrait des pays que les Stones traversent et conquièrent, défilé de figures et de destins croisés, cet ouvrage de lucidité patiente et méthodique est rendu possible par le recul historique, le phénomène aujourd’hui presque refroidi, bien que vivant encore ses prolongements répétés, les soubresauts de son cirque et de sa machine à dollars.
A quoi tient le succès des Stones ? La question est plus fondamentale qu’il n’y paraît. Un son original, fort et lourd, une présence scénique, un goût étudié pour le scandale. Et l’art de se renouveler dans la continuité pour durer. Mais cela ne suffit pas à forger une légende. Par la notation patiente de tous les faits, par le croisement de leurs fils, Bon démonte les arcanes d’une réussite, nous la décrypte : en plus de l’idée fixe et de la volonté sans faille des acteurs principaux, en plus du travail obstiné, il faut un singulier entrecroisement de hasards, de rencontres, de chances pour que les choses soudain « prennent », il faut se trouver aussi à un moment historique, dans le sens du mouvement des choses qui vont basculer, à l’endroit voulu, au moment voulu, et devenir le symbole de ce mouvement. L’extraordinaire succès des Stones n’est pas lié à la valeur individuelle de ses membres, chacun n’étant pas le meilleur de sa catégorie, c’est l’alchimie de leur groupe qui fait la différence et la supériorité radicale. Le rôle du collectif est affirmé dans la lente construction de la réussite : loin de l’image d’un écrivain qui œuvre dans la solitude, sans conseil ni témoin, les musiciens rock créent ensemble, progressent ensemble, se corrigent l’un l’autre, bénéficient des conseils et des critiques de tout un environnement : manager, producteur, arrangeur, techniciens du son, autres musiciens professionnels... Mais le phénomène exceptionnel de ce groupe, son occupation du temps (40 ans) et de l’espace mondial ne s’expliquent pas seulement par la valeur collective de ses cinq membres et de tout leur staff, même si l’on se rapproche ainsi de la vérité ; le succès des Stones, jouant sur la crête avancée de la vague qui les emporte et les dépasse, tient à un mouvement de foule, une hystérie collective, une mutation sociale qu’ils ont su pressentir, capter, incarner et précipiter.
Des scènes très dures, sans pitié, traversent et composent leurs vies. Théâtre de la cruauté, leur route, jonchée de laissés pour compte et de cadavres, se poursuit selon une sélection impitoyable, on ne s’encombre pas des amitiés, des amours, on emprunte toujours la voie la plus profitable sur le moment, quitte à renier, à abandonner, à trahir ceux qui vous avaient amené jusqu’ici, à jeter ceux qui vous ont servis et propulsés mais qui deviendraient des poids pour l’étape ultérieure. Les Stones eux-mêmes sont victimes de cette cruauté, sans considération pour leur statut d’idoles : l’héroïne et l’alcool qui les détruisent, la rapacité des producteurs qui les exploitent et détournent plus de la moitié de leurs bénéfices.
Musicien à ses heures, véritable amateur de musique (et la précision technique de son vocabulaire l’atteste, sa connaissance amoureuse des instruments et de la manière d’en jouer), François Bon a un immense respect pour le batteur Charlie Watts, une admiration pour Keith Richards, et il analyse très bien la spécificité du son des Stones, ce qui fait leur marque de fabrique : « Les guitares assurent la charpente du rythme, et la batterie chante sur la hachure des cordes, au lieu du contraire habituel, d’instruments qui se basent sur la cadence du batteur. » ; s’il rend compte ainsi de l’originalité musicale qui est l’une des composantes de leur succès, il n’insiste pas assez sur l’importance de Mick Jagger. Le chanteur n’est pas qu’une voix, c’est une manière de chanter, de danser, de paraître, et tout le visuel du groupe. Le spectacle, le sexuel et le scandale. Car sans Jagger, son intelligence intuitive qui tient aussi de la rouerie, son génie de l’air du temps, les Stones seraient devenus un grand groupe musical, mais un moindre phénomène.
On découvre dans cette somme considérable de puissantes perspectives historiques, l’analyse de mutations plus importantes par leur caractère de masse que les actions des chefs d’Etats : la libéralisation des mœurs, la révolution de la jeunesse (ce réveil qui se manifestera quelques années plus tard par Mai 68 en France), le déclin de la langue française, et donc de la culture française, par le formidable écho qu’ont rencontré les Beatles, les Stones et d’autres groupes anglais : ils ont durablement modifié l’équilibre mondial des langues, et assis la prééminence de l’anglais. La force d’une langue (et de la puissance linguistique dépend largement la puissance économique) tient surtout à ses artistes.
Une seule réserve : pourquoi cette écriture lourde (aggravée par les très nombreuses coquilles de cette première édition), d’une syntaxe contrariée, pourquoi se forcer à écrire relâché (un comble) ? Pour sacrifier à quelle mode ou se mettre à quel niveau Bon veut-il faire oublier qu’il est un écrivain ? Ou peut-être veut-il trop le prouver en cherchant un style rugueux qui épouse le sujet (l’équivalent du son des Stones ? un ton rock ?), ne créant finalement que des difficultés de lecture.
On passera sur cette réserve pour ne retenir que le roman fabuleux d’une époque, et quand cette époque a été celle de son adolescence, on s’approprie ce livre où, lisant l’histoire des années 60 et 70, et redécouvrant les galettes noires de vinyle qui sont nos petites madeleines de Proust, on se retrouve si loin de Londres ou du monde, dans un coin isolé de sa province, au temps de sa jeunesse, écoutant sur un pick-up Brown Sugar ou Jumpin’ Jack Flash pour rythmer ses rêves.
Paru dans Europe n° 883-884 (novembre-décembre 2002)
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