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mardi, 16 mai 2006

Revue de détail n° 3

Cette chronique est parue dans La presse Littéraire n°4 (mars 2006).

 

EUROPE n° 921-922, janvier-février 2006.

Les grands esprits se rencontreraient-ils ? La presse Littéraire et Europe publient au même moment un numéro spécial consacré à Marguerite Duras. Pour Europe, Duras figure désormais au panthéon des écrivains majeurs, et ce numéro prend des allures d’hommage. Si l’introduction d’Evelyne Grossman et Emmanuelle Touati commence par répertorier toutes les critiques faites du vivant de l’écrivain : « Que lui reprochait-on ? Pêle-mêle : une œuvre absconse réservée à quelques initiés, une œuvre cédant à la facilité, séduisant le grand public, produite trop vite, répétitive, le succès inattendu et planétaire de L’Amant, des jugements aussi péremptoires qu’intempestifs, des prises de position politiques plus viscérales que construites, un contentement de soi complaisamment exhibé, un sentimentalisme exacerbé qu’on ne pardonne plus qu’aux adolescentes, le personnage de pythie médiatique qu’elle jouait à la fin de sa vie : insupportable, indécente. », c’est en définitive pour dédouaner Duras de tous ses défauts : « ce masque protecteur d’un ego hypertrophié, cette statue d’elle-même qu’elle édifia de son vivant n’étaient que l’envers de la dépersonnalisation que nécessitait pour elle l’acte d’écrire ».

Comme d’ordinaire, la revue Europe livre un dossier fourni, introduit par un beau témoignage du metteur en scène Jacques Lassalle, suivi par des études universitaires, de nombreux articles  dont plusieurs s’intéressent au cinéma durassien, et un entretien avec Paul Otchakovsky-Laurens, qui fut l’un des derniers éditeurs. Une somme imposante, montrant la complexité de l’œuvre et de la personne, le trouble de la source de l’écriture que Duras elle-même qualifie d’une belle formule : « l’ombre interne que chacun porte en soi et qui ne peut sortir, s’écouler au dehors, que par le langage ». On apprend beaucoup sur cette œuvre brillante, subtile mais parfois complaisante.

L’autre temps fort de ce numéro est un article « Réflexions sur l’assimilation du stalinisme à l’hitlérisme » par François-Xavier Coquin, professeur honoraire au Collège de France. Récusant l’assimilation des deux régimes totalitaires, s’opposant à Hannah Arendt et à sa condamnation conjointe des deux régimes qui auraient, selon elle, « banalisé le mal », Coquin veut démontrer que malgré leurs ressemblances apparentes, ces deux systèmes politiques diffèrent par leur nature et leurs intentions. Mais l’enfer, on le sait, est pavé de bonnes intentions, et, si cet article est une critique intéressante de notre démocratie occidentale dont il relativise les mérites, et une juste réhabilitation du peuple russe,  il se révèle aussi, comme en creux, d’une indulgence gênante envers le stalinisme, passant sous silence les millions de morts et les crimes communistes.

Europe, fondée sous l’égide de Romain Rolland, et qui compta parmi ses animateurs Louis Aragon, Jean Cassou, Paul Eluard, Elsa Triolet, Jean Guéhenno, a récemment passé le cap de son 80e anniversaire. Depuis sa fondation en 1923, elle a publié plus de 900 numéros. Une version numérisée, interrogeable en texte intégral, des numéros parus de 1923 à 2000 est désormais disponible sur DVD - une grande première dans l'édition numérique - au prix de 130 € (abonné à la revue) ou 180 € (particulier non abonné). Un évènement dans l’histoire des revues littéraires.

 

Europe, 4 rue Marie-Rose, 75014 Paris. 380 pages, 18, 50 €. www.europe-revue.info

 

 

HAUTEURS n° 17 et 18

La dernière livraison de cette revue trimestrielle, sous-titrée « revue littéraire du Nord et d’ailleurs », animée par Gilbert Millet et Rozsa Tatar, s’intitule « Le goût du péché ». Elle regroupe des études, des pages de grands auteurs du passé et les textes des lauréats d’un concours de nouvelles organisé par la revue sur ce même thème. « Ce n’est pas sous un angle chrétien que nous avons choisi d’aborder le péché mais sous celui, plus pervers peut-être, plus réjouissant sans doute, du plaisir », confesse Gilbert Millet, qui avoue ne pas être porté au mysticisme. On pourra n’être pas entièrement d’accord avec son analyse, assez conventionnelle, et qui condamnant le manichéisme traditionnel en pose un autre : celui qui opposerait « libertinage intelligence lumière et Renaissance » à « religion mystique ténèbres et Moyen Age », alors que la réalité est bien plus nuancée et que la spiritualité peut faire alliance avec l’intelligence ou l’érotisme (Bataille), mais on a plaisir à relire quelques classiques de la littérature dans ce numéro.

Hauteurs nous donne donc à lire, à côté de jeunes nouvellistes (dans un souci qu’il faut saluer de mêler écrivains consacrés et auteurs à découvrir), des extraits connus ou moins connus de notre histoire littéraire, signés Rabelais, Saint-Evremond, Restif de la Bretonne, Antoine Houdar de la Motte, et un formidable fragment des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Dommage que parmi un choix de proses de libertins ne figure pas le meilleur d’entre eux, Crébillon fils, dont Les égarements du cœur et de l’esprit ou La nuit et le moment sont des chefs d’œuvre trop méconnus.

Le numéro précédent, « De la fantasy au fantastique », contient une riche anthologie d’auteurs de tous horizons, William Morris, Robert Howard, Johan Heliot, Nancy Kress, Michael Marshall Smith. Denis Labbé nous propose cette définition claire des genres : « Si les mots fantaisie et fantastique ont la même étymologie, comme fantôme ou fantasme, ils apparaissent comme des genres littéraires différents. En effet, la fantasy est le genre du surnaturel accepté, tandis que le fantastique est le genre du surnaturel en rupture. Dans le premier, les personnages voient des manifestations merveilleuses sans en être pour le moins intrigués, puisqu’elles sont dans l’ordre des choses à l’intérieur d’un univers merveilleux, alors que dans le second, les personnages sont heurtés par ces apparitions qui les dérangent, les inquiètent voire les épouvantent. »

Depuis l’origine, la revue est abondamment illustrée, et notamment par Patrick Meric, Alain Valet, et l’excellente Rozsa Tatar. Elle se révèle un lieu d’accueil pour les nouvelles plumes, d’auteurs ou de dessinateurs. Hauteurs, sans perdre le Nord, a su s’ouvrir à d’autres horizons et à des thèmes universels et prépare un numéro sur la francophonie.

 

Hauteurs, 61 avenue de Liège, 59300 Valenciennes. 142 pages, 10 €. www.hauteurs.fr

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