Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 20 mai 2016

Que gagne-t-on à publier des textes dans les revues littéraires ?

Les bénéfices de la publication en revues, par Jean-Jacques Nuel

revues littérairesQue gagne-t-on à publier des textes dans des revues littéraires ? De la reconnaissance, de la célébrité, de l’argent, un passage facilité vers l’édition ? Quelles en sont les éventuelles retombées ? Une question que doivent se poser tous les auteurs débutants. Et une question que je me posai encore récemment, en recevant un message de Poésie Première m’annonçant la publication de l’un de mes textes dans son dernier numéro.

Je ne sais pas trop ce que l’on gagne, mais une chose est sûre : on gagne de moins en moins. Au pire, pas même un exemplaire gratuit en tant qu’auteur ! Pas même un justificatif ! Dans son message, la responsable de Poésie Première (revue plus généreuse du temps où elle était dirigée par Robert Dadillon) m’indiquait que j’avais la possibilité d’acheter un ou plusieurs exemplaires auprès du trésorier, à un prix préférentiel spécial auteurs (quand même !).

L’année précédente, la même offre m’avait été faite par Les Cahiers de la rue Ventura, qui m’avaient demandé d’acheter le numéro auquel je participais.

D’autres revues omettent tout simplement de prévenir l’auteur que ses textes ont été retenus et publiés. J’ai ainsi découvert par hasard certaines de mes publications (dans Le Journal des poètes, Le Spantole, Écrits du Nord…) – oubli qui peut être le fait d’une négligence ou d’une mauvaise organisation. Je n’oublie pas que ces périodiques reposent sur le bénévolat et la bonne volonté des organisateurs, ce qui peut expliquer un manque de professionnalisme. Dans ces derniers cas, j’ai pu obtenir un exemplaire en le réclamant.

 

En France, selon un principe tacite et admis, les collaborateurs des revues littéraires ne perçoivent ni rémunération, ni droits d’auteur. Pour une raison essentiellement économique : ces périodiques de faible diffusion reposent sur un comité de rédaction bénévole et ne disposent que d’un maigre budget – contrairement aux magazines, au plus fort tirage, qui rétribuent les articles selon leur nombre de signes.

Il en va autrement dans d’autres pays, notamment au Québec, où, pour chacune de mes collaborations à Moebius, la revue m’a fait signer un contrat puis m’a envoyé un chèque.

Jusqu’à des temps récents, sauf rare exception, les revues littéraires envoyaient au moins un exemplaire justificatif à l’auteur (parfois deux), pour le remercier d’avoir participé au numéro. C’était de l’ordre du geste et de la bonne pratique. Certes, le responsable de la publication exerçait souvent sur l’heureux auteur élu une amicale pression pour prendre un abonnement, ou pour acheter quelques exemplaires supplémentaires ; de telles sollicitations sont normales et compréhensibles quand on connaît les difficultés financières que rencontrent les revues. Pour ma part, quand on ne me forçait pas trop la main, j’ai pris de nombreux abonnements pour soutenir le monde fragile des périodiques littéraires.

L’envoi d’un exemplaire justificatif ne semble donc plus aujourd’hui une règle intangible. Cette nouvelle pratique, heureusement marginale, qui consiste à faire payer les auteurs pour leur envoyer la revue, est choquante et difficilement admissible ; elle apparaît comme une forme minimale de compte d’auteur. Je n’ignore pas les difficultés que rencontrent les animateurs de revues (comme les petits éditeurs), mais la dureté des temps ne justifie pas tout.

Le moins que l’on puisse exiger d’un directeur de revue, comme du responsable d’une anthologie ou d’un almanach, c’est qu’il envoie un exemplaire justificatif gratuit aux auteurs du numéro. Ce principe devrait être adopté par tous et faire partie d’un code des usages partagé.

 

Ces réflexions et ces petites contrariétés ont été pour moi l’occasion de faire un bilan de mon « passage en revues ». Depuis mes débuts dans la littérature, le monde des revues m’a passionné ; je voyais en elles un laboratoire des écritures, une pépinière de nouveaux talents, un lieu d’échanges et d’informations, même si certains titres m’apparaissaient trop fermés sur une chapelle, d’autres au contraire trop ouverts au tout-venant. La difficulté pour l’animateur d’une publication est de concilier ouverture, accueil de nouvelles écritures, ligne éditoriale cohérente et exigence de qualité. Pour aider les créateurs de périodiques dans leurs formalités règlementaires, j’ai rédigé, à la demande du Calcre, un guide pratique, La Revue, mode d’emploi, publié en 1999 et réédité par L’Oie plate en 2006. Dans le magazine Écrire & Éditer, aujourd’hui disparu, j’ai tenu longtemps une chronique des revues littéraires. Pris par le virus, j’ai créé ma propre revue, Casse, bimestrielle puis trimestrielle que j’ai animée sur 21 numéros de 1993 à 1996 – soit en des temps plus favorables pour les périodiques, puisque je dépassais les 200 abonnés, ce qui semble assez rare aujourd’hui.

Je ne saurais faire le compte exact de mes collaborations en revues (papier ou en ligne), mais le nombre est proche de 400. Le tout sur quarante ans, tout de même ! Une trentaine de textes d’humour au magazine Fluide Glacial (mes seules collaborations en France à être payées), une centaine d’articles critiques, et plus de 250 textes de création répartis sur une centaine de titres. J’ai eu la chance d’être accueilli dans de grandes revues, L’Infini (Gallimard), L’Atelier du roman (Flammarion), Europe pour quelques articles, les revues de nouvelles Harfang ou Nouvelle Donne, les revues canadiennes Moebius, XYZ ou belges (L’Arbre à paroles, Le Journal des poètes, Archipel, Traversées…) ou de belles revues françaises comme Le Paresseux, Arpa, Midi, Triages, N47

Qu’en ai-je retiré ? De grandes satisfactions ponctuelles, assurément. Paraître au sommaire d’une revue renommée, entre des noms reconnus ou admirés, est un encouragement pour un jeune auteur, et une joie pour tout écrivain. Une joie redoublée quand l’objet est bien réalisé, de belle facture et illustré par de talentueux artistes. Cependant, pour un auteur, le plaisir de publier un livre (devenir pleinement auteur et non co-auteur) sera toujours infiniment supérieur à celui d’une collaboration en revue. Un livre demeure ; un numéro de revue, soumise à la périodicité, tient de l’éphémère.

En fréquentant ce microcosme, j’ai fait aussi des découvertes, j’ai noué des échanges littéraires avec d’autres auteurs. Ai-je gagné un lectorat ? Rien n’est moins sûr. Je pense que les revues ont fait circuler mon nom (« On vous a vu au sommaire », « Votre nom me dit quelque chose ») mais ne m’ont pas apporté beaucoup de lecteurs. Le public des revues littéraires s’est beaucoup réduit ces dernières années, et l’avènement de l’internet n’est pas la seule raison de cette désaffection. Qui les lit vraiment, à part une poignée d’abonnés, les animateurs d’autres revues et les chroniqueurs chargés d’en rendre compte ? Leur public comprend davantage d’auteurs intéressés par la publication de leurs propres textes (et qui n’ont parfois pas même la curiosité de découvrir leurs voisins au sommaire !) que d’amateurs désintéressés de littérature. Le milieu reste étroit, confidentiel.

On dit aussi que la publication en revues serait une porte d’entrée vers l’édition. Une stratégie pour être remarqué par un grand éditeur. On cite quelques cas. Je ne l’ai malheureusement jamais vérifié. Si j’ai trouvé des petits éditeurs pour mes manuscrits, c’est en leur envoyant directement mes œuvres, et je ne pense pas que mon abondante « bibliographie revuistique » ait pesé de quelque poids dans la balance.

Le constat peut paraître amer et désabusé, mais avec le recul de toutes ces années, je retire de ma participation aux revues, malgré quelques satisfactions, un certain sentiment d’inutilité.

 

Commentaires

je partage hélas votre analyse !

Écrit par : janine Gdalia | samedi, 21 mai 2016

Analyse lucide, hélas ! Pour ma part il y a longtemps que je ne publie plus, ou presque, en revue. Je devrais, parfois. Je regrette pour certaines, comme ARPA, qui fait un remarquable travail sous la houlette de Gérard Bocholier. J'ai chroniqué dix ans dans cinq revues, dont trois régulièrement. Dès que j'ai arrêté pour enfin écrire pour moi, pas de numéro servi en remerciement, sauf deux ou trois numéros de FRICHES. Et plus un mot des animateurs. Quant aux auteurs, il ne m'envoient plus de SP mais, pour certains, des... bons de commande ! Je passe sur la délicatesse. Ma pratique de la revue (depuis 1973 à ZONE, que j'ai co-animée avec Arnaudet, Villard et Benoît-Jannin), explique ma mauvaise opinion de la scène poétique française.

Écrit par : Michel Monnereau | samedi, 21 mai 2016

Comme en poésie envoie toujours et depuis 16 ans un exemplaire à ceux que je publie, c'est la moindre des choses. Quant au profit qu'on peut tirer d'un passage en revue, nul ne peut le dire vraiment, mais je pense qu'il y a tout de même un retour, et c'est heureux

Écrit par : lesieur | dimanche, 22 mai 2016

Bonjour,

À telle question, la réponse ne peut être qu'amère et désabusée. Écrire même sans obtenir les congratulations des publics ne me semble jamais inutile. Par contre certains constats le sont totalement lorsqu'ils s'en prennent aux travaux des autres...

Écrit par : Lieven Callant | mardi, 24 mai 2016

Sujet complexe qui me laisse moins d'amertume que toi.

Je suis sur le fond d'accord avec toi, mais pour avoir animé moi aussi une revue pendant 5 ans (Le Grognard) et participé à promouvoir d'autres projets (Revue Chiendents et Almanach aux éditions nantaises du Petit Véhicule) j'ai pu constater que le problème est plus complexe que cela.

J'ai toujours pensé l'aventure "revue", comme étant une aventure collective, sorte de gros pique-nique où chacun apporte un plat. L'idée n'étant pas de savoir qui va tirer profit de l'affaire, mais plutôt découvrir des choses ensemble, des auteurs, des textes, créer des rencontres, des dynamiques qui aboutiront peut-être sur d'autres projets, d'autres livres... J'ai aussi publié dans pas mal de revues. Je ne sais pas si j'y ai "gagné du lectorat", je sais en tout cas que je n'y ai pas gagné d'argent, mais je n'ai pas fait ça pour ça. J'y ai gagné de belles rencontres et c'est l'essentiel.

Quant à l'exemplaire gratuit envoyé aux auteurs, là aussi je suis partagé. Il faut savoir que beaucoup de revues vivent avec un budget minime. Quand nous faisons un almanach avec le Petit Véhicule par exemple et que cet almanach rassemble les textes d'une cinquantaine d'auteurs, si on envoie déjà un exemplaire gratuit à chaque auteur (avec frais de port qui vont avec) la messe est déjà dite. D'autant que sur ces cinquante auteurs, on sait très bien que trois ou quatre seulement vont vraiment être dans une logique d'échange, de partage, d'aventure commune. Les autres n'ont qu'un souci : faire paraître leurs petits bijoux. Le fait que ces auteurs là soient sollicités pour acheter un exemplaire ne me choque pas : ils ne sont pas dans l'échange, tant pis pour eux.

Tout ceci fait que, contrairement à toi, je tire finalement un bilan assez positif de tout ce que j'ai pu vivre avec les revues. Peut-être parce que je n'en attendait aucune utilité justement et que tout ce qui en est ressorti n'a été pour moi que du bonus (par exemple croiser la route d'un certain JJ Nuel dont je n'aurais sans doute jamais entendu parler autrement).

Au plaisir

Stéphane

Écrit par : stephane Beau | mardi, 31 mai 2016

Bonjour Jean-Jacques,

L’intérêt du passage dans les revues pour un homme de plume, c’est de voir se multiplier les plumes autour lui…Même si à la fin, il ressemble plus à un pigeon qu’au truc de Zizi Jeanmaire.

Salutations

Fabrice

Écrit par : Marzuolo | lundi, 06 juin 2016

Bonjour Jean-Jacques,

Le passage en revue, c’est habiter la banlieue parisienne quand on n'a pas les moyens de vivre dans le septième (ciel) à Paris! Avec toutefois des proprios de plus en plus exigeants quant aux places dans leurs piaules, sous prétexte que leur turne n’est qu’à quelques encablures de la rue Sébastien Bottin.
Bon marché.

Fabrice

Écrit par : Marzuolo | mardi, 07 juin 2016

Bonjour les revuistes,

Les revues de poésies sont indispensables toutefois comme les revues sur les animaux qui ne sont pas indispensables aux animaux.

Amitiés à nos amis les poètes.

Fabrice

Écrit par : Marzuolo | mercredi, 08 juin 2016

Bonjour Fabrice,

Les revues c’est chouette, tu arrives comme dans une salle de classe, tu t’assois au fond, souvent il faut écouter un type sur l’estrade qui fait défiler ses potes, tu dois applaudir ou tu sors. Le lendemain, c’est un des potes encensés la veille qui tient le crachoir et qui salue le talent de celui qui lui cirait les pompes pas plus tard que hier, là encore si ça ne te plait pas tu sors… Et quand tu n’es pas de leur avis, c’est que t’es un gros naze de nombriliste qui ne pense qu’à sa gueule ! Alors qu’eux s’exposent pour penser aux autres, bien sûr.
-Bonjour Fabrice, tu vas bien
-ça va...Je profèrerais avoir un violon, c'est plus pratique pour pisser.

Écrit par : Marzuolo | mercredi, 15 juin 2016

Les commentaires sont fermés.