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jeudi, 10 juillet 2008

Une signature aux Nouveautés

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Souvenirs : voici bientôt près d'un an que la librairie des Nouveautés, sise au 26 place Bellecour à Lyon, a fermé ses portes. Ce haut lieu de la vie littéraire lyonnaise est très regretté par les lecteurs et les auteurs. Pour rendre hommage à Robert Bouvier et à son équipe, je remets en ligne cette note du 9 avril 2005 relative à la signature de mon roman Le nom, effectuée aux Nouveautés le 30 mars de cette même année.



(Journal du Nom, chronique d’une parution : séquence sixième)

L’un des moyens les plus courants par lequel un auteur peut participer à la promotion de son livre est la séance de signature. Mais tout auteur n’est pas une gloire comme Amélie Nothomb pour laquelle les organisateurs doivent, lorsqu’elle signe dans une grande surface ou un salon du livre, canaliser ses fans derrière des barrières métalliques – et la cérémonie aura généralement une allure plus modeste et conviviale. Un de mes amis écrivain notoirement moins célèbre avait pour promouvoir ses ouvrages programmé une tournée de signatures dans la région, sans négliger de petites librairies, de petites bourgades, pour un résultat assez décevant, me confiait-il. Pour ma part, je ne suis guère amateur de ce type de cérémonie (est-il une épreuve plus décevante, plus déprimante, que d’attendre en vain le chaland, sous le regard désolé et compatissant du libraire, interminables moments où l’on prend conscience de son néant, de son inutilité ?) ; en dehors d’une présence ponctuelle dans certains salons du livre où il m’arrivait de dédicacer un ouvrage à l’occasion, j’avais effectué à Lyon une discrète signature à la librairie Nouvelle, aujourd’hui disparue, pour Noria, en 1988, et une collective à la Condition des Soies, à la Croix-Rousse, pour Immenses, en 1989 – à la demande expresse des éditeurs respectifs. Les deux séances de signatures les mieux préparées à Lyon, les plus satisfaisantes, se sont déroulées toutes deux à la librairie des Nouveautés, animée par Robert Bouvier au 26 de la place Bellecour. La première avait eu lieu en 1984 pour la sortie de Du pays glacé salin, chez Cheyne ; le libraire m’avait consacré toute une vitrine, avec mes recueils en nombre et une grande photo. Je fis une seconde signature aux Nouveautés le 30 janvier 1998, pour la biographie Joséphin Soulary, poète lyonnais, le hasard, qui ne fait pas les choses au hasard mais selon une logique secrète, ayant voulu que le libraire habite la maison même de Soulary.
En refaire une pour Le nom ? Et où ? Je repris contact avec Robert Bouvier, qui à l’annonce de la prochaine parution de mon roman, me proposa spontanément de le signer chez lui. Il restait à choisir une date : ce fut le 30 mars. Pour l’annoncer, j’envoyai quelques cartons d’invitation, des communiqués à la presse locale, à quelques sites internet.
Le jour dit, le libraire (et ses assistantes) avaient bien fait les choses : une vitrine entière était remplie de mes livres, avec de belles affiches réalisées par l’éditeur. Je disposais d’une petite table ornée d’un bouquet de fleurs, et une bouteille de vin blanc fut ouverte pour régaler mes acheteurs. Pendant deux heures se succédèrent mes lecteurs, pour la plupart des gens m'ayant connu dans d'autres circonstances, car Lyon et moi, c'est une longue histoire.

Cette parution est l'occasion de renouer avec de nombreuses personnes qui ont compté dans ma vie, avec lesquelles les liens s'étaient relâchés, atténués, par la simple épreuve du temps, l'usure des jours, un peu comme des chemins qui, à force de ne plus être fréquentés, se recouvrent d'herbe, se referment, et dont on perd par endroits la trace. Membres lointains de ma famille, amis éloignés dans le temps ou l’espace, anciens collègues de travail, poètes et nouvellistes croisés au hasard des publications ou des salons littéraires, bref une liste de connaissances au souvenir desquelles je me rappelle. Ou qui se rappellent à moi...
Ainsi, le 30 mars, lorsque j’arrivai devant la librairie pour prendre les photos ici reproduites, un couple d’anciens collègues de la Direction des affaires sanitaires et sociales avec lesquels je travaillais à la fin des années 70, contemplaient la vitrine en m’attendant. Plus tard, une femme vint me faire signer deux de mes livres « pour son frère Patrick, que j’avais connu à la fac ». Je n’avais en effet jamais revu cet ami d’études depuis trente ans. Etrange que ces personnes non invitées, dont j’avais perdu la trace, viennent à moi à la suite d’une annonce dans un journal ou d’une affiche à la librairie. C’était un peu ma vie en raccourci qui repassait devant mes yeux, le passé venant se superposer au présent comme les deux pans d’un drap se repliant.
Cette manifestation, chaleureuse et sympathique, n’a pas été un franc succès, du moins en ce qui concerne les ventes, situées bien en deçà de celles du « Joséphin Soulary ». S’il fallait en chercher les causes (car on veut toujours tirer des enseignements, lesquels servent d’ailleurs très peu pour l’avenir, les conditions ne se répétant jamais), j’en isolerais deux : la date relativement tardive de cette signature par rapport à la sortie du livre, qui a conduit certains de mes lecteurs lyonnais à ne pas attendre cette date pour acquérir l’ouvrage, soit par correspondance soit en librairie ; la difficulté de plus en plus réelle à obtenir des articles dans la presse locale, que ce soit des critiques de l’ouvrage ou des annonces de la manifestation. Mais, ne serait-ce que pour l’accueil du libraire, la joie des retrouvailles et des échanges, je finis enchanté de ma journée.

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samedi, 04 mars 2006

Comment j'ai écrit Le nom

medium_lfar41.jpgLe numéro 41 de La faute à Rousseau, revue de l’APA (Association pour l’autobiographie), vient de sortir. Pour cette livraison, dont le thème est « le nom », Philippe Lejeune, spécialiste de l’autobiographie (Le Journal intime, histoire et anthologie est son dernier livre publié aux éditions Textuel) et vice-président de l’APA, m’a demandé un texte relatif à l’écriture et à la conception de mon roman Le nom. Tout le dossier de la revue illustre la complexité des rapports entre un être et son patronyme.

 

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Comment j’ai écrit Le nom

Si Le nom (publié en 2005 aux éditions A contrario) est un court roman, donc une fiction, dont l’action se déroule en sept jours comme la création du monde avant un épilogue renversant, il rejoint bien des aspects de la recherche autobiographique par la mise en scène d’un narrateur – d’une grande proximité avec l’auteur – qui tourne avec vertige autour de son nom propre, autour de son moi réduit à son nom : un être qui se confond avec ses lettres.

Le nom, c’est d’abord un livre sur le livre, le roman d’un homme qui écrit un roman. Jusque-là, le thème peut apparaître peu novateur, il a été usé par des centaines ou des milliers d’écrivains. L’originalité, c’est la matière ou le matériau de l’œuvre : un seul nom, ou un seul mot, qui est le nom de l’auteur (jamais « prononcé » ou écrit explicitement dans le livre mais décrit de manière à ce qu’on le reconnaisse : rappel des caractéristiques phonétiques des quatre lettres utilisées, de leur place exacte sur un clavier « azerty » d’ordinateur) rétrogradé au statut de nom commun, élément brique de l’œuvre à venir.

En général, je reste longtemps sur un projet littéraire, roman ou recueil de nouvelles, parfois plusieurs années. Or, dans le cas du Nom, la conception et la rédaction ne m’ont guère pris plus de trois mois, certes d’une intensité inhabituelle. Ce projet a été véritablement dicté, il s’est imposé.

Il est né je crois à la fois de mon désir d’être reconnu (comme écrivain) et de mon échec littéraire. Or, être reconnu, c’est être connu, c’est donc la promotion de son nom propre. L’idée était la suivante : puisque l’on écrit des milliers de choses originales, dans la souffrance (l’écrivain accouche de son œuvre dans la douleur) pour devenir un homme célèbre, donc un homme dont la plupart des gens ne connaissent que le nom, pourquoi ne pas faire du nom le sujet même de l’œuvre ?

Au-delà de cette idée exploitée jusqu’à l’absurde, devenue trame romanesque jusqu’au retournement final qui est un retour à la réalité, je me suis rendu compte ensuite que cette œuvre était un hommage à mon père, qui m’a transmis le nom.

D’une certaine façon, faire œuvre autobiographique, c’est - dans l’espoir en général illusoire de le faire durer – parler d’un moi qui, s’il n’avait pas de nom, se dissoudrait dans la masse anonyme et n’existerait plus. L’autobiographie est bien, derrière l’anecdote de l’existence (souvent très commune, banale), l’affirmation et le développement du nom propre. Ce nom d’ailleurs ne nous est pas propre, il est celui d’une famille, d’une lignée (gros d’une histoire sédimentée, il redevient nom commun, celui d’une communauté), il a été essaimé au cours des siècles et des migrations en une multitude de foyers, dispersé et répandu. Mille fois mort, mille fois repris et continué, perpétué. L’alliance du nom et du prénom nous caractérise déjà mieux, réduisant le champ des porteurs du patronyme. Encore cela ne nous préserve pas des homonymes exacts ; rien n’empêche un Rousseau actuel d’appeler son fils Jean-Jacques.

Derrière l’ironie du propos, l’absurde de la situation, l’aspect autobiographique est très présent. Non seulement par le portrait de cet aspirant écrivain maniaque et plein de rites, dans un décor lyonnais qui est le mien, par des évocations de scènes de ma vie passée (la scène finale dans le cimetière est très réaliste), mais aussi par la relation de l’échec littéraire. Un échec aux dimensions extérieure (le héros du livre ne reçoit que des lettres de refus des éditeurs, des circulaires anonymes de surcroît) et intérieure : il n’a pas vraiment d’inspiration et passe plus de temps à rêver de sa gloire forcément future qu’à travailler sur son œuvre, il est plus obsédé par la réussite de sa carrière que par la réussite de son œuvre ; or, peut-on faire carrière sans le support et le moyen d’une œuvre ?

J’ai absolument conscience que ces idées ne peuvent être que celles d’un homme (au sens de masculin) et que cette œuvre n’aurait pu être écrite par une femme, car la continuité, la permanence du nom sont le privilège de l’homme, en une société fondée sur l’usage du patronyme. A partir de son nom de famille (ou selon l’expression consacrée, de jeune fille !), une femme aurait écrit une toute autre histoire, non que ce thème revête pour elle moins d’importance, mais elle le vit très différemment, pouvant changer au gré des alliances et des divorces plusieurs fois de nom dans sa vie. Je conçois également que l’usage du patronyme puisse être considéré comme le signe de la domination masculine à travers les siècles et qu’il soit aujourd’hui remis en cause. Pour autant, la récente loi sur le nom de famille, qui permet désormais aux couples de choisir librement le nom de la femme ou de l’homme pour la transmission aux enfants, méconnaît la dimension symbolique du nom dans la filiation, car si la femme porte l’enfant dans son corps établissant ainsi la plus absolue et irréfutable des origines, l’homme n’a d’autre ressource que de reconnaître l’enfant par le don du nom ; à cet égard, la nouvelle loi est moins le signe d’une égalité conquise des droits entre l’homme et la femme qu’un signe du processus continu d’affaiblissement de la place et du rôle du père dans la société – mais ceci mériterait d’autres développements et nous éloigne de notre sujet.

Bien évidemment, plongé dans le processus de création, aucune de ces idées ne m’a effleuré (et fort heureusement ne m’a freiné) ; on écrit dans une certaine opacité, dans une démarche non intellectuelle, à partir d’un certain point aveugle naît un texte dont la cohérence n’apparaît qu’après coup, celui-ci refroidi et distancé. Jusqu’à la dernière ligne, j’ai tenté de mener à terme une histoire absurde.