Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 26 septembre 2007

Ecrire à la main ou à la machine

Ecrire à la main ; écrire à la machine

ou

Ecrire à la plume ; écrire au clavier

 

 

J’appartiens à une génération qui aura connu une révolution dans l’écriture - ou, pour le moins, la succession (sans complète substitution) de deux manières d’écrire :

- l’écriture à la main (au crayon, au stylo-plume, au stylo-bille) ;

- l’écriture au clavier, qui n’a pris toute sa dimension qu’avec l’ordinateur et le traitement de texte.

La machine à écrire, vieille déjà de plus d’un siècle, aura été un instrument malcommode et peu propice aux corrections ; si quelques romanciers – dont Simenon – l’ont adoptée, pour la plupart des écrivains elle aura représenté moins un outil de création qu’une étape finale et obligée de « mise au propre » ou de « mise au net » : la version dactylographiée (dont la réalisation était souvent déléguée, confiée à une dactylographe) constituait la copie définitive, destinée à la communication du texte.

 

La plume et l’ordinateur sont des outils sans commune mesure, et l’un ne remplace pas l’autre. Je ne pourrai jamais me passer de mon stylo. Qu’on ne voie pas dans ces propos du passéisme, un attachement exagéré à une pratique ancienne et une crainte devant la révolution informatique. Le débat n’est pas celui de l’ancien et du moderne. Les deux méthodes ne sont pas antagonistes, j’utilise l’une et l’autre et j’en attends des effets, des résultats différents.

Dans mon travail littéraire je produis deux sortes de textes : des articles critiques sur des livres ou des revues, de brefs billets pour mon blog – que je compose directement et complètement à l’ordinateur ; et par ailleurs, des textes de création (nouvelles, récits, journal, aphorismes…) parmi lesquels je range certains articles plus élaborés ou personnels, comme celui que vous êtes en train de lire. Seuls ceux de cette seconde catégorie sont écrits dans leur « premier jet » à la plume ; puis, un entrecroisement de versions successives au clavier et au stylo me permet de parvenir au texte final. Celui-ci est ainsi le fruit de la combinaison des deux méthodes.

 

Lorsque j’écris avec un stylo, je n’engage que l’une de mes deux mains, la plus habile et motrice (chez moi, la droite), l’autre restant inutilisée, inutile – et je déroule un fil d’écriture, tout mon être vient porter et se concentrer sur cette minuscule issue : un point d’encre au bout de la plume, un filet d’encre qui va broder lentement la phrase, mais dans une continuité, un enchaînement remarquables. J’écris à la main, la plume et les doigts sont au ras de la page, l’œil n’a pas la vision d’ensemble mais suit le point d’affleurement, le mouvement d’avancée linéaire.

Au contraire, dans le travail à l’ordinateur, au traitement de texte, il y a d’abord, à l’instar du pianiste, le recours aux deux mains (j’ai appris à taper avec tous mes doigts, les pouces pour la barre d’espace), l’influx réparti sur un plus grand nombre d’extrémités manuelles et sur les deux côtés gauche et droit de mon corps. La position du créateur par rapport à son texte est différente : il est plus distant, les mots sont plus lointains et virtuels car ils apparaissent sur un écran (les mains sans contact avec celui-ci), sur une surface verticale et non plus horizontale. On a la double impression de le surplomber ou de l’appréhender dans son bloc, et d’être simultanément en son cœur, dans sa matière. J’ai tendance, à l’ordinateur, à ne pas suivre toujours un ordre logique et linéaire. Profitant des possibilités techniques du logiciel inouïes jusqu’alors (couper, copier, coller, déplacer, insérer, etc.), j’écris dans tous les sens, en désordre, puis je recompose, ajoute, supprime, ajuste – comme je le ferais d’une matière. On malaxe le texte comme une pâte, on le raccourcit, le rallonge, le farcit par le milieu ; on le travaille, on le transforme.

Par ce puissant outil on gagne – outre la commodité d’une technique évitant les refrappes et permettant de jouer avec des blocs rendus mobiles – des surprises de juxtaposition, des ruptures imprévues, des rebondissements, une dynamique du sens : un enrichissement du texte.

On perd ce qu’apportait la progression point à point, mot à mot, ligne à ligne : une maîtrise du rythme, une continuité de sens et de musique, une subtilité des enchaînements, le lien. Car l’écriture à la main garantit la musicalité du texte, cette sorte de grâce propre à la phrase littéraire, composée à la fois d’un rythme et d’une sonorité subtile des mots.

Et lorsque dans le processus de création j’établis des versions successives d’un texte, d’abord à la plume, puis à la machine, puis à la main, puis à la machine, par des reprises alternées, j’essaie de tirer profit des deux méthodes d’écriture pour en éliminer progressivement les scories et me rapprocher d’un objet littéraire qui serait à la fois dense et limpide.

Commentaires

Certes. Mais cependant, même en écrivant « à la plume », à partir du moment où on commence à remanier le texte (suppression d’une phrase, ajout d’une idée dans la marge, développement, etc.) on finit aussi par perdre en partie la musicalité d’origine et ce côté « lié » qui faisait que la pensée s’écoulait toute seule, spontanément, en un grand fleuve tranquille. Avec l’inconvénient, en plus que votre propre texte devient quasi illisible (ou en tout cas difficile à relire) à cause de toutes ces modifications, ratures et flèches en tous sens.
A l’ordinateur, vous n’avez pas ce problème. Par contre, votre version antérieure a irrémédiablement disparu, puisque vous avez incorporé les changements dans le texte lui-même. Cela peut parfois représenter des inconvénients. Il faudrait aussi souligner le fait que le texte sur écran, par sa présentation, donne toujours l’impression (fausse) d’être une version définitive et donc parfaite. Notons encore qu’en dernière lecture, mieux vaut passer par une version imprimée sur papier. Il me semble que les défauts de construction ou les fautes de langage apparaissent plus clairement. Sans doute parce qu’on se met alors dans la position qui sera celle du lecteur futur.

Écrit par : Feuilly | vendredi, 28 septembre 2007

Tout cela est assez juste. Pour ma part, la différence entre les deux méthodes n'est plus liée qu'au lieu où je me trouve ; le carnet qui me suit partout (où il n'y a pas d'ordinateur) étant ce qui me relie à l'écriture à la main, et du coup j'y tiens beaucoup !

Écrit par : Ray | samedi, 29 septembre 2007

Curieuse idée que de penser qu'à l'ordinateur le texte disparait irrémédiablement une fois amendé, corrigé. Il suffit -chacun le sait- de programmer l'enregistrement automatique des versions pour conserver toute la somme des travaux, ébauches et corrections.
Une manière de "manuscrit" virtuel... en sorte.

Écrit par : RVB | mercredi, 03 octobre 2007

Les commentaires sont fermés.