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mercredi, 10 décembre 2025

Contresens, dossier critique

contresens-jean-jacques-nuel-editions-petit-pave.jpgLe recueil de textes courts CONTRESENS, de Jean-Jacques Nuel, paru en 2025 aux éditions du Petit Pavé, a obtenu plusieurs articles critiques.

Ils sont reproduits ci-après, et accompagnés d'un lien vers leur publication d'origine.

 

Un article de Christian Cottet-Emard :

 

Jean-Jacques Nuel, maître du court

Romancier, chroniqueur, poète, éditeur, Jean-Jacques Nuel est aussi connu pour son excellence dans le texte court. Il a longtemps dispersé ces petits bijoux d’humour noir, d’ironie, d’absurde, d’impertinence « à froid » mais aussi de sobre mélancolie dans des revues et magazines ainsi que dans les catalogues de nombreuses maisons d’édition.

C’est avec délice que nous retrouvons sous le titre Contresens les pépites de cette veine littéraire rassemblées dans un fort volume des éditions du Petit Pavé élégamment illustré par Dominique Laronde. L’ensemble n’est pas sous-titré 180 courts métrages par hasard. L’écriture au cordeau, comme toujours chez Nuel, fait de ces billets caustiques autant de vignettes en harmonie avec les dessins en ligne claire de Laronde.

Ainsi s’anime sous nos yeux un monde dont les personnages, les paysages et les situations sont souvent poussés aux extrêmes de l’absurdité et du déterminisme, mais cet univers parfois aussi drôle que féroce est pourtant bien le nôtre. Il en émane même une étrange poésie où rôde parfois, dans les méandres du si particulier théâtre nuelien, l’ombre furtive d’un Dino Buzzati.

Jean-Jacque Nuel, maître du court : LE BLOG LITTÉRAIRE de Christian Cottet-Emard

 

 

Un article de Jean-Pierre Longre :

L'art du bref

Il y a plus de dix ans, j’écrivais ceci à propos des Courts métrages de Jean-Jacques Nuel : « Le texte bref, malgré les apparences, n’est pas un genre facile. Il n’est pas donné à tout le monde de réussir à dire (ou, le plus souvent, à suggérer) en quelques lignes ce que d’autres développent en plusieurs centaines de pages. Il faut pour cela non seulement le sens de la concision, la maîtrise du mot et de l’expression justes, l’art de la chute, mais aussi de l’imagination, beaucoup d’esprit et beaucoup de travail. »

Voilà qui se vérifie pleinement avec Contresens. Pleinement, et même au quintuple, puisque cet ouvrage reprend une bonne partie de cinq recueils précédemment publiés : Courts métrages, Lettres de cachet, Modèles réduits, Le mouton noir et Billets d’absence – le tout augmenté de quelques inédits et parsemé d’illustrations de Dominique Laronde donnant une belle touche théâtrale à la prose.

La brièveté textuelle favorise la diversité des tonalités et des sujets. Impossible de tout passer en revue, bien sûr. Si Jean-Jacques Nuel ne néglige pas, pour le plaisir de ses compatriotes, d’évoquer de-ci de-là la bonne ville de Lyon ou de faire quelques (vraies-fausses ?) confidences à caractère autobiographique et auto-ironique (sur son prénom par exemple), ses textes touchent à l’universalité de la vie et de la condition humaine. Il y a l’humour souvent noir, voire désespéré, des dystopies que l’on peut surmonter grâce à des solutions radicales ou douces (parfois) ; il y a, bien sûr, l’absurde kafkaïen de certaines situations, et pas mal de nostalgie bercée par de jolis souvenirs et un sens pénétrant de la poésie, mais aussi le sentiment du temps qui passe et de la vieillesse annonçant la fin ; n’oublions pas la verve satirique d’un auteur qui, entre autres, ne ménage pas l’administration, les petits chefs et les mauvais littérateurs.

On aurait envie de composer un florilège, mais que choisir ? Simplement, pour donner un avant-goût, reprenons ce qu’affiche la quatrième de couverture :

PHOTOMATON
La photo d’identité en noir et blanc, de mauvaise qualité, s’était estompée avec le temps : on ne distinguait plus que l’ovale du visage aux cheveux ras se détachant sur le gris plus sombre du rideau, et des traces de la bouche, du nez, des yeux, des sourcils aussi indistinctes que les taches des reliefs à la surface de la pleine lune. L’homme sur la photo était devenu méconnaissable, et cependant, de tous mes portraits, c’était celui qui me ressemblait le plus.

FAUSSAIRES
J’avais été invité dans un festival de poésie qui se tenait en été dans le midi de la France ; mon nom figurait au programme, au milieu d’une liste de poètes de diverses nationalités. Mais, tout en étant heureux de cette occasion de monter sur une scène, j’éprouvais une certaine gêne : n’ayant plus écrit de poésie depuis plus de vingt ans, je n’avais aucun poème à lire. Je me résolus donc à livrer au public un choix de mes textes en prose. Ils rencontrèrent un vif succès, et les organisateurs tentèrent de me persuader qu’il s’agissait là d’une forme de poésie. Je les laissai dire, par politesse, mais au fond de moi je savais bien que non. Mes textes n’étaient pas de la poésie, pas davantage que tous les prétendus poèmes de tous les prétendus poètes qu’il me fallut subir, avant et après mon intervention.

Et pour varier les attentes de lecture, ajoutons :

LE BUREAU DES ADMISSIONS

Les candidats attendaient toute la nuit dans la rue, sous la pluie ou dans le froid, devant les grilles de la préfecture, pour être certains d’obtenir dès l’ouverture du bureau ce précieux ticket, délivré en nombre limité, qui leur donnait le droit d’attendre, la nuit suivante, dans la rue, sous la pluie ou dans le froid, devant les grilles de la préfecture.

VOL AVEC TRANSFERT

[…] Si la traversée de la moitié du globe n’avait présenté aucune difficulté, le passage du terminal 1 au terminal 2 de cet aéroport s’avérait une épreuve interminable et peut-être insurmontable.

ÉCHEC DE LA POLITIQUE DE PROHIBITION

À plusieurs reprises, le gouvernement de ce pays, animé des meilleures intentions du monde et d’un idéal progressiste, a voulu interdire la mort. Peine perdue. Les gens continuaient de mourir, en cachette, et dans de très mauvaises conditions sanitaires.

À chacun de poursuivre…

L’art du bref : Notes et chroniques

 

Un article de Patrick Corneau :

 

Avec Contresens, paru dans la collection “Derrière les pages du Semainier” aux éditions du Petit Pavé, Jean-Jacques Nuel poursuit une œuvre singulière et discrète qui s’inscrit dans la grande tradition française du texte court, de la prose fragmentaire et de l’ironie à froid. Ce nouveau recueil rassemble près de cent quatre-vingts textes, dont certains inédits, illustrés par Dominique Laronde. C’est un ensemble d’une rare cohérence où se mêlent l’humour noir, la mélancolie légère et une lucidité sans pathos. Nuel a ce talent rare de faire tenir une vision du monde dans une page, parfois dans quelques lignes, sans jamais forcer l’effet. Sa langue est d’une précision élégante – jamais un mot de trop, toujours la juste économie – et son regard, tout en distance, enregistre les incongruités, les faux-semblants et les minuscules tragédies du quotidien avec un calme détachement. Derrière le sourire ou la chute ironique affleure une philosophie du désabusement heureux, une sagesse teintée d’amertume mais jamais désespérée. C’est une écriture d’après le vacarme, d’après les illusions, où l’ironie devient une forme de résistance douce, presque une politesse envers le monde tel qu’il est.
De poète à nouvelliste, Jean-Jacques Nuel n’a cessé d’explorer la forme brève comme un espace de liberté absolue. Ses textes, souvent publiés dans EuropeL’Atelier du roman ou Triages, ont la densité du haïku et la netteté du trait : ils frappent, puis se retirent, laissant dans l’esprit du lecteur une vibration indéfinissable. Il y a chez lui quelque chose de l’artisan minutieux, du maître horloger de la phrase brève, qui polit, coupe, ajuste jusqu’à ce que le texte tienne debout par la seule tension de son équilibre interne. Dans Contresens, chaque fragment fonctionne comme une petite chambre d’écho : un fait divers, un souvenir, une hypothèse absurde ou un paradoxe s’y déplient avec une grâce discrète.
L’auteur du Journal d’un mégalomane et de Chassez le mégalomane, il revient à vélo (éd. Cactus inébranlable, 2018 et 2020) n’écrit pas pour épater, mais pour donner à penser, doucement, sans insister. Ce qui séduit ici, c’est la retenue, la pudeur du ton, cette façon de tenir l’émotion à distance sans jamais l’éteindre. Contresens se lit comme un herbier d’instantanés, un cabinet de curiosités morales où l’humain se révèle dans son mélange d’absurde, de comique et de fatalité. On y retrouve le charme d’une littérature d’entre-deux, à la frontière du récit et de l’aphorisme, de la fable et du constat. Peu d’auteurs aujourd’hui cultivent avec autant de justesse cette écriture du peu, du presque rien, qui parvient pourtant à dire tant. Encore faut-il des lecteurs affinitairement complices…
Jean-Jacques Nuel, sans illusions mais sans amertume, reste un maître tranquille du désenchantement élégant. Dans la clarté bourguignonne où il vit et écrit, il poursuit l’œuvre d’un moraliste contemporain, à la fois drôle et grave, qui observe la comédie humaine à hauteur d’homme, avec un regard lucide, amical, légèrement désabusé. Contresens est un livre à feuilleter lentement, à laisser infuser : un recueil d’instants, de clins d’œil et de vérités minuscules, de ces “petits chefs-d’œuvre” qui réconcilient le lecteur avec la grâce du bref et l’art de penser sans lourdeur.

De tout, un peu (37) – Patrick Corneau

(Contresens est le 3e des 4 livres chroniqués.

 

Un article de Fabrice Trochet :

 

Avec Contresens, Jean-Jacques Nuel revient à ce qu'il sait faire de mieux : écrire court, écrire juste, écrire avec cette lucidité faussement désinvolte qui transforme l’anodin en petite énigme métaphysique. Ce nouveau recueil rassemble des textes brefs — anecdotes, fictions minuscules, instantanés de vie littéraire — où l’auteur observe le réel avec un léger décalage, ce fameux « biais » qui est presque sa signature. Tout commence par une voix calme, presque discrète, mais qui avance avec un humour sûr de lui.

Et s’il est un texte qui résume parfaitement l’esprit du livre, c’est Faussaires, placé en quatrième de couverture mais véritable clé de voûte. Jean-Jacques Nuel y raconte, avec une élégance dépourvue de complaisance, sa présence dans un festival de poésie… sans avoir écrit un seul vers depuis vingt ans. Il décide de lire de la prose. Le public adore, les organisateurs s’extasient, et l’on tente même de le persuader qu’il a réinventé la poésie. Le narrateur, lui, reste lucide : il laisse dire, mais il sait que ce n’en est pas. Et il ajoute, perfide comme il faut : « Mes textes n’étaient pas de la poésie, pas davantage que tous les prétendus poèmes de tous les prétendus poètes qu’il me fallut subir, avant et après mon intervention. »

 Ce texte résume parfaitement la posture de Jean-Jacques Nuel : un regard clair, sans amertume, mais acéré. Il observe les rituels littéraires comme on observe un petit théâtre, amusé, légèrement désabusé, jamais dupe.

Les courts textes qui composent Contresens semblent parfois n’être que des anecdotes. Mais chaque fois, Jean-Jacques Nuel introduit un détail infime, un accroc, un grain de sable, et c’est par cette minuscule dérive que l’histoire bascule.

Dans Les Frères Boulette, il assiste incognito à la lecture scénique de ses propres textes — déformés, amplifiés, interprétés avec une emphase ridicule. Le public adore précisément les passages improvisés, ceux qui ne sont pas de lui. On rit, mais c’est un rire qui touche juste : la réputation littéraire, la réception de l’œuvre, l’ego de l’auteur, tout est remis en jeu en quelques lignes. Chez Jean-Jacques Nuel, la littérature n’est jamais un monument, c’est une matière vivante, fragile, risible parfois, mais qui continue de vibrer.

Dans un autre texte, un cahier rouge égaré prend soudain la dimension d’un absolu : l’auteur donnerait toute sa fortune pour retrouver ce journal intime qui n’avait pourtant « aucune valeur marchande ». La mémoire, chez Jean-Jacques Nuel, ne se monnaie pas : elle se perd, se retrouve, se reconstruit ou pas.

On retrouve aussi le Jean-Jacques Nuel joueur, celui qui pousse une idée jusqu’à son point de rupture. Dans La dérive des continents, ce n’est qu’un trait d’union qui commence à s’allonger inexorablement entre « Jean » et « Jacques ». D’abord un « underscore », puis une ligne, puis un gouffre typographique qui finit par menacer l’identité même du personnage. Ce qui, sous d’autres plumes, deviendrait grotesque, reste chez l’auteur parfaitement tenu : un absurde doux, maîtrisé, limpide.

Il y a aussi des textes plus graves, comme Le tombeau, où l’auteur, consacré dans la Pléiade de son vivant, comprend que sa propre « statue » littéraire l’a figé avant l’heure. Ici encore, une ironie discrète vient éclairer la mélancolie.

Ou encore cette splendide miniature qu’est Photomaton, où une photo fanée devient soudain le portrait le plus ressemblant — parce qu’elle ne montre presque rien. Une réflexion sur l’identité, le temps, la disparition : Jean-Jacques Nuel excelle dans ces éclats minuscules où le monde se révèle dans une image imparfaite.

Le texte qui donne son titre au livre attend le lecteur tout à la fin, comme une mise en abyme discrète. Jean-Jacques Nuel y raconte deux égarements successifs, la même erreur commise deux fois, dans la même rue, en allant à la même lecture de poésie. On pourrait croire à une anecdote, une banale erreur de direction. Mais non : une fois la lecture terminée, l’auteur découvre que l’affiche annonçait une intervention autour du recueil… Contresens.

C’est un clin d’œil délicieux : le titre du livre ne renvoie pas à un thème, mais à une expérience, à un geste involontaire, à une coïncidence troublante.

Par la nature même de l’ouvrage, certains textes paraîtront peut-être trop brefs, trop fugaces. On aimerait parfois que Jean-Jacques Nuel reste une page de plus, qu’il creuse, qu’il étire l’idée. Mais c’est aussi sa force : ce refus de s’appesantir, cette élégance du retrait, cette façon de laisser la place à l’imaginaire du lecteur.

Contresens est un recueil aussi discret que précieux. Avec humour, précision et une profonde humanité, Jean-Jacques Nuel explore la littérature, le quotidien, l’identité et leurs petites dérives. Il ne hausse jamais la voix, mais chaque texte sonne juste.
On referme ce livre avec le sentiment rare d’avoir vu le monde, le nôtre, se décaler légèrement, juste ce qu’il faut pour qu’on s’y retrouve mieux.

 Jean-Jacques Nuel : Contresens

 

Avis de lecteurs

 

Bernard Granjean, auteur de polars délicieux et burlesques parus chez Héraclite :

J’ai dégusté avec un grand plaisir les 180 courts métrages de votre recueil CONTRESENS. (Un bien joli mot dont on ne peut savoir, quand il est énoncé seul, s’il est au singulier ou au pluriel !) Des textes délicieusement saugrenus, subtilement absurdes, qui pourraient paraître incongrus mais qui sont profondément justes et vrais. C’est la condition humaine dans toute son authenticité et sa complexité kafkaïenne mais vue avec humour et une bonne dose d’autodérision. Des textes qui, certes, réjouissent le lecteur solitaire mais qui sont chargés d’une force dramatique certaine qui les destinent tout autant à la scène : simple lecture en public par l’auteur ou un comédien, ou alors mise en scène avec plusieurs interprètes, plus compétents que les frères Boulette évidemment ! CONTRESENS, c’est aussi un vrai livre de chevet, un compagnon discret mais toujours disponible, une boite d’exquis chocolats qu’on picore au hasard, une histoire sans fin que l’on ne se lasse pas, jour après jour, de redécouvrir. Bernard Granjean

Avis de lecteurs

 

Bernard Granjean, auteur de polars délicieux et burlesques parus chez Héraclite :

J’ai dégusté avec un grand plaisir les 180 courts métrages de votre recueil CONTRESENS. (Un bien joli mot dont on ne peut savoir, quand il est énoncé seul, s’il est au singulier ou au pluriel !) Des textes délicieusement saugrenus, subtilement absurdes, qui pourraient paraître incongrus mais qui sont profondément justes et vrais. C’est la condition humaine dans toute son authenticité et sa complexité kafkaïenne mais vue avec humour et une bonne dose d’autodérision. Des textes qui, certes, réjouissent le lecteur solitaire mais qui sont chargés d’une force dramatique certaine qui les destinent tout autant à la scène : simple lecture en public par l’auteur ou un comédien, ou alors mise en scène avec plusieurs interprètes, plus compétents que les frères Boulette évidemment ! CONTRESENS, c’est aussi un vrai livre de chevet, un compagnon discret mais toujours disponible, une boite d’exquis chocolats qu’on picore au hasard, une histoire sans fin que l’on ne se lasse pas, jour après jour, de redécouvrir. 

 

vendredi, 17 octobre 2025

Contresens, de Jean-Jacques Nuel

Vient de paraître :

CONTRESENS, aux éditions du Petit Pavé.

Un ensemble de 180 textes courts, avec 10 illustrations de Dominique Laronde.

 

nuel,petit pavé,contresens,humour,textes courts,nouvellesCe volume reprend la plus grande partie de mes courts métrages précédemment parus en plaquettes ou en revues, accompagnés de quelques inédits.

 

Présentation de l'éditeur :

Contresens, de Jean-Jacques NUEL, est un copieux ensemble de courts textes délicieusement impertinents et insolites, parfois teintés d’une discrète mélancolie, mais plus souvent relevés d’humour noir, de comique de l’absurde, d’ironie à froid.
Jean-Jacques NUEL est, sans illusions mais sans amertume, un maître tranquille du désabusement heureux distancié, tonique, et particulièrement roboratif.
De surcroît, la langue – jamais un mot de trop – est ici d’une impeccable économie, et donc d’une parfaite élégance. Les proses ciselées de Contresens sont des « petits » chefs-d’oeuvre.

 

A commander en librairies ou sur le site de l'éditeur :

https://www.petitpave.fr/livre/contresens/

 

Un extrait :

LE DROIT D’AÎNESSE

Ma sœur aînée, je le sais, est née un an après moi et se prétend mon aînée. Je ne l’ai jamais contredite pour ne pas la contrarier car elle peut se montrer, dans ses accès de colère, d’une violence extrême. Et ma position de frère cadet, bien qu’elle repose sur un mensonge, m’arrange au fond : je n’ai jamais aimé les responsabilités, et laisse volontiers à ma sœur, depuis la mort brutale de nos parents, le rôle de chef de famille. Elle a de puissantes relations dans la haute administration, je sais qu’elle s’en est servi pour parvenir à une falsification du registre d’état civil. Mon acte de naissance a été trafiqué : on m’a rajeuni de deux ans pour me faire naître fictivement après elle. J’en veux secrètement à ma sœur. Elle aurait pu tout aussi bien ne pas toucher à mon année de naissance et reculer la sienne de deux ans, le résultat aurait été similaire. Mais sa coquetterie et sa peur de vieillir s’opposaient à cette solution, et elle a préféré attenter à mes jours.

*

 

mardi, 15 août 2023

Images d'archives (dossier critique)

images d'archives,poésie,petit pavé,nuelEn 2023 est paru mon recueil de poèmes "Images d'archives" aux éditions du Petit Pavé.

Ce recueil a obtenu 4 articles critiques :

un article de Christian Cottet-Emard ;

un article de Jean-Pierre Longre ;

un article de Patrice Maltaverne ;

un article de Denis Billamboz.

 

Ouvrage disponible sur le site du Petit Pavé.

 

 

mardi, 08 août 2023

La malédiction de l'Hôtel-Dieu (réédition)

En 2018 paraissait mon premier polar lyonnais, La malédiction de l'Hôtel-Dieu, aux éditions Germes de barbarie. Ce roman a obtenu la même année le grand prix de la fiction décerné par l'association lyonnaise Selyre.

polar,lyon,nuel,hotel-dieu,maledictionLe tirage étant épuisé, et l'éditeur m'ayant rendu mes droits, j'ai décidé de le republier en auto-édition. Les éditeurs lyonnais que j'ai contactés ne se bousculent pas pour donner une seconde vie à ce roman assez virulent, pas « politiquement correct » et très critique sur le projet de transformation de l'Hôtel-Dieu de Lyon. Quant au détective privé Brice Noval, il est à l'opposé des héros habituels : vieux (près de la retraite), dégarni, fatigué, en surpoids, plutôt réac, il s'en sort par l'intuition et n'est pas dénué d'humour.

J'ai profité de cette nouvelle édition pour revoir et augmenter le texte.

 

L'argument : le détective privé Brice Noval est engagé par le maire de Lyon pour résoudre l'affaire de l'Hôtel-Dieu. Le projet municipal de transformation du vieil hôpital en hôtel de luxe rencontre l'opposition d'un certain Childebert qui, évoquant une ancienne malédiction, fait tout pour empêcher sa réalisation, allant jusqu'à assassiner des conseillers municipaux pour faire pression sur le maire.

Une enquête menée tambour battant entre mairie, préfecture et Hôtel-Dieu, dans la ville chargée d'histoire et de mystère.

En vente sur la librairie en ligne ou me contacter.

La malédiction de l'Hôtel-Dieu, 180 pages, 16 €.

 

samedi, 07 juillet 2018

Extraits de Journal d'un mégalo

Cover - Mégalo.jpgJe ne remercie pas mes parents pour l'amour qu'ils m'ont donné. Une enfance malheureuse aurait été un plus dans ma biographie.

*

Si par extraordinaire on trouvait quelqu'un qui me parvienne à la cheville, je l'écraserais sous mes talons.

*

Je ne suis pas raciste, car je n'aime personne.

*

Je ne suis pas misogyne, car je suis misanthrope.

*

Dans votre intérêt je ne reste pas plus longtemps chez vous : vous pourriez être condamné pour recel de génie.

*

Si les autres écrivains n'existaient pas, il faudrait tirer mes livres à des milliards d'exemplaires pour remplir tous les rayonnages des bibliothèques.

*

Je me ferai enterrer avec mes bijoux et mes biens les plus précieux, pour être sûr d'avoir encore de la visite.

*

J'ai trouvé le secret de l'immortalité, que j'emporterai dans la tombe.

*

Pourquoi devrais-je remercier mon public ? Est-ce qu'un porcher remercie son troupeau de cochons ?

*

Les intellectuels me prennent pour un comique, tandis que je prends les intellectuels pour des rigolos.

*

 

Publié en Belgique, chez Cactus Inébranlable, le recueil est disponible en France auprès de la librairie en ligne Wallonie-Bruxelles.

Il peut être aussi commandé directement auprès de l'éditeur :

cactus.inebranlable@gmail.com

ou de moi-même au prix de 11 € (9 € + 2 € de port). M'écrire à jj.nuel @laposte.net

 

 

mercredi, 07 mars 2018

La malédiction de l'Hôtel-Dieu (3e extrait)

Après avoir reproduit un premier extrait de ce polar lyonnais, puis un deuxième, je livre ici le troisième et dernier extrait de La Malédiction de l'Hôtel-Dieu.

 

Chapitre 26

(Le détective privé Brice Noval, qui a vainement traqué dans la matinée un suspect du nom de Maurice Scève. a rendez-vous avec Jean Soulary, chef de cabinet du préfet. )

 

Nuel_maledictionhoteldieu.jpgComme j’arrivais devant le bureau de Soulary, sa secrétaire Natacha en sortit, une pile de parapheurs sur les bras.

- Je sais que vous avez rendez-vous avec monsieur Soulary, me dit-elle en assistante bien organisée. Il va vous recevoir dans quelques instants. Il est en ligne avec la directrice de cabinet.

Devinant l’inconfort dans lequel le plongeaient les appels de sa hiérarchie, je décidai de le laisser tranquillement achever sa communication téléphonique et me mis à faire les cent pas dans le couloir. Je regardais négligemment les quelques reproductions d’œuvres d’art accrochées aux murs lorsque j’aperçus, près du comptoir des huissiers… Scève ! Comme il avait troqué son habit Renaissance ou sa tenue décontractée pour un costume strict de ville, et que la préfecture était le dernier lieu où j’aurais imaginé le croiser, je mis quelques secondes à me persuader que c’était lui, avant de m’élancer à sa poursuite.

Le bougre ne m’avait pas attendu et, détalant à toute allure, s’était engouffré dans une porte ouverte située à côté de la machine à café. Cette ouverture donnait sur un escalier de service en colimaçon descendant au sous-sol. Lorsque je parvins en bas, dans un large couloir mal éclairé, aucune trace de Scève. Était-il parti sur la gauche, ou sur la droite où, quelques mètres plus loin, un nouveau couloir partait à angle droit sur la gauche ? Je choisis cette dernière direction et la suivis quelques minutes sans apercevoir mon homme ; à force de tourner au hasard dans ce réseau inextricable et sombre, de revenir sur mes pas, de repartir dans l’autre sens, je me retrouvai complètement perdu.

Sous la surface du sol évoluait tout un peuple des profondeurs, agents d’entretien, femmes de ménage et hommes d’équipe chargés de l’intendance et de l’entretien de la préfecture, dans un dédale de corridors et de caves sans fenêtre ni lucarne, un labyrinthe où régnaient une odeur de renfermé et une pénombre dignes des cachots ou des culs-de-basse-fosse. Ces lieux secrets n’étant pas ouverts au public, aucune signalétique n’avait été mise en place. J’avais l’impression d’être tombé dans une cité souterraine et insoupçonnée, une taupinière à échelle humaine.

Passant devant un local de menuiserie, j’avisai un agent dont la combinaison verte portait sur le dos la mention « Service Intérieur » ; il était occupé à raboter des planches. Je lui demandai la sortie. Après avoir maugréé « C’est compliqué à expliquer », il eut l’amabilité de me guider jusqu’à l’escalier qui montait au bureau des huissiers.

J’étais heureux de retrouver la lumière du jour entrant par les hautes fenêtres du rez-de-chaussée. Combien de temps étais-je resté au royaume des ombres ? J’en avais perdu la notion de l’heure.

Natacha venait vers moi. Elle semblait contrariée.

- Vous n’avez pas vu monsieur Soulary ? Il vous cherchait. Un huissier lui a dit que vous étiez descendu au sous-sol et il est parti vous rejoindre.

Soucieuse, elle était dévouée à son chef comme elle l’avait été avec les précédents titulaires du poste. Les chefs passent, les secrétaires restent, assurant la continuité du service.

- Non, je n’ai vu personne, lui répondis-je.

Je n’allais pas dire à la ronde que je poursuivais dans les bas-fonds de l’Hôtel du département l’un des principaux suspects de l’affaire de l’Hôtel-Dieu et que j’avais été lamentablement semé.

À ce moment, deux hommes du service intérieur en combinaison verte apparurent par la porte de l’escalier de service. Ils remontaient Soulary : l’un le tenait par les jambes, l’autre sous les bras. Ils posèrent le corps sur un tapis.

Le chef de cabinet était immobile et sans connaissance. Il avait une vilaine plaie sanglante sur le côté gauche du crâne.

Natacha était bouleversée. Deux huissiers nous avaient rejoints. L’un d’entre eux s’agenouilla et mit sa tête sur la poitrine de Soulary.

- Il respire encore, annonça-t-il.

Le premier homme d’équipe fit son rapport.

- On l’a trouvé vers la réserve du menuisier, dans le coin le plus sombre du couloir. Il a été assommé avec une planche. Un de mes collègues a vu s’enfuir l’agresseur. On a prévenu le poste de police.

- C’est notre ancien chef, dit le second à mon intention. Monsieur Soulary était chef du SML.

- Service des Moyens et de la Logistique, précisa-t-il pour le non-initié que j’étais.

(Je décryptai mentalement cet intitulé bizarre : Soulary devait alors s’occuper du personnel, du budget de la préfecture, des locaux, des mobiliers et des matériels. Il avait donc autorité sur le service intérieur.)

Je notai que le chef de cabinet portait un costume gris très semblable au mien. Il était de ma taille, à peine moins corpulent que moi, pareillement dégarni au sommet du crâne… pas de doute, dans le coin le plus sombre du couloir, et le voyant de dos, l’agresseur qui ne pouvait être autre que Maurice Scève l’avait estourbi en le prenant pour moi !

Soulary avait ouvert les yeux et regardait autour de lui d’un air perdu. Il se mit sur son séant, se massa la tête et tenta de se remettre sur pied. Son corps retomba sur le tapis.

- Ne bougez pas, monsieur Soulary, dit Natacha d’un ton maternel. On vient d’appeler un médecin.

Elle avait sorti un mouchoir de sa poche et tentait d’éponger le sang qui coulait sur le front de son chef.

- Ça va aller, parvint-il à dire. Et j’ai rendez-vous avec monsieur, ajouta-il en me désignant.

- Vous feriez mieux de vous reposer, lui conseillai-je. Je peux revenir à un autre moment.

Mais il ne voulut rien entendre et, se tenant aux murs, il regagna son bureau, m’entraînant dans son sillage.

 

*

Pour se procurer le livre.

 

lundi, 29 janvier 2018

La malédiction de l'Hôtel-Dieu (2e extrait)

Après avoir reproduit le premier chapitre de ce polar lyonnais dans une note précédente, je livre ici un 2e extrait (chapitre 18).

 

Nuel_maledictionhoteldieu.jpg(Le détective privé Brice Noval accompagne le maire Gaspard Loison, avec son directeur de cabinet Marchini, pour l'inauguration du Conseil régional. Le dispositif de sécurité a été renforcé autour du maire, qui fait l'objet de menaces de mort.)

 

Loison avait tenu à ce que je l’accompagne pendant son trajet en voiture de la mairie jusqu’au Conseil régional. Son directeur de cabinet m’avait prévenu par téléphone que le maire aurait une proposition à me faire. Sans autre précision. Je les rejoignis donc dans la cour de l’Hôtel de ville au matin du lundi 25 avril. Le soleil brillait dans un ciel sans nuage. Marchini voulut y voir un bon présage.

Loison m’invita à monter à l’arrière de la Peugeot 508 et s’installa entre moi et son directeur de cabinet. Le chauffeur et un agent de sécurité prenaient place à l’avant.

- Voyez-vous, Brice Noval, commença le maire, je ne me laisserai pas impressionner. La vie doit continuer. Et la ville a besoin de moi.

Si à l’entendre la ville avait besoin de lui, je me dis que lui avait encore plus besoin de la ville. Il l’avait servie, mais s’était servi d’elle.

- Je ne changerai pas mes habitudes d’un iota. C’est la meilleure réponse à la terreur que ce malade cherche à provoquer.

Derrière le discours de façade, je ne le sentais pas aussi rassuré qu’il voulait le paraître. Il avait besoin de protection, et j’étais l’une des pièces de son arsenal défensif. En quelque sorte, il m’avait recruté comme garde du corps. Certes, cela me faisait une drôle d’impression de devenir l’allié objectif d’un homme que j’avais combattu, en tentant d’arrêter les exécuteurs de la malédiction. Mais si depuis mes débuts dans la profession j’avais dû trier mes clients sur leurs qualités humaines et ne retenir que des personnes honnêtes, probes et sympathiques, je n’aurais pas traité beaucoup d’affaires.

La voiture avait rejoint le quai du Rhône et suivait le sens du fleuve vers le confluent. Le maire parlait sans me regarder, mais son discours ne s’adressait qu’à moi, les autres n’étant que des comparses.

- On me reproche d’avoir des projets ambitieux pour Lyon, de construire, de bâtir. Mais pour construire, il faut d’abord détruire. Démolir une partie de l’ancien pour édifier du nouveau. Je vais de l’avant, je regarde l’avenir, en tout cas. Mes ennemis critiquent tout, et ne sont animés que par l’envie, l’amertume et le dénigrement. Prenez garde, Brice Noval, de ne pas finir comme ces vieux conservateurs. Vous valez mieux.

Si je comprenais bien, Loison me jugeait réactionnaire. Mais ce terme péjoratif était pour moi un titre de gloire. Comment ne pas être en réaction contre un monde qui ne tourne pas rond ?

- Vous êtes un homme de valeur, reprit Loison, et je voulais vous faire une proposition. Que diriez-vous de vous présenter sur ma liste aux prochaines élections municipales (en position éligible, bien sûr), et de devenir mon futur adjoint à la culture ? Je sais que le patrimoine, l’art, le théâtre, la littérature comptent beaucoup pour vous.

Adjoint à la culture ? J’eus une pensée émue pour André Mure, un journaliste lyonnais et fin connaisseur de notre gastronomie, mort en 2007, que j’avais souvent rencontré et apprécié. Il avait occupé ce poste avec brio sous un autre maire. Mais il était hors de question pour moi de travailler avec ce lascar de Loison. Proposer une place – y compris à ses adversaires, en vertu du principe qu’il vaut mieux les avoir avec soi que contre soi – était sa manière d’acheter les gens. Il ne le faisait pas avec de l’argent, ne détournant pas apparemment de fonds publics, mais en distribuant des miettes de pouvoir. Il savait vous rendre dépendant et redevable.

Je ne lui fis pas cependant part de mon refus sur le champ, lui répondant seulement qu’il me faudrait réfléchir à son offre. Le lieu et le moment étaient mal choisis pour en parler.

- Oui, nous en reparlerons, mon cher Noval. Et puisque nous en sommes sur ce chapitre de la culture, avez-vous eu le temps d’aller au spectacle ces derniers jours ?

Je lui racontai ma soirée au Théâtre de poche de la rue du Bœuf. J’imaginai que le maire pouvait être intéressé par Maurice Scève à double titre. C’était d’abord un Lyonnais célèbre, un génie de la littérature. Sur la fresque des Lyonnais, peinte sur un mur du quai Saint Vincent, il est représenté, papier et plume en mains, en compagnie de Louise Labé. Et les Scève avaient exercé au seizième siècle des fonctions municipales : le père du poète avait été échevin et juge mage ; le poète lui-même avait réglé les festivités somptueuses lors de l’entrée royale de Henri II et de Catherine de Médicis à Lyon en 1548, ainsi que les fêtes données précédemment lorsque François Ier était passé dans notre ville. Mais le maire m’écoutait d’une oreille distraite, il s’intéressait probablement moins au passé qu’à l’avenir. Et je le sentais surtout inquiet du présent.

 

Nous étions arrivés cours Charlemagne. Une cohorte d’officiels et de journalistes encadrés par des policiers se tenait devant l’entrée du Conseil régional. Les curieux étaient aussi nombreux, massés derrière des barrières métalliques ; maintenant que la menace pesait directement sur le maire, chacune de ses rares sorties devenait une sorte d’attraction à haut risque.

Alors que nous descendions tous de voiture, je remarquai un fourgon blanc décoré d’un logo bleu, garé de l’autre côté de la voie ; sa porte arrière s’ouvrit, et un homme revêtu d’une combinaison blanche de peintre en sortit, nous tournant le dos. Soudain il se retourna et je vis briller dans le soleil une mitraillette. Je n’eus que le temps de saisir Loison par les épaules et de le plaquer au sol tandis que retentissaient les détonations en rafale.

J’entendis un claquement de portière, un véhicule qui démarrait dans un rugissement de moteur et un crissement de pneus, une clameur nous recouvrir. Alors seulement je ressentis une douleur cuisante à la main droite : j’avais dû me fouler le pouce en me jetant à terre.

On se précipita sur nous pour nous relever. Loison était choqué mais sain et sauf. Son directeur de cabinet n’avait pas eu autant de chance. L’ancien sous-préfet gisait immobile sur le trottoir, dans une flaque de sang, le corps criblé de balles. Christian Marchini ne connaîtrait plus le moindre avancement.

Il s’était mis en disponibilité pour l’éternité.

L’agent de sécurité, touché lui aussi par la rafale et tombé à terre, respirait encore. On le transporta aussitôt à l’hôpital avec d’autres personnes plus légèrement blessés. Les policiers fébriles déployèrent un périmètre de sécurité sur toute la zone. J’entendis un officiel annoncer à la meute des journalistes que la cérémonie d’inauguration était annulée.

 

 

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