mercredi, 13 juillet 2016
Écrit parlé, de Philippe Jaffeux
J’ai évoqué plusieurs fois sur ce blog l’œuvre originale et extrême de Philippe Jaffeux. Cette dernière petite plaquette, publiée par l’éditrice du massif Alphabet, est un entretien avec Béatrice Machet. Est-ce une suite, un prolongement de l’œuvre, ou un simple dialogue où un auteur explicite sa recherche ? Jaffeux veut le classer à part, en témoignent les dernières lignes : « je te remercie pour la qualité de tes questions mais, d’une certaine façon, je réprouve cet entretien dans la crainte que mon discours sur mes livres risquerait de prévaloir sur leur contenu ».
Les critiques ont beaucoup parlé des instruments de Jaffeux (l’ordinateur, le dictaphone, le logiciel de reconnaissance vocale) qui ont bouleversé son rapport à l’écriture. De sa volonté de réunir l’écrit et l’oral, comme de dépasser ou de réconcilier les contraires. De son formalisme créateur. Ils ont moins parlé des liens entre son œuvre et la spiritualité, sur lesquels Béatrice Machet lui pose une série de questions.
Bien qu’il s’en défende en partie (« ma méthode se rapproche peut-être furtivement d’une expérience mystique »), la démarche de Jaffeux m’a toujours paru relever d’une démarche spirituelle et mystique. Ses références, d’abord : « Les écrits taoïstes m’ont permis de retrouver mon électricité intérieure », la kabbale, l’hindouisme, etc. L’effacement de son ego dans l’immensité des possibles : « Les mots trouvent leur place suite à une dissolution de ma personne, qui est alors en connexion avec le chaos autant qu’avec le cosmos, entendus l’un et l’autre comme les deux seules mesures de toute chose. Dans le meilleur des cas, la disparition du sujet révèle enfin un vide divin, indéterminé et impersonnel à l’image de la forme utilisée pour l’approcher ».
« Dans l’idéal, il serait préférable que je n’entende pas ni ne comprenne ce que j’écris afin de rejoindre la dimension universelle d’une vacuité extatique, d’un style abstrait, d’un épanouissement dans une absurdité tragique et presque naturelle. Il ne s’agirait alors plus seulement de questionner l’écriture au moyen de l’écriture mais d’essayer de dépasser le mental, la compréhension ou la pensée pour créer dans une joie ineffable ».
L’artiste idéal selon Jaffeux ne ressemblerait-il pas à Jean-Sébastien Bach ?
Écrit parlé, de Philippe Jaffeux, aux éditions Passage d’encres (collection Trait court).
http://www.inks-passagedencres.fr/
11:29 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jaffeux, écrit parlé, passage d'encres
Commentaires
belle approche du travail de Jaffeux
Écrit par : julien blaine | jeudi, 14 juillet 2016
Approche éclairante. Oui son œuvre est sans doute de spiritualité et relève d'une démarche mystique (avec Chiffres-Clés et quête du nombre d'or à la clef). Comme une quête des principes universels, un "retour" vers une ère ante-littérature, que l'on retrouve dans les écrits taoïstes mais aussi, une connexion avec le cosmos et le chaos d'avant la marche du monde écrite par l'esprit rationaliste européen. Artaud a retranscrit, transposé cela dans "Héliogabale ou l'Anarchiste couronné" et ses écrits d'inspiration mystique des années 36-37 et au-delà, où fondamentalement le souffle du sacré insuffle les éléments à l'œuvre dans la mystérieuse synergies des principes universels. Pas question, évidemment, d'apparenter l'œuvre de Jaffeux à celle d'Artaud, toutes deux d'une Singularité irréductible. Mais reste, que le sacré (hors dimension religieuse, hors interprétation dogmatique, paganiste, formaliste...) y fait œuvre et loi et supporte intensément cette "joie ineffable" dont le compte-rendu sera toujours en-deçà ou une invitation à lire et s'affronter au contenu qui, seul, "parle". Une écriture expérimentale, de l'extrême, édifiant l'Etre dans sa mouvance et stigmates créatifs. Murielle Compère-Demarcy
Écrit par : COMPERE-DEMARCY Murielle | samedi, 23 juillet 2016
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