mardi, 04 juillet 2023
Les souvenirs de Christian Cottet-Emard
Christian Cottet-Emard a publié récemment - et simultanément – deux recueils de souvenirs. Deux livres différents dans un genre où il excelle.
Le premier, Chroniques oyonnaxiennes, (sous-titré tome 1, Boulevard de l'enfance – ce qui laisse présager une suite), rassemble des souvenirs d'enfance du narrateur dans la ville d'Oyonnax, une bourgade du Haut-Bugey dans les années soixante du vingtième siècle. Une ville de « sous-sous-préfecture », avec ses maisons et ses ateliers, les parfums de buis, d'iris et de pivoine mais aussi de la matière plastique en fusion, puisque Oyonnax a été la vallée de l'industrie du plastique.
Temps du bonheur (une enfance relativement heureuse), entre deux lieux de la ville, la maison du boulevard Dupuy et l'appartement de la rue Michelet. Deux pôles entre lesquels, tel un trait d'union, se tenait un petit square, détruit depuis lors pour construire une gare routière. Une blessure pour Cottet-Emard, une autre bien plus douloureuse étant d'avoir perdu la maison de son enfance, celle des grands-parents, théâtre clos de ses premières années.
Sont évoqués, outre parents et grands-parents, la dernière locomotive à vapeur, les petits commerces disparus, les promenades en forêt, les aïeux, des figures locales. Certes, certains souvenirs sont moins agréables à se remémorer : la figure sévère et redoutée de l'instituteur dont il est dressé un savoureux portrait (« le regard le plus noir, jaillissant du visage assombri d'un collier de barbe, appartenait au maître du cours préparatoire, un grand type aux épaules légèrement voûtées qui portait souvent ses vestons anthracite sans enfiler les manches, ce qui lui donnait l'allure évanescente d'un spectre à quatre bras »), la mauvaise expérience (heureusement unique) de la colonie de vacances, mais ce temps passé, hélas lointain, garde une tonalité heureuse.
On attend avec impatience le tome 2 de ces chroniques savoureuses, à la fois oyonnaxiennes et universelles.
L'Italie promise, recueil plus court, rappelle aussi des souvenirs, mais liés à l'Italie, soit vécue, soit rêvée dans l'enfance. « Parmi les pays que j'ai traversés, par plaisir et par nécessité, l'Italie m'a ébloui et me hante. »
Sont évoqués des voyages à Rome, à Vérone, en Sardaigne, et surtout à Venise, « la ville de ce que j'appelle des instants à poèmes, ces étranges épiphanies somme toute assez rares dans une vie et qui surviennent aussi dans les endroits les plus inattendus ». Ce sont les instants miraculeux d'une réalité soudain plus dense, plus pleine, qui peuvent vous saisir n'importe quand et n'importe où, dans une brasserie, au Café Florian, dans un musée, sur les Zattere.... « des moments suspendus dans le temps qui se sont imprimés dans l'esprit tels des instantanés photographiques ».
Un voyage amoureux et gourmand, davantage dans le temps que dans l'espace.
Chroniques oyonnaxiennes, tome 1, Boulevard de l'enfance, éditions Orage-Lagune-Express.
L'Italie promise, éditions Orage-Lagune-Express.
08:25 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chroniques oyonnaxiennes, l'italie promise, christian cottet-emard, orage-lagune-express
mardi, 08 juin 2021
Charmes, de Christian Cottet-Emard
Dans une note liminaire à son nouveau roman, Christian Cottet-Emard, que l'on connaît aussi comme poète et chroniqueur, nous livre la genèse de Charmes : « Le don est un mystère qui m'a toujours tourmenté, sans doute parce que j'en suis dépourvu, en particulier de celui qui m'a le plus cruellement manqué, écrire et jouer de la musique. Ce manque étant une de mes hantises les plus lourdes, je m'en suis un peu allégé en inventant cette fable où rôdent les ombres et les esprits de ce qui ne peut trouver ni repos ni fin. »
Passionné de musique mais incapable de la pratiquer, le personnage principal Charles Dautray vit seul, dans sa maison jurassienne où il rédige son journal intime. À la suite de sa rencontre avec la mystérieuse Marina, il se trouve subitement en possession de ce don musical dont il a toujours rêvé. Une carrière de pianiste concertiste s'offre soudain à lui, qu'il mène aidé par son producteur et agent artistique Aaron Jenkins, tandis que le pigiste Antoine Magnard rédige des articles sur ses concerts et les livrets de ses disques.
Le roman se constitue des récits croisés des différents protagonistes, qui forment comme les pièces d'un puzzle. On se déplace à Lyon, Paris, Barcelone, Venise et Lisbonne, on prend quelques détours par Oyonnax et Nantua. L'action progresse vers une fin surprenante.
C'est à la fois un roman très personnel, où l'auteur livre beaucoup de lui-même (sa vie, ses goûts, ses décors...) et un récit fantastique, traversé par le personnage étrange et inquiétant de Marina, avec qui Charles Dautray lie une sorte de pacte faustien. « Il est vrai que je me damnerais bien en échange d'une parcelle d'excellence musicale et du génie qui l'accompagne. »
Cottet-Emard montre une grande connaissance de la musique classique et contemporaine, et une maîtrise dans l'art du dialogue intégré : délaissant le retour à la ligne et le tiret, il introduit les répliques des personnages dans le corps même du texte, qui gagne en fluidité. Le titre Charmes (venant de la villa des Charmes, évoquée dans la deuxième partie du livre) convient bien à ce récit : c'est l'histoire d'une possession, l'histoire d'un vertige.
Charmes, de Christian Cottet-Emard, Orage-Lagune-Express éditeur.
210 pages.
Le lien pour découvrir l'ouvrage :
http://cottetemard.hautetfort.com/archive/2021/06/05/charmes-6320188.html
08:08 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : charmes, christian cottet-emard, orage-lagune-express, roman, musique
vendredi, 15 juillet 2016
Prairie Journal, de Christian Cottet-Emard
Les éditions Orage-Lagune-Express, en sommeil depuis quelques années, viennent de renaître avec la publication de deux ouvrages, dont le journal de Christian Cottet-Emard.
Plus de 400 pages de carnets rassemblées, un choix de textes qui ont pour la plupart précédemment paru sur le blog de l’auteur. « En 2005, à quarante-six ans, un homme se détournait de tout engagement social et professionnel. À l’horizon de sa prairie, il tient désormais un journal depuis une décennie. »
La prairie est bien présente dans cet ouvrage, car l’auteur vit à la campagne, dans le Jura. Observateur amoureux de la nature, du cycle éternel des saisons et de leurs infimes variations, il décrit avec autant de précision que de poésie son proche environnement, la forêt, les animaux, dont le renard et les sangliers qui viennent rôder devant sa maison, les arbres, les oiseaux, la neige, les fleurs et jusqu’à « l’éclosion des anémones pulsatiles dans la cendre noire des premiers écobuages ».
Prairie Journal est le titre d’une œuvre musicale d’Aaron Copland. Un hommage que l’auteur rend à l’un de ses compositeurs favoris. La musique tient une grande place dans sa vie. De longues heures se passent à écouter Edward Elgar, William Walton, Bach, Rachmaninov, Rimsky-Korsakov, Prokofiev, Tchaïkovski… et à lire de grands auteurs, dont Pessoa.
Les souvenirs sont très présents, dont ceux relatifs à l’enfance, à l’école primaire, pas toujours heureux, à la maison familiale aujourd’hui vendue. Mais l’auteur a trop de pudeur pour que ce soit un journal intime exhibitionniste et suffisamment de recul sur soi pour ne pas se prendre pour le centre du monde. Au fil de ces chroniques du temps qui passe, d'une belle écriture, on apprend bien des choses sur l’édition, le journalisme, la littérature, Lisbonne, le Portugal et le cigare (dont l’art de l’allumer sans en noircir la cape délicate !)
« Écrire un journal, c’est suivre sa route en gardant un œil dans le rétroviseur. » Si la nostalgie et la mélancolie sont largement présentes, l’humour traverse parfois ces carnets, dans la veine d’un précédent recueil de l’auteur, Tu écris toujours ? Ainsi quand Cottet-Emard, grand amateur de musique classique, apprend que l’on distribue des boules Quiès à l’entrée de certains concerts de rock ou de rap aujourd’hui :
« Dans ma grande naïveté, je croyais qu’il s’agissait d’une blague. Pas du tout. « Chérie, passe-moi les boules Quiès, je vais au concert. » Version arts plastiques : « Chérie, où sont mes lunettes noires ? Je vais à l’expo Soulages. » Ce monde est fou : « Chérie, je sors. Tu n’as pas vu mon entonnoir ? » (…) En tout cas, on ne pourra pas dire qu’on n’aura pas vibré, comme les vitres des riverains ! »
Christian Cottet-Emard a choisi de se tenir « au bord du monde », sur la marge, qu’il juge comme la place qui lui convient le mieux. Celle d’un témoin privilégié. « Je mesure le luxe extraordinaire qui m’est donné de pouvoir dire cela et j’en remercie je ne sais qui car je n’ai malheureusement pas la foi mais je remercie quand même car je n’aime pas l’ingratitude. »
Prairie Journal (Carnets 2006-2016), de Christian Cottet-Emard, éditions Orage-Lagune-Express
07:10 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : prairie journal, christian cottet-emard, orage-lagune-express