mercredi, 13 mars 2024
Les fantômes de ma tante, par Christian Cottet-Emard
Après un bref récit fantaisiste, « Une folle nuit d'amour ou un bon dîner chez Lapin ?», Christian Cottet-Emard revient avec un roman plus long et ambitieux, « Les fantômes de ma tante ».
Antoine Morasse, antihéros et narrateur, jeune homme indolent et immature, a perdu son emploi de journaliste dans un quotidien local. Le même jour, sa vieille tante Marcia, qui part faire le tour du monde, lui demande d'assurer la garde de sa grande maison et de veiller sur son chat, un chartreux qui ne mange que des sardines à l'huile. Voilà Antoine logé gratuitement et donc partiellement tiré d'affaire, mais c'est sans compter sur l'irruption de Pelham, un ancien valet de chambre aux pouvoirs surnaturels, de Miss Punket, une cuisinière ex-femme à barbe, d'un truand persuadé qu'un trésor est caché dans la maison - toutes créatures plutôt fantomatiques - et d'une fée Clochette, dont le narrateur tombe amoureux.
L'auteur croise ici deux de ses constantes d'écriture : l'humour (qui était le ressort de ses succulentes chroniques de « Tu écris toujours ? ») et le fantastique (à l’œuvre dans le roman Charmes). Sans oublier un clin d'oeil à l'auteur Wodehouse et son valet de chambre. Au fil des pages se dessine le savoureux portrait d'Antoine, qui pratique une philosophie hédoniste : « Être longtemps payé à ne rien faire et prendre une retraite précoce, n'est-ce pas le souhait légitime de tout homme paisible et pacifique simplement désireux de vivre en harmonie avec un monde qui n'a aucun sens ? » et goûte aux plaisirs de la vie, dont la gastronomie, aimant « le canard à l'orange, le faisan aux quatre choux et la saucisse grillée nappée à la sauce au foie gras puis flambée à l'armagnac » !
Le tout servi par une écriture maîtrisée, un sens de la formule et un art très élaboré de mêler narration et dialogue dans le même paragraphe, sans retour à la ligne, pour gagner en fluidité. Cottet-Emard livre un récit alerte et humoristique, guidé par la fantaisie et traversé par une logique de l'absurde, pour le plus grand plaisir du lecteur prêt à perdre le temps d'un livre ses repères rationnels.
Les fantômes de ma tante, par Christian Cottet-Emard, Orage-Lagune-Express, 15 €.
17:59 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : les fantômes de ma tante, christian cottet-emard, humour, fantastique
mardi, 04 juillet 2023
Les souvenirs de Christian Cottet-Emard
Christian Cottet-Emard a publié récemment - et simultanément – deux recueils de souvenirs. Deux livres différents dans un genre où il excelle.
Le premier, Chroniques oyonnaxiennes, (sous-titré tome 1, Boulevard de l'enfance – ce qui laisse présager une suite), rassemble des souvenirs d'enfance du narrateur dans la ville d'Oyonnax, une bourgade du Haut-Bugey dans les années soixante du vingtième siècle. Une ville de « sous-sous-préfecture », avec ses maisons et ses ateliers, les parfums de buis, d'iris et de pivoine mais aussi de la matière plastique en fusion, puisque Oyonnax a été la vallée de l'industrie du plastique.
Temps du bonheur (une enfance relativement heureuse), entre deux lieux de la ville, la maison du boulevard Dupuy et l'appartement de la rue Michelet. Deux pôles entre lesquels, tel un trait d'union, se tenait un petit square, détruit depuis lors pour construire une gare routière. Une blessure pour Cottet-Emard, une autre bien plus douloureuse étant d'avoir perdu la maison de son enfance, celle des grands-parents, théâtre clos de ses premières années.
Sont évoqués, outre parents et grands-parents, la dernière locomotive à vapeur, les petits commerces disparus, les promenades en forêt, les aïeux, des figures locales. Certes, certains souvenirs sont moins agréables à se remémorer : la figure sévère et redoutée de l'instituteur dont il est dressé un savoureux portrait (« le regard le plus noir, jaillissant du visage assombri d'un collier de barbe, appartenait au maître du cours préparatoire, un grand type aux épaules légèrement voûtées qui portait souvent ses vestons anthracite sans enfiler les manches, ce qui lui donnait l'allure évanescente d'un spectre à quatre bras »), la mauvaise expérience (heureusement unique) de la colonie de vacances, mais ce temps passé, hélas lointain, garde une tonalité heureuse.
On attend avec impatience le tome 2 de ces chroniques savoureuses, à la fois oyonnaxiennes et universelles.
L'Italie promise, recueil plus court, rappelle aussi des souvenirs, mais liés à l'Italie, soit vécue, soit rêvée dans l'enfance. « Parmi les pays que j'ai traversés, par plaisir et par nécessité, l'Italie m'a ébloui et me hante. »
Sont évoqués des voyages à Rome, à Vérone, en Sardaigne, et surtout à Venise, « la ville de ce que j'appelle des instants à poèmes, ces étranges épiphanies somme toute assez rares dans une vie et qui surviennent aussi dans les endroits les plus inattendus ». Ce sont les instants miraculeux d'une réalité soudain plus dense, plus pleine, qui peuvent vous saisir n'importe quand et n'importe où, dans une brasserie, au Café Florian, dans un musée, sur les Zattere.... « des moments suspendus dans le temps qui se sont imprimés dans l'esprit tels des instantanés photographiques ».
Un voyage amoureux et gourmand, davantage dans le temps que dans l'espace.
Chroniques oyonnaxiennes, tome 1, Boulevard de l'enfance, éditions Orage-Lagune-Express.
L'Italie promise, éditions Orage-Lagune-Express.
08:25 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chroniques oyonnaxiennes, l'italie promise, christian cottet-emard, orage-lagune-express
samedi, 04 mars 2023
Tu écris toujours ?, de Christian Cottet-Emard
« Tu écris toujours ? » est un ensemble de chroniques humoristiques sur la condition d'écrivain. Il a été publié en feuilleton illustré par les dessinateurs David Miège et Dominique Goubelle entre 2007 et 2012 dans le trimestriel Le Magazine des livres.
Les éditions Le Pont du Change ont publié une sélection de ces épisodes en un recueil paru en 2010.
Ces dernières éditions ayant cessé leur activité, c'est aujourd'hui le label Orage-Lagune-Express qui reprend la publication de l'intégralité de ces chroniques dont plus de la moitié était restée inédite en volume.
Entre un prologue et une postface, 34 textes vifs et enjoués constituent une sorte de faux guide pratique de l'écrivain ; cela va de « Conseils aux futurs écrivains qui se morfondent au lycée » à « Conseils aux écrivains qui veulent devenir célèbres », en passant par « Conseils aux écrivains qui ne savent rien faire d'autre ».
Ne cherchez pas dans ce livre un traité de la réussite ou une méthode infaillible pour écrire des best-sellers et devenir un auteur à succès. Cottet-Emard va détruire vos illusions et ramener les poètes chimériques à la réalité la plus prosaïque. Il dégonfle les baudruches : les auteurs les plus infatués d'eux-mêmes risquent d'en prendre pour leur grade et pour leur ego. Le sous-titre de l'ouvrage est révélateur de l'angle choisi pour traiter le sujet : manuel de survie à l'usage de l'auteur et de son entourage.
Exemple : « Votre écrivain est infernal et vous ne savez plus comment vous y prendre avec lui : avez-vous pensé à vous équiper d'un cochon d'Inde ? En observant attentivement ce petit rongeur, vous verrez que votre écrivain et lui ont beaucoup de points communs. » Un chapitre de comparaisons farfelues qui se termine par « Je voudrais juste préciser une chose à propos du cochon d'Inde : ne pas l'empêcher de manger ses crottes. D'abord il ne s'agit point à proprement parler d'excréments « normaux » mais de petites concrétions de forme oblongue produites dans leur cæcum. En les ingérant, le cochon d'Inde s'assure un indispensable complément en vitamine B. Finalement, c'est bien la seule différence avec votre écrivain. Enfin, je l'espère pour vous. »
Dans ce manuel riche de nombreux autres conseils du même tonneau, tout auteur (professionnel, débutant, amateur) et toute personne de son entourage pourront puiser pour vivre en totale harmonie (enfin, en principe...)
Avec une lucidité caustique et un humour constant, qui n'est pas sans évoquer l'humour anglais, Cottet-Emard livre une chronique drôle et décapante de la condition d'auteur.
Tu écris toujours ? de Christian Cottet-Emard. 210 pages. 10,55 €.
16:54 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tu écris toujours, christian cottet-emard, écrivain, humour
mardi, 08 juin 2021
Charmes, de Christian Cottet-Emard
Dans une note liminaire à son nouveau roman, Christian Cottet-Emard, que l'on connaît aussi comme poète et chroniqueur, nous livre la genèse de Charmes : « Le don est un mystère qui m'a toujours tourmenté, sans doute parce que j'en suis dépourvu, en particulier de celui qui m'a le plus cruellement manqué, écrire et jouer de la musique. Ce manque étant une de mes hantises les plus lourdes, je m'en suis un peu allégé en inventant cette fable où rôdent les ombres et les esprits de ce qui ne peut trouver ni repos ni fin. »
Passionné de musique mais incapable de la pratiquer, le personnage principal Charles Dautray vit seul, dans sa maison jurassienne où il rédige son journal intime. À la suite de sa rencontre avec la mystérieuse Marina, il se trouve subitement en possession de ce don musical dont il a toujours rêvé. Une carrière de pianiste concertiste s'offre soudain à lui, qu'il mène aidé par son producteur et agent artistique Aaron Jenkins, tandis que le pigiste Antoine Magnard rédige des articles sur ses concerts et les livrets de ses disques.
Le roman se constitue des récits croisés des différents protagonistes, qui forment comme les pièces d'un puzzle. On se déplace à Lyon, Paris, Barcelone, Venise et Lisbonne, on prend quelques détours par Oyonnax et Nantua. L'action progresse vers une fin surprenante.
C'est à la fois un roman très personnel, où l'auteur livre beaucoup de lui-même (sa vie, ses goûts, ses décors...) et un récit fantastique, traversé par le personnage étrange et inquiétant de Marina, avec qui Charles Dautray lie une sorte de pacte faustien. « Il est vrai que je me damnerais bien en échange d'une parcelle d'excellence musicale et du génie qui l'accompagne. »
Cottet-Emard montre une grande connaissance de la musique classique et contemporaine, et une maîtrise dans l'art du dialogue intégré : délaissant le retour à la ligne et le tiret, il introduit les répliques des personnages dans le corps même du texte, qui gagne en fluidité. Le titre Charmes (venant de la villa des Charmes, évoquée dans la deuxième partie du livre) convient bien à ce récit : c'est l'histoire d'une possession, l'histoire d'un vertige.
Charmes, de Christian Cottet-Emard, Orage-Lagune-Express éditeur.
210 pages.
Le lien pour découvrir l'ouvrage :
http://cottetemard.hautetfort.com/archive/2021/06/05/charmes-6320188.html
08:08 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : charmes, christian cottet-emard, orage-lagune-express, roman, musique
mercredi, 23 septembre 2020
Aux grands jours, de Christian Cottet-Emard
Quand on publie de la poésie depuis plus de trente ans, la tentation est grande de faire un retour sur ses débuts et de chercher à comprendre le chemin de son évolution personnelle jusqu'aux plus récentes œuvres. Des questions se posent inévitablement : ces textes anciens sont-ils encore valables, encore lisibles ? Pour ceux qui résistent à un examen critique, ne méritent-ils pas d'être corrigés, voire réécrits ? Est-il bon de les rééditer ?
Toutes ces interrogations, Christian Cottet-Emard les a faites siennes, et s'est finalement décidé à republier ses recueils passés. Comme s'il voulait mettre de l'ordre dans ses papiers. Pour solde de tout compte. En choisissant une voie médiane : ne pas republier en l'état d'origine, ne pas tout réécrire, mais corriger. En veillant à ce que les modifications apportées ne nuisent pas à l'élan vital originel.
Pari réussi. Cinq recueils parus entre 1992 et 2004 sont ici regroupés, par ordre chronologique. : Le passant du grand large, L'alerte joyeuse, La jeune fille, Le monde lisible, Le pétrin de la foudre. Suivent quelques textes ajoutés en fin de volume.
Malgré l'ancienneté de leur conception, tous ces textes témoignent déjà d'une grande maîtrise dans l'écriture, et surtout, ils permettent de mesurer l'évolution, tant dans l'inspiration que dans la forme du vers employé, depuis les premiers textes où se devine parfois l'influence de René Char jusqu'aux derniers plus personnels, plus originaux et aboutis, plus amples, comme dans cet extrait du Monde lisible :
« La flaque d'eau toujours à la même place sur la route forestière où attend la vieille voiture n'est ni le miroir ni le contraire du monde, juste une facette de ce diamant qu'on appelle la Terre. ».
Deux textes rajoutés sont d'une grande originalité : La jeune fille aux sandales de sable et L'île des libellules transparentes sont des œuvres de quatre pages dont l'écriture se situe entre prose et vers, racontant une histoire en versets, toute de mystère et de délicatesse. On a l'impression de découvrir un nouveau genre littéraire.
Le recueil lu, une question se pose : pourquoi cet auteur de romans (Le club des pantouflards, Le grand Variable), de nouvelles (Mariage d'automne), de chroniques (Tu écris toujours ?, Prairie Journal), pourquoi un aussi bon poète que Cottet-Emard ne publie-t-il pas chez un éditeur, préférant délibérément l'autoédition ?
La réponse est dans la préface de son dernier recueil :
« Je suis de moins en moins tenté de soumettre un cycle de poèmes aux éditeurs de poésie même si publier à certaines enseignes me serait évidemment agréable. Quant à la satisfaction très compréhensible de voir enfin exister le ou les poèmes en un livre imprimé, je n'ai pas besoin de déranger un éditeur pour y accéder, car les récents et fulgurants progrès dans l'art d'imprimer à tirage limité la rendent immédiatement possible et pour le plus modique des coûts. En raison des tirages restreints et de la faible diffusion de la poésie, un poète peut aujourd'hui raisonnablement se poser la question de savoir si un éditeur de poésie est capable de lui assurer un lectorat plus nombreux que celui qu'il pourrait toucher en s'éditant lui-même, toute considération de prestige et d'image de marque liée à une enseigne évidemment mise à part. »
Voilà des propos susceptibles de lancer un vaste débat sur l'autoédition...
20:32 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : aux grands jours, christian cottet-emard, poésie
vendredi, 15 juillet 2016
Prairie Journal, de Christian Cottet-Emard
Les éditions Orage-Lagune-Express, en sommeil depuis quelques années, viennent de renaître avec la publication de deux ouvrages, dont le journal de Christian Cottet-Emard.
Plus de 400 pages de carnets rassemblées, un choix de textes qui ont pour la plupart précédemment paru sur le blog de l’auteur. « En 2005, à quarante-six ans, un homme se détournait de tout engagement social et professionnel. À l’horizon de sa prairie, il tient désormais un journal depuis une décennie. »
La prairie est bien présente dans cet ouvrage, car l’auteur vit à la campagne, dans le Jura. Observateur amoureux de la nature, du cycle éternel des saisons et de leurs infimes variations, il décrit avec autant de précision que de poésie son proche environnement, la forêt, les animaux, dont le renard et les sangliers qui viennent rôder devant sa maison, les arbres, les oiseaux, la neige, les fleurs et jusqu’à « l’éclosion des anémones pulsatiles dans la cendre noire des premiers écobuages ».
Prairie Journal est le titre d’une œuvre musicale d’Aaron Copland. Un hommage que l’auteur rend à l’un de ses compositeurs favoris. La musique tient une grande place dans sa vie. De longues heures se passent à écouter Edward Elgar, William Walton, Bach, Rachmaninov, Rimsky-Korsakov, Prokofiev, Tchaïkovski… et à lire de grands auteurs, dont Pessoa.
Les souvenirs sont très présents, dont ceux relatifs à l’enfance, à l’école primaire, pas toujours heureux, à la maison familiale aujourd’hui vendue. Mais l’auteur a trop de pudeur pour que ce soit un journal intime exhibitionniste et suffisamment de recul sur soi pour ne pas se prendre pour le centre du monde. Au fil de ces chroniques du temps qui passe, d'une belle écriture, on apprend bien des choses sur l’édition, le journalisme, la littérature, Lisbonne, le Portugal et le cigare (dont l’art de l’allumer sans en noircir la cape délicate !)
« Écrire un journal, c’est suivre sa route en gardant un œil dans le rétroviseur. » Si la nostalgie et la mélancolie sont largement présentes, l’humour traverse parfois ces carnets, dans la veine d’un précédent recueil de l’auteur, Tu écris toujours ? Ainsi quand Cottet-Emard, grand amateur de musique classique, apprend que l’on distribue des boules Quiès à l’entrée de certains concerts de rock ou de rap aujourd’hui :
« Dans ma grande naïveté, je croyais qu’il s’agissait d’une blague. Pas du tout. « Chérie, passe-moi les boules Quiès, je vais au concert. » Version arts plastiques : « Chérie, où sont mes lunettes noires ? Je vais à l’expo Soulages. » Ce monde est fou : « Chérie, je sors. Tu n’as pas vu mon entonnoir ? » (…) En tout cas, on ne pourra pas dire qu’on n’aura pas vibré, comme les vitres des riverains ! »
Christian Cottet-Emard a choisi de se tenir « au bord du monde », sur la marge, qu’il juge comme la place qui lui convient le mieux. Celle d’un témoin privilégié. « Je mesure le luxe extraordinaire qui m’est donné de pouvoir dire cela et j’en remercie je ne sais qui car je n’ai malheureusement pas la foi mais je remercie quand même car je n’aime pas l’ingratitude. »
Prairie Journal (Carnets 2006-2016), de Christian Cottet-Emard, éditions Orage-Lagune-Express
07:10 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : prairie journal, christian cottet-emard, orage-lagune-express
lundi, 14 avril 2014
Entretien avec Christian Cottet-Emard
Échanges sur le court
(entretien entre Jean-Jacques Nuel et Christian Cottet-Emard)
Depuis 2011, Jean-Jacques Nuel travaille sur un vaste ensemble de plusieurs centaines de textes courts (de deux lignes à deux pages), appelé CONTRESENS, comprenant tous un titre en lettres capitales et un bref développement. Ces textes, qui naviguent entre l’humour, l’étrange, l’absurde et la poésie, ne relèvent d’aucun genre particulier, tout en se situant à la frontière de plusieurs genres (poème en prose, conte bref, histoire humoristique…)
De premiers extraits de ce travail ont été édités en recueils :
Le mouton noir, éditions Passage d’encres, collection Trait court, 2014 ;
Courts métrages, éditions Le Pont du Change, 2013 ;
Lettres de cachet, éditions Asphodèle, collection Confettis, 2013 ;
Modèles réduits, recueil en supplément à la revue belge Microbe (tirage limité), 2013.
Des extraits de Contresens sont également parus sur les sites de La Cause littéraire, INKS passage d’encres, le blog de Harfang, Paysages écrits, La Toile de l’Un ;
et dans de nombreuses revues papier : Arpa, Ouste, Les Cahiers du Sens, Harfang, Verso, Le Journal des Poètes, Le Spantole, Moebius (Québec), Patchwork, Microbe, Comme en poésie, La Grappe, Chiendents, Les Cahiers de la rue Ventura, Les tas de mots, Traction-Brabant, Bleu d’encre, Interventions à Haute Voix, Inédit-Nouveau, L’Autobus, Les hésitations d’une mouche…, les plus humoristiques étant publiés de temps à autre dans le magazine Fluide Glacial.
À l’occasion de la sortie du recueil Le mouton noir, Christian Cottet-Emard s’entretient avec Jean-Jacques Nuel sur ce projet en cours.
Christian Cottet-Emard : Depuis 2 ans, on voit tes textes courts paraître dans de nombreuses revues littéraires et en recueils. Ils semblent faire partie d’un même projet. Peux-tu nous en préciser la nature et l’importance ? Est-ce une nouvelle forme de ton écriture ?
Jean-Jacques Nuel : Ce n’est pas une forme nouvelle. J’ai écrit mes premiers textes courts sur ce modèle au milieu des années 1980 et on en trouve les premiers publiés dans mon recueil Noria paru chez Pleine Plume en 1988. Cela fait près de 30 ans ! Ces premiers textes étaient très courts et plus proches de la poésie. Ce n’est vraiment qu’à la fin de l’année 2011 que j’ai repris cette veine qui s’est développée dans un sens plus narratif, avec davantage d’humour et d’absurde.
J’en suis actuellement entre 300 et 400 textes écrits, je donne cette « fourchette » car beaucoup sont encore en chantier, ils n’ont pas encore gagné ce que j’appelle leur « bon de sortie ». J’aimerais en écrire un millier, ce qui représente un bel objectif.
CCE : Le court, est-ce un choix ou une malédiction pour un auteur du XXIème siècle ?
Te considères-tu comme le « mouton noir » de la littérature ?
JJN : Un choix, oui, mais choisit-on ? L’écriture s’impose. J’écris depuis plus de 40 ans et me suis essayé à toutes les formes, avec des bonheurs (ou malheurs) divers : poésie, nouvelle, théâtre, roman… Je crois me connaître suffisamment pour en conclure que je suis vraiment à l’aise et dans mon élément sur deux longueurs de textes : le récit d’une centaine de pages (comme « Le nom » publié en 2005 chez A contrario) et les textes très courts de Contresens.
Si mon dernier recueil porte pour titre « Le mouton noir », ce n’est pas par hasard ! Le problème ou, pour être positif, l’originalité de ces textes, c’est qu’ils ne relèvent d’aucun genre particulier, tout en se tenant à la frontière de beaucoup. Ce ne sont pas des poèmes en prose, ni des contes brefs, ni des histoires drôles, ni des mini-nouvelles, mais un mélange d’étrange, d’humour, d’absurde et de poésie qui peut déconcerter les animateurs de revues littéraires et les éditeurs habitués à des genres bien établis et reconnaissables.
Me situant en dehors des genres reconnus, j’ai du mal à m’intégrer dans des cadres existants. Ainsi, bien que certains de mes textes contiennent à mon sens plus de poésie que bien des « poèmes », je suis très rarement invité à les lire dans des programmes de lecture publique. Mais je ne peux, ni ne veux écrire autrement. Chaque fois que je me plie à un genre, comme chaque fois que j’écris “sur commande”, je me limite et régresse, mes textes deviennent artificiels et perdent en qualité. Tant pis si c’est plus dur et plus long pour m’imposer. Je dois aller au bout de ma démarche et de mon originalité. Je ne compte pas sur l’écriture pour gagner ma vie, et c’est une chance : je n’ai pas besoin d’animer des ateliers d’écriture ni de produire des ouvrages convenus pour subsister.
CCE : Dans ton dernier recueil Le mouton noir, on peut noter une prépondérance d’éléments autobiographiques par rapport aux autres ensembles publiés ces dernières années et dans lesquels dominent souvent l’absurde et un fantastique humoristique (plutôt ironique, dirais-je). Est-ce une évolution générale de ton œuvre ou un simple épisode ?
JJN : Il n’y a pas d’évolution à l’intérieur de l’ensemble Contresens. L’impression d’autobiographie vient simplement du choix effectué parmi le réservoir de textes afin de répondre à la demande de Christiane Tricoit pour sa collection Trait court, chez Passage d’encres : je n’ai gardé que des textes à la première personne, et veillé à une certaine unité. Si évolution il y a dans mon inspiration, c’est plutôt entre Contresens et mon recueil plus ancien Portraits d’écrivains (Editinter, 2002) : les premiers étaient des textes plus longs, plus narratifs ; leur thème unique (et, à mon sens, leur limite) était celui de l’écriture, de l’écrivain. Les Contresens sont beaucoup plus variés dans leur inspiration.
CCE : Parmi tes auteurs préférés, certains t’ont-ils amené plus particulièrement vers le court ?
JJN : Heureusement pour moi, je ne lis pas que des textes courts ! J’admire Joyce et Faulkner, qui ont écrit de grands romans. Mais j’ai toujours été attiré par le bref : les moralistes (La Rochefoucauld, Joubert, Chamfort…) ou des auteurs comme Buzzati, Ambrose Bierce. Sternberg m’a donné la forme avec ses « Contes brefs » : un micro texte avec un titre en majuscules et un bref développement. Mais il ne m’a donné que le cadre. Je n’apprécie pas beaucoup l’inspiration de Sternberg et préfère de loin celle de Topor. Topor est vraiment une référence pour moi, le champion de l’humour noir.
Dans tous ces auteurs, j’aime aussi la clarté, une volonté d’être lisible, comme de parler au plus grand nombre. Je ne supporte pas l’hermétisme ou l’intellectualisme. Mon écriture est très classique, ce qui permet de faire ressortir davantage l’humour et l’absurde, par le décalage entre le fond et la forme.
CCE : Le court relève-t-il plus de la littérature ou de la philosophie ? Le court permet-il de se libérer des autres genres littéraires, voire de les faire dialoguer entre eux ?
JJN : J’espère que cela relève toujours de la littérature ! C’est vrai que certaines formes courtes (je pense aux Voix de Porchia, par exemple) sont assez proches de la philosophie. Je lorgne parfois vers la métaphysique. Un court peut être un long en réduction (et l’auteur un Jivaro réducteur de textes) : un polar, un roman d’amour, une histoire fantastique peuvent être condensées en quelques lignes. Mais le court, qui s’inspire de tous les genres, est encore meilleur quand il ouvre un nouvel espace littéraire et devient un autre genre à part entière.
CCE : Tu as lu un certain nombre de tes textes courts sur scène. Il en est d’accessibles en vidéo sur internet. Le court se prête-t-il bien à ce genre de performance ? Comment le public réagit-il ?
JJN : J’ai tenté l’expérience de lire des extraits devant ma webcam et de les mettre en ligne sur Youtube, la technique est facile. À Lyon, Wexler et Houdaer m’ont invité à lire en public. La dimension humoristique des textes passe bien. Mais je ne suis pas un professionnel de l’oral, ce serait bien meilleur lu ou représenté par un acteur.
L’idée est de faire vivre le texte sous d’autres formes. La vidéo n’est qu’une des pistes. On peut imaginer d’autres choses : une mise en scène théâtrale d’un choix de textes, une exposition où dialoguent textes brefs et dessins ou peintures…
CCE : Tu as connu la grande époque des revues “underground” dans les années 70/80 du vingtième siècle. Nombre de ces publications privilégiaient le court non seulement par choix mais encore pour des raisons de contraintes matérielles (fabrication, impression, diffusion par la poste…) Le fait d’avoir beaucoup publié dans ces revues a-t-il influencé ton écriture au point d’augmenter ton attirance déjà naturelle pour le court ?
JJN : Il y avait effectivement beaucoup de revues qui aimaient le court, comme “Gros textes” qui est devenu une maison d’édition. Et une revue de nouvelles aujourd’hui disparue “Nouvelle Donne”, n’hésitait pas à publier des micro-fictions. Et je n’oublie pas Fluide Glacial où je publiais non seulement des blagues et aphorismes drolatiques, mais aussi de petites histoires. Tout cela m’a conforté et encouragé.
CCE : La publication en ligne qui constitue à mon avis le prolongement de l’effervescence des petites revues et de la micro-édition à la fin du vingtième siècle te paraît-elle un bon support pour le court ?
JJN : Un bon support, oui, d’autant plus que la lecture sur écran convient mieux aux textes courts qu’aux longs. On peut lire par exemple une petite nouvelle sur son smartphone lors d’un voyage en métro. J’ai publié des textes sur des revues en ligne. Mais je reste indéfectiblement attaché au papier.
14:48 Publié dans Mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le mouton noir, jean-jacques nuel, christian cottet-emard