lundi, 29 janvier 2018
La malédiction de l'Hôtel-Dieu (2e extrait)
Après avoir reproduit le premier chapitre de ce polar lyonnais dans une note précédente, je livre ici un 2e extrait (chapitre 18).
(Le détective privé Brice Noval accompagne le maire Gaspard Loison, avec son directeur de cabinet Marchini, pour l'inauguration du Conseil régional. Le dispositif de sécurité a été renforcé autour du maire, qui fait l'objet de menaces de mort.)
Loison avait tenu à ce que je l’accompagne pendant son trajet en voiture de la mairie jusqu’au Conseil régional. Son directeur de cabinet m’avait prévenu par téléphone que le maire aurait une proposition à me faire. Sans autre précision. Je les rejoignis donc dans la cour de l’Hôtel de ville au matin du lundi 25 avril. Le soleil brillait dans un ciel sans nuage. Marchini voulut y voir un bon présage.
Loison m’invita à monter à l’arrière de la Peugeot 508 et s’installa entre moi et son directeur de cabinet. Le chauffeur et un agent de sécurité prenaient place à l’avant.
- Voyez-vous, Brice Noval, commença le maire, je ne me laisserai pas impressionner. La vie doit continuer. Et la ville a besoin de moi.
Si à l’entendre la ville avait besoin de lui, je me dis que lui avait encore plus besoin de la ville. Il l’avait servie, mais s’était servi d’elle.
- Je ne changerai pas mes habitudes d’un iota. C’est la meilleure réponse à la terreur que ce malade cherche à provoquer.
Derrière le discours de façade, je ne le sentais pas aussi rassuré qu’il voulait le paraître. Il avait besoin de protection, et j’étais l’une des pièces de son arsenal défensif. En quelque sorte, il m’avait recruté comme garde du corps. Certes, cela me faisait une drôle d’impression de devenir l’allié objectif d’un homme que j’avais combattu, en tentant d’arrêter les exécuteurs de la malédiction. Mais si depuis mes débuts dans la profession j’avais dû trier mes clients sur leurs qualités humaines et ne retenir que des personnes honnêtes, probes et sympathiques, je n’aurais pas traité beaucoup d’affaires.
La voiture avait rejoint le quai du Rhône et suivait le sens du fleuve vers le confluent. Le maire parlait sans me regarder, mais son discours ne s’adressait qu’à moi, les autres n’étant que des comparses.
- On me reproche d’avoir des projets ambitieux pour Lyon, de construire, de bâtir. Mais pour construire, il faut d’abord détruire. Démolir une partie de l’ancien pour édifier du nouveau. Je vais de l’avant, je regarde l’avenir, en tout cas. Mes ennemis critiquent tout, et ne sont animés que par l’envie, l’amertume et le dénigrement. Prenez garde, Brice Noval, de ne pas finir comme ces vieux conservateurs. Vous valez mieux.
Si je comprenais bien, Loison me jugeait réactionnaire. Mais ce terme péjoratif était pour moi un titre de gloire. Comment ne pas être en réaction contre un monde qui ne tourne pas rond ?
- Vous êtes un homme de valeur, reprit Loison, et je voulais vous faire une proposition. Que diriez-vous de vous présenter sur ma liste aux prochaines élections municipales (en position éligible, bien sûr), et de devenir mon futur adjoint à la culture ? Je sais que le patrimoine, l’art, le théâtre, la littérature comptent beaucoup pour vous.
Adjoint à la culture ? J’eus une pensée émue pour André Mure, un journaliste lyonnais et fin connaisseur de notre gastronomie, mort en 2007, que j’avais souvent rencontré et apprécié. Il avait occupé ce poste avec brio sous un autre maire. Mais il était hors de question pour moi de travailler avec ce lascar de Loison. Proposer une place – y compris à ses adversaires, en vertu du principe qu’il vaut mieux les avoir avec soi que contre soi – était sa manière d’acheter les gens. Il ne le faisait pas avec de l’argent, ne détournant pas apparemment de fonds publics, mais en distribuant des miettes de pouvoir. Il savait vous rendre dépendant et redevable.
Je ne lui fis pas cependant part de mon refus sur le champ, lui répondant seulement qu’il me faudrait réfléchir à son offre. Le lieu et le moment étaient mal choisis pour en parler.
- Oui, nous en reparlerons, mon cher Noval. Et puisque nous en sommes sur ce chapitre de la culture, avez-vous eu le temps d’aller au spectacle ces derniers jours ?
Je lui racontai ma soirée au Théâtre de poche de la rue du Bœuf. J’imaginai que le maire pouvait être intéressé par Maurice Scève à double titre. C’était d’abord un Lyonnais célèbre, un génie de la littérature. Sur la fresque des Lyonnais, peinte sur un mur du quai Saint Vincent, il est représenté, papier et plume en mains, en compagnie de Louise Labé. Et les Scève avaient exercé au seizième siècle des fonctions municipales : le père du poète avait été échevin et juge mage ; le poète lui-même avait réglé les festivités somptueuses lors de l’entrée royale de Henri II et de Catherine de Médicis à Lyon en 1548, ainsi que les fêtes données précédemment lorsque François Ier était passé dans notre ville. Mais le maire m’écoutait d’une oreille distraite, il s’intéressait probablement moins au passé qu’à l’avenir. Et je le sentais surtout inquiet du présent.
Nous étions arrivés cours Charlemagne. Une cohorte d’officiels et de journalistes encadrés par des policiers se tenait devant l’entrée du Conseil régional. Les curieux étaient aussi nombreux, massés derrière des barrières métalliques ; maintenant que la menace pesait directement sur le maire, chacune de ses rares sorties devenait une sorte d’attraction à haut risque.
Alors que nous descendions tous de voiture, je remarquai un fourgon blanc décoré d’un logo bleu, garé de l’autre côté de la voie ; sa porte arrière s’ouvrit, et un homme revêtu d’une combinaison blanche de peintre en sortit, nous tournant le dos. Soudain il se retourna et je vis briller dans le soleil une mitraillette. Je n’eus que le temps de saisir Loison par les épaules et de le plaquer au sol tandis que retentissaient les détonations en rafale.
J’entendis un claquement de portière, un véhicule qui démarrait dans un rugissement de moteur et un crissement de pneus, une clameur nous recouvrir. Alors seulement je ressentis une douleur cuisante à la main droite : j’avais dû me fouler le pouce en me jetant à terre.
On se précipita sur nous pour nous relever. Loison était choqué mais sain et sauf. Son directeur de cabinet n’avait pas eu autant de chance. L’ancien sous-préfet gisait immobile sur le trottoir, dans une flaque de sang, le corps criblé de balles. Christian Marchini ne connaîtrait plus le moindre avancement.
Il s’était mis en disponibilité pour l’éternité.
L’agent de sécurité, touché lui aussi par la rafale et tombé à terre, respirait encore. On le transporta aussitôt à l’hôpital avec d’autres personnes plus légèrement blessés. Les policiers fébriles déployèrent un périmètre de sécurité sur toute la zone. J’entendis un officiel annoncer à la meute des journalistes que la cérémonie d’inauguration était annulée.
20:51 Publié dans Livre, Mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la malediction de l'hôtel-dieu, nuel, noval, germes de barbarie, polar, lyon
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