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samedi, 31 mai 2008

Faire du blog avec de l'ancien

Dans livre & lire n° 233 de juin, le mensuel du livre en Rhône-Alpes publié par l’ARALD, Frédérick Houdaer consacre sa chronique régulière « ecrits.net » à deux blogs : Solko et L’annexe.

 

"Faire du blog avec de l'ancien"

« Rares sont les blogs d’auteurs d’aujourd’hui qui s’intéressent aux « inconnus illustres » ayant enrichi le patrimoine littéraire lyonnais. Deux exceptions :

Solko, le blog de Roland Thévenet, qui nous offre de nombreuses et riches notes consacrées à Gabriel Chevallier, Nizier du Puitspelu, Tancrède de Visan et bien d’autres. L’esprit canut semble habiter Thévenet, qui reconnaît lui-même « collectionner maladivement les auteurs lyonnais parfaitement oubliés ». Il n’en oublie pas pour autant leurs frères d’infortune, les peintres que sont Pierre Combet Descombes, François-Auguste Ravier et François Vernay (voir les écrits d’un Béraud sur nombre d’entre eux).

L’annexe, de Jean-Jacques Nuel.

Nuel, romancier, poète, fin connaisseur du monde des revues ainsi que de la blogosphère, est l’auteur d’une biographie du croix-roussien Joséphin Soulary. C’est avec la même aisance qu’il parlera de Joyce ou de Houellebecq !

Nulle taxidermie littéraire dans les exercices d’admiration de Thévenet et de Nuel, mais bien plutôt un travail de réhabilitation opiniâtre, loin des modes et des postures avantageuses (on notera leur passion commune pour Léon Bloy). »

 

On peut télécharger livre&lire sur le site de l’Arald.

vendredi, 23 mai 2008

30 ans d'écriture

Cet entretien, réalisé par Roland Fuentès, a été publié dans le numéro 22 de la revue Harfang en mai 2003. J'y changerais aujourd'hui peu de choses, sinon le titre : bientôt 40 ans d'écriture !


Roland Fuentès : Jean-Jacques Nuel, d'où vous est venu le goût de l'écriture ? Et depuis quand écrivez-vous ?
JJN : Il faudrait un livre entier pour répondre ! J'écris depuis l'âge de 16-17 ans. J'ai ensuite poursuivi l'écriture, avec parfois de longues interruptions de plusieurs années, mais sans jamais perdre de vue l'idée que j'étais un écrivain. Je me suis toujours pensé écrivain, et peut-être avant même d'écrire, quand dans ma petite enfance je réalisais des livres vierges. D'où est venu le déclic ? D'abord de mes lectures d'adolescence, essentiellement poétiques : Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, Alfred de Musset, qui m'ont donné envie d'imiter. Et puis une rédaction, imposée par un prof de français, et dont le sujet devait particulièrement m'inspirer, a été l'occasion de mon premier travail de création, je n'ai pas compté mes heures, j'ai oublié le temps, je suis complètement sorti du cadre du devoir scolaire pour entrer dans celui de la littérature. Ensuite, l'écriture est devenue une passion régulière, un ami au lycée écrivait lui aussi, je lui montrais mes poèmes et mes premières nouvelles. Voici quelques repères conscients ; au fond, on ne sait pas pourquoi on écrit, la programmation est si lointaine, si enfouie, si complexe qu'elle nous échappe.

RF : Vous souvenez-vous de votre première publication ?
JJN : Un souvenir ineffaçable, car j'ai vécu l'un des moments les plus violents de ma vie. Au printemps 2004, je fêterai le 30e anniversaire ( !) de cette publication dans une revue disparue depuis longtemps : Syllepses, une revue littéraire de Grenoble. Mes premières publications ont l'intensité de mes premiers émois amoureux ! Je me souviens de la lettre d'acceptation, je la relisais sans cesse, je la portais sur moi. J'ai attendu la parution avec une terrible impatience. J'étais très fier, sans me rendre compte que c'était finalement peu de chose.

RF : Vous avez écrit beaucoup de poésie à vos débuts ; vous avez même publié chez Cheyne un très beau recueil : "Du pays glacé salin". Et puis vous avez tourné le dos à la poésie. Pourquoi ?
JJN : Deux recueils ont immédiatement suivi Du pays glacé salin : Immenses, au Pré de l'Age (qui vient d'ailleurs d'être réédité au Pré Carré) et Noria aux éditions Pleine Plume. J'avais choisi une voie d'ascèse, de pauvreté, d'économie de mots, elle m'a conduit au silence. Je n'avais plus rien à dire en poésie. Je suis donc revenu à la prose, dans laquelle je me sens bien plus libre. J'arrive à exprimer par la prose tout ce que j'écrivais en poésie, et j'exprime bien d'autres choses, ne serait-ce que l'humour, la dérision. Ma dimension de créateur a besoin de tout l'espace de la prose. Je décris bien sûr un fonctionnement personnel, cela n'a pas valeur de règle ni de théorie. Chacun doit trouver le genre littéraire qui lui convient le mieux, étant précisé qu'à mes yeux, il n'existe aucune hiérarchie des genres : la main à poésie vaut la main à prose (et vice-versa).

RF : Votre écriture est très précise. Il semble que vous ayez conservé de la poésie un goût pour la concision et la justesse de l'image. Travaillez-vous beaucoup votre écriture ?
JJN : Effectivement, de mon passage par la poésie, j'ai gardé la volonté d'une écriture dense, précise et travaillée. D'où ma difficulté d'écrire long (ou vite), qui provient moins d'un manque de matière que d'une impossibilité à me " lâcher ". Je travaille beaucoup mes textes, je suis plutôt perfectionniste, un peu maniaque. Est-ce un manque de confiance ? Une politesse pour le lecteur ? Je compose plusieurs versions successives d'un texte, alternant écriture manuscrite et écriture à l'ordinateur, en laissant reposer plusieurs semaines entre chaque version.

RF : La plupart de vos textes déroulent un univers légèrement décalé, à peine différent du nôtre, où l'absurde et le décalage produisent des chutes inattendues. Imaginez-vous vos ambiances et vos situations en fonction d'une chute prévue d'avance, ou la chute naît-elle logiquement de la situation que vous avez mise en place ?
JJN : Je travaille d'une façon très particulière, sans ordre ni logique. Je note sur un cahier toutes les idées qui me passent par la tête, elles concernent plusieurs idées de textes à la fois, voire aucune idée, du texte pur. Il y a des débuts, des fins, des milieux, plein de milieux, des phrases séparées. Quand j'ai assez de matière, je regroupe ces fragments de textes sur plusieurs projets de nouvelles qui sont pour ainsi dire faufilées. Ensuite je travaille chaque nouvelle séparément en plusieurs versions successives. C'est laborieux ! La chute, quand elle existe (car je ne crois pas qu'une nouvelle doit forcément comporter une chute surprenante), peut me venir avant l'écriture du texte (que j'invente à l'envers), ou surgir en cours, ou venir avec difficulté (mon texte est presque écrit mais il manque une bonne fin). Je n'ai pas de procédé régulier.

RF : Votre regard sur le monde, souvent humoristique, parfois désabusé, n'est jamais vraiment méchant. Ce qui le rend d'autant plus pertinent. La méchanceté n'a-t-elle aucune valeur littéraire à vos yeux ?
JJN : Il m'est arrivé d'être méchant dans mes chroniques ou mes critiques, principalement du temps de la revue Casse. Ma cruauté critique suscitait des polémiques, me valait des inimitiés, des haines, des injures, et avec le recul ces pratiques me paraissent négatives. Dans mon œuvre, je crois en revanche être incapable de méchanceté. L'humour est une façon de tenir ce sentiment à distance, et je suis semblable au fond à tous ces personnages dont je dénonce les travers. La méchanceté pure, telle qu'on peut la lire sous la plume d'une romancière très à la mode, est un sentiment inutile et stérile, et donne une œuvre sans hauteur, sans profondeur. Au contraire, des auteurs qui ont la vision la plus noire et " terrible " de l'humanité, qui sont d'une extrême dureté avec leurs semblables, comme Thomas Bernhard (et sa détestation de ses contemporains), Céline, ou même Houellebecq si controversé, montrent derrière leur pessimisme une réelle compassion. Pour moi, la compassion est la marque des plus grands.

RF : Le thème de l'écriture est très présent dans ce que vous faites, et vous parvenez sans cesse, à mon sens, à trouver de nouveaux angles pour l'aborder. Aimeriez-vous écrire sur d'autres sujets ? Et si oui, lesquels ?
JJN : Ce thème est très présent, trop présent. Mes héros sont des écrivains, ils lisent ou écrivent, et s'ennuient le reste du temps. J'espère simplement que les sentiments qui traversent ces personnages très particuliers relèvent de l'universel, pour que les lecteurs non écrivains s'y reconnaissent, se retrouvent dans une fraternité. Le thème de l'écriture est devenu obsessionnel ces dernières années, presque exclusif, j'ai eu besoin d'épuiser ce sujet. Je crois qu'il restera constant dans mon œuvre (tout écrivain l'aborde à sa façon, c'est la réflexion sur son art, le roman dans le roman, etc.) ; mais qu'il va se combiner avec d'autres thèmes. Les derniers textes que je suis en train d'écrire vont dans cette voie.

RF : Vous êtes l'un des auteurs les plus publiés en revues. Cela prouve que votre travail séduit beaucoup de monde. Malgré cela, aucun grand éditeur n'a encore fait le pari d'éditer un de vos recueils. Pouvez-vous expliquer cela ? Les textes courts sont-ils condamnés, en France, à ne paraître qu'en périodiques ou chez des petits éditeurs ?
JJN : Ce n'est pas faute de les soumettre aux éditeurs ; j'ai beaucoup enrichi la Poste avec mes envois de manuscrits ! Il y a d'abord une loi générale, qui repose sur des fondements économiques : malgré de rares exceptions (dont Gavalda), les éditeurs préfèrent qu'un auteur inconnu leur soumette un roman. Le Seuil et Grasset renvoient sans les lire les recueils de textes, indiquant par une circulaire qu'ils n'acceptent pas les " textes séparés ". J'ai fini par en prendre mon parti. Je publie mes nouvelles dans des revues littéraires ou sur des sites internet avant de les rassembler en recueils chez des " petits éditeurs " ; l'important, c'est de parvenir à toucher quelques lecteurs.

RF : Vous avez publié, entre 1993 et 1996, la revue Casse, à Lyon. Qu'avez-vous retiré de cette expérience ?
JJN : Un mélange de joies et de déceptions. J'ai aimé la fidélité attentive de nombreux abonnés, la possibilité de révéler de nouveaux talents, l'amitié de certaines revues, qui formaient avec Casse une sorte de famille, une communauté créatrice. Je pense notamment au Cri d'Os, à Rétro-Viseur... Une de mes plus grandes joies a été la victoire de Casse sur la commission paritaire des publications et agences de presse (cppap). Le jugement définitif du Conseil d'Etat en date du 17 mars 95, rétablissant la revue Casse dans ses droits au régime postal des périodiques, a été non seulement une heureuse nouvelle pour les finances de la revue, mais au-delà, une jurisprudence essentielle pour les petites publications, qui ont pu invoquer ce jugement dans leurs conflits avec l'administration. La déception tient à toutes les polémiques qui se sont développées autour de la revue, dont j'étais certes largement responsable, mais je suis sorti meurtri de certains mauvais échanges. Casse a été aussi victime de l'image fracassante de ses débuts. Alors qu'au fil des numéros je cherchais à gagner en sérieux et en professionnalisme, à tirer la revue vers un magazine plus ouvert et généraliste, on continuait à me coller sur le dos l'image du râleur de service, du subversif... J'ai compris que, quels que soient mes efforts, je ne parviendrais jamais à renverser l'image. D'où ma décision d'arrêter après 4 ans (qui s'explique aussi par la lassitude de l'homme orchestre)…

RF : En tant que chroniqueur de revues pour différents magazines, et auteur de " La revue, mode d'Emploi " (Calcre, 2000), vous possédez un regard très précis, et très informé sur le monde mouvant des revues. Comment pourriez-vous le caractériser en quelques mots ?
JJN : J'ai toujours été naturellement curieux des revues et je leur dois beaucoup : ayant du mal à intéresser des éditeurs à ma production, je peux au moins publier des extraits ou des nouvelles dans les périodiques. La raison d'être des revues est précisément de donner des chances aux auteurs, de petits espaces de sortie, de leur permettre de ne pas désespérer. La variété et le nombre des revues (les disparitions sont toujours compensées par des naissances) offrent un immense espace parallèle à l'édition, et certains auteurs n'y pensent pas assez. Mais la satisfaction d'une parution en revue est sans lendemain, sans retombée, alors que la publication d'un livre est un véritable événement dans la vie d'un auteur. La situation des revuistes n'est pas facile. Quand je publiais Casse, je dépassais allégrement les 200 abonnés, et n'avais aucun souci financier. Aujourd'hui, de très nombreuses revues, malgré une certaine notoriété, malgré le dynamisme de leurs responsables, parviennent difficilement à atteindre ou à dépasser le seuil de 100 abonnés. Si vous enlevez tous ceux qui s'abonnent par opportunité, dans l'espoir d'être publié, il reste peu de lecteurs réels et désintéressés ! La revue littéraire traverse une crise, qui ne s'explique pas seulement par la concurrence des webzines (très différents de la revue papier), mais par la perte de crédit de la littérature. Je crois que les nouvelles générations sont moins curieuses de la littérature. Heureusement pour les auteurs, les revues s'obstinent, malgré ce contexte défavorable. Dans l'effervescence des créations et des cessations de titres, une revue doit compter sur la durée, savoir se renouveler en restant fidèle à son identité et diversifier ses moyens de diffusion. Les grandes revues sont celles qui restent.

mardi, 20 mai 2008

Imaginales

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samedi, 17 mai 2008

Quelques revues littéraires...

(Voici trois chroniques que j'avais composées il y a plus d'un an pour le numéro 22 du magazine Salmigondis, mais celui-ci n'est jamais paru. Je les mets donc en ligne avant qu'elles ne soient trop périmées...)

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L’ANACOLUTHE n° 12 (Le Roc du cavalier, 12430 Ayssènes). 6 €. Abonnement 2 n°s 11 €.  http://lanacoluthe.user.fr

Cette « revue littéraire de création » prend son temps, va à son rythme. Créée en 1992, elle sort seulement son 12e numéro en 2006 : « Comme d’habitude L’Anacoluthe se fait attendre. C’est ainsi. Mais l’important n’est-il pas de durer ? Et puis la lenteur, n’est-ce pas le propre de la littérature de création ? Lente à écrire, lente à lire, lente à diffuser, elle passe dans le public comme à travers un filtre très fin. »

Nouvelles, réflexions, extraits de romans, poèmes, poésie en prose, textes courts… L’Anacoluthe aime la recherche, mais pas le recherché, préférant la simplicité de ton et l’originalité du style. Michel Gremeaux anime ce beau lieu (impression en Garamond sur papier vélin ou vergé, ici sur Centaure offset 120 g ivoire) qui reçoit pour cette livraison Régine Detambel, Cécile Graindorge, Pascale Petit, Luc Louwette, Estelle Folscheid, Lionel Pfister. Tableaux et dessins accompagnent ces textes d’une bonne tenue, subtils, délicats et charmeurs, magnifiquement mis en valeur par la typographie et le support. Cette réussite illustre l'originalité irréductible de la revue papier et la nécessité de sa survivance, la littérature gagnant à être lue ainsi matérialisée plutôt que sur l’écran de la revue virtuelle.

 

LE JETE DU MATIN n° 9, (Jan Bardeau, 67 rue Berbisey, 21000 Dijon). Gratuit.

Publication de l’association Cachouz Product, Le Jeté du Matin renaît de ses cendres et entame sa troisième formule (lancé une première fois en 1995, jeté aux orties en 96, relancé en 2001 puis rejeté), sous la forme d’un fanzine trimestriel aux pages grisées. Pourquoi revenir ? Par nécessité : « Face à la médiocrité des publications actuelles, il fallait que brillent à nouveau l’étoile du talent et la fureur de la création. » ! On retrouve l’humour de Jan Bardeau, qui pose en 2e de couv’ dans le rôle de Jean-Gaston Sacquavaing, maire de Cachow-City et gouverneur de la vallée de la Cachouzienne ! Bandes dessinées, jeux, nouvelles du terroir délirantes, petits textes fantaisistes (dont une histoire de « Tête de cochon » illustrée d’une véritable tête de cochon photographiée à la cuisine, à la salle de bains, dans le salon) voisinent sans esprit de sérieux. « La rédaction est totalement solidaire des propos tenus par les auteurs, quoiqu’elle reconnaisse que certains ne devraient plus circuler en liberté depuis longtemps, et que les autres, s’ils ne sont pas irrémédiablement crétins, sont alcooliques. » Vous voilà prévenus !

 

ICIELA, iciélà n° 3 (La Maison de la Poésie, 10 place Pierre Bérégovoy, 78280 Guyancourt). 10 €.

Sous l’enseigne de la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, où Roland Nadaus occupe des fonctions électives, paraît cette revue belle et luxueuse, et néanmoins pleine et passionnante. Dans l’édito, Marc Gial-Miniet précise : « On demande à l’art un moyen d’évasion… Et bien non ! ! Surtout pas ! ! L’art doit rendre visible ce qui ne l’est pas, et il ne doit pas masquer justement ce qui fait mal. Il doit rendre à tous une meilleure lisibilité du monde dans ses beautés comme dans ses horreurs. »

Un dossier sur la poésie québécoise d’expression française, un entretien avec Eugène Savitzkaya, à l’occasion de la remise du prix des Découvreurs en 2004 pour « Exquise Louise », et des textes et poèmes d’Albane Gellé, Gabriel Lalonde (Le plus beau poème/ c’est celui que je n’ai pas encore écrit/ Le plus beau poème/ c’est celui que peut-être je n’écrirai jamais). La revue rend un hommage à Jacques Simonomis, poète et revuiste (Le Cri d’Os) mort à 64 ans, le petit dossier comprend des poèmes de cet auteur, un texte fraternel de Roland Nadaus, « J.S. ne nous a pas quittés », et une photo belle et émouvante de Jacques, portrait empreint de sa bonhomie et de son humanité. L’allée qui longe la Maison de la Poésie à Guyancourt porte désormais son nom.

 

mercredi, 14 mai 2008

Nouvelles en trois lignes, de Félix Fénéon

1160406386.jpgFélix Fénéon (1861-1944) a créé en 1906 dans le journal Le Matin une rubrique intitulée Nouvelles en trois lignes qui fut vite célèbre. S’inspirant de faits-divers réels, il les réécrivait de manière à en faire ressortir la cruauté ou le comique, dans une mécanique implacable.

Régine Detambel a préfacé un choix de ces nouvelles paru en 1997 au Mercure de France. A titre d’exemples, j’en reproduis une dizaine, ciselées comme des aphorismes, qui apparaissent comme des bijoux d’humour noir dans un monde où toutes les morts sont égales et absurdes.

 

*

 

Rattrapé par un tramway qui venait de le lancer à dix mètres, l’herboriste Jean Désille, de Vanves, a été coupé en deux.

 

M. Abel Bonnard, de Villeneuve-Saint-Georges, qui jouait au billard, s’est crevé l’œil gauche en tombant sur sa queue.

 

Le Dunkerquois Scheid a tiré trois fois sur sa femme. Comme il la manquait toujours, il visa sa belle-mère : le coup porta.

 

De trouver pendu son fils Hyacinthe, 69 ans, Mme Ranvier, de Bussy-Saint-Georges, fut si déprimée qu’elle ne put couper la corde.

 

Comme son train stoppait, Mme Parlucy, de Nanterre, ouvrit, se pencha. Passa un express qui brisa la tête et la portière.

 

Une machine à battre happa Mme Peccavi, de Mercy-le-Haut (M.-et-M.). On démonta celle-là pour dégager celle-ci. Morte.

 

C’est au cochonnet que l’apoplexie a terrassé M. André, 75 ans, de Levallois. Sa boule roulait encore qu’il n’était déjà plus.

 

Rue de Flandre, Marcel Baurot, et cette quintuple amputation lui fut mortelle, a eu les doigts coupés par une scie circulaire.

 

Le soir, Blandine Guérin, de Vaucé (Sarthe), se dévêtit dans l’escalier et, nue comme un mur d’école, alla se noyer au puits.

 

Mlle Paulin, des Mureaux, 46 ans, a été saccagée, à 9 heures du soir, par un satyre (22 ans, trapu, chapeau mou sur visage ovale).

 

Pour la cinquième fois, Cuvillier, poissonnier à Marines, s’est empoisonné, et, cette fois, c’est définitif.

 

Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes, Mercure de France.

 

(portrait par Signac)

 

vendredi, 02 mai 2008

Tom et Les lignes dans Le Capital des Mots

Tom ne dit mot.

Ses lèvres ne bougent pas. Son visage ne bouge pas. Son corps ne bouge pas.

Il a écrit quelques dernières lettres, la veille, sans indiquer son nom au dos de l'enveloppe. Des lettres sans retour et sans suite, qu'il n'a même pas signées, qu'il n'a pas pris la peine de dater. Des lettres cachetées et jetées dans la boîte postale au bas de son immeuble. Puis il a refermé l'encrier.

Tom n'écrit plus.

(...)

 

La suite dans Le Capital des Mots, la revue web d'Eric Dubois, où sont publiés ce mois-ci deux de mes textes courts, "Tom" et "Les lignes" :

http://le-capital-des-mots.over-blog.fr/article-18275387....

 

Au sommaire de ce même numéro, je signale un texte de mon amie Anne-Lise Blanchard.