lundi, 14 avril 2014
Entretien avec Christian Cottet-Emard
Échanges sur le court
(entretien entre Jean-Jacques Nuel et Christian Cottet-Emard)
Depuis 2011, Jean-Jacques Nuel travaille sur un vaste ensemble de plusieurs centaines de textes courts (de deux lignes à deux pages), appelé CONTRESENS, comprenant tous un titre en lettres capitales et un bref développement. Ces textes, qui naviguent entre l’humour, l’étrange, l’absurde et la poésie, ne relèvent d’aucun genre particulier, tout en se situant à la frontière de plusieurs genres (poème en prose, conte bref, histoire humoristique…)
De premiers extraits de ce travail ont été édités en recueils :
Le mouton noir, éditions Passage d’encres, collection Trait court, 2014 ;
Courts métrages, éditions Le Pont du Change, 2013 ;
Lettres de cachet, éditions Asphodèle, collection Confettis, 2013 ;
Modèles réduits, recueil en supplément à la revue belge Microbe (tirage limité), 2013.
Des extraits de Contresens sont également parus sur les sites de La Cause littéraire, INKS passage d’encres, le blog de Harfang, Paysages écrits, La Toile de l’Un ;
et dans de nombreuses revues papier : Arpa, Ouste, Les Cahiers du Sens, Harfang, Verso, Le Journal des Poètes, Le Spantole, Moebius (Québec), Patchwork, Microbe, Comme en poésie, La Grappe, Chiendents, Les Cahiers de la rue Ventura, Les tas de mots, Traction-Brabant, Bleu d’encre, Interventions à Haute Voix, Inédit-Nouveau, L’Autobus, Les hésitations d’une mouche…, les plus humoristiques étant publiés de temps à autre dans le magazine Fluide Glacial.
À l’occasion de la sortie du recueil Le mouton noir, Christian Cottet-Emard s’entretient avec Jean-Jacques Nuel sur ce projet en cours.
Christian Cottet-Emard : Depuis 2 ans, on voit tes textes courts paraître dans de nombreuses revues littéraires et en recueils. Ils semblent faire partie d’un même projet. Peux-tu nous en préciser la nature et l’importance ? Est-ce une nouvelle forme de ton écriture ?
Jean-Jacques Nuel : Ce n’est pas une forme nouvelle. J’ai écrit mes premiers textes courts sur ce modèle au milieu des années 1980 et on en trouve les premiers publiés dans mon recueil Noria paru chez Pleine Plume en 1988. Cela fait près de 30 ans ! Ces premiers textes étaient très courts et plus proches de la poésie. Ce n’est vraiment qu’à la fin de l’année 2011 que j’ai repris cette veine qui s’est développée dans un sens plus narratif, avec davantage d’humour et d’absurde.
J’en suis actuellement entre 300 et 400 textes écrits, je donne cette « fourchette » car beaucoup sont encore en chantier, ils n’ont pas encore gagné ce que j’appelle leur « bon de sortie ». J’aimerais en écrire un millier, ce qui représente un bel objectif.
CCE : Le court, est-ce un choix ou une malédiction pour un auteur du XXIème siècle ?
Te considères-tu comme le « mouton noir » de la littérature ?
JJN : Un choix, oui, mais choisit-on ? L’écriture s’impose. J’écris depuis plus de 40 ans et me suis essayé à toutes les formes, avec des bonheurs (ou malheurs) divers : poésie, nouvelle, théâtre, roman… Je crois me connaître suffisamment pour en conclure que je suis vraiment à l’aise et dans mon élément sur deux longueurs de textes : le récit d’une centaine de pages (comme « Le nom » publié en 2005 chez A contrario) et les textes très courts de Contresens.
Si mon dernier recueil porte pour titre « Le mouton noir », ce n’est pas par hasard ! Le problème ou, pour être positif, l’originalité de ces textes, c’est qu’ils ne relèvent d’aucun genre particulier, tout en se tenant à la frontière de beaucoup. Ce ne sont pas des poèmes en prose, ni des contes brefs, ni des histoires drôles, ni des mini-nouvelles, mais un mélange d’étrange, d’humour, d’absurde et de poésie qui peut déconcerter les animateurs de revues littéraires et les éditeurs habitués à des genres bien établis et reconnaissables.
Me situant en dehors des genres reconnus, j’ai du mal à m’intégrer dans des cadres existants. Ainsi, bien que certains de mes textes contiennent à mon sens plus de poésie que bien des « poèmes », je suis très rarement invité à les lire dans des programmes de lecture publique. Mais je ne peux, ni ne veux écrire autrement. Chaque fois que je me plie à un genre, comme chaque fois que j’écris “sur commande”, je me limite et régresse, mes textes deviennent artificiels et perdent en qualité. Tant pis si c’est plus dur et plus long pour m’imposer. Je dois aller au bout de ma démarche et de mon originalité. Je ne compte pas sur l’écriture pour gagner ma vie, et c’est une chance : je n’ai pas besoin d’animer des ateliers d’écriture ni de produire des ouvrages convenus pour subsister.
CCE : Dans ton dernier recueil Le mouton noir, on peut noter une prépondérance d’éléments autobiographiques par rapport aux autres ensembles publiés ces dernières années et dans lesquels dominent souvent l’absurde et un fantastique humoristique (plutôt ironique, dirais-je). Est-ce une évolution générale de ton œuvre ou un simple épisode ?
JJN : Il n’y a pas d’évolution à l’intérieur de l’ensemble Contresens. L’impression d’autobiographie vient simplement du choix effectué parmi le réservoir de textes afin de répondre à la demande de Christiane Tricoit pour sa collection Trait court, chez Passage d’encres : je n’ai gardé que des textes à la première personne, et veillé à une certaine unité. Si évolution il y a dans mon inspiration, c’est plutôt entre Contresens et mon recueil plus ancien Portraits d’écrivains (Editinter, 2002) : les premiers étaient des textes plus longs, plus narratifs ; leur thème unique (et, à mon sens, leur limite) était celui de l’écriture, de l’écrivain. Les Contresens sont beaucoup plus variés dans leur inspiration.
CCE : Parmi tes auteurs préférés, certains t’ont-ils amené plus particulièrement vers le court ?
JJN : Heureusement pour moi, je ne lis pas que des textes courts ! J’admire Joyce et Faulkner, qui ont écrit de grands romans. Mais j’ai toujours été attiré par le bref : les moralistes (La Rochefoucauld, Joubert, Chamfort…) ou des auteurs comme Buzzati, Ambrose Bierce. Sternberg m’a donné la forme avec ses « Contes brefs » : un micro texte avec un titre en majuscules et un bref développement. Mais il ne m’a donné que le cadre. Je n’apprécie pas beaucoup l’inspiration de Sternberg et préfère de loin celle de Topor. Topor est vraiment une référence pour moi, le champion de l’humour noir.
Dans tous ces auteurs, j’aime aussi la clarté, une volonté d’être lisible, comme de parler au plus grand nombre. Je ne supporte pas l’hermétisme ou l’intellectualisme. Mon écriture est très classique, ce qui permet de faire ressortir davantage l’humour et l’absurde, par le décalage entre le fond et la forme.
CCE : Le court relève-t-il plus de la littérature ou de la philosophie ? Le court permet-il de se libérer des autres genres littéraires, voire de les faire dialoguer entre eux ?
JJN : J’espère que cela relève toujours de la littérature ! C’est vrai que certaines formes courtes (je pense aux Voix de Porchia, par exemple) sont assez proches de la philosophie. Je lorgne parfois vers la métaphysique. Un court peut être un long en réduction (et l’auteur un Jivaro réducteur de textes) : un polar, un roman d’amour, une histoire fantastique peuvent être condensées en quelques lignes. Mais le court, qui s’inspire de tous les genres, est encore meilleur quand il ouvre un nouvel espace littéraire et devient un autre genre à part entière.
CCE : Tu as lu un certain nombre de tes textes courts sur scène. Il en est d’accessibles en vidéo sur internet. Le court se prête-t-il bien à ce genre de performance ? Comment le public réagit-il ?
JJN : J’ai tenté l’expérience de lire des extraits devant ma webcam et de les mettre en ligne sur Youtube, la technique est facile. À Lyon, Wexler et Houdaer m’ont invité à lire en public. La dimension humoristique des textes passe bien. Mais je ne suis pas un professionnel de l’oral, ce serait bien meilleur lu ou représenté par un acteur.
L’idée est de faire vivre le texte sous d’autres formes. La vidéo n’est qu’une des pistes. On peut imaginer d’autres choses : une mise en scène théâtrale d’un choix de textes, une exposition où dialoguent textes brefs et dessins ou peintures…
CCE : Tu as connu la grande époque des revues “underground” dans les années 70/80 du vingtième siècle. Nombre de ces publications privilégiaient le court non seulement par choix mais encore pour des raisons de contraintes matérielles (fabrication, impression, diffusion par la poste…) Le fait d’avoir beaucoup publié dans ces revues a-t-il influencé ton écriture au point d’augmenter ton attirance déjà naturelle pour le court ?
JJN : Il y avait effectivement beaucoup de revues qui aimaient le court, comme “Gros textes” qui est devenu une maison d’édition. Et une revue de nouvelles aujourd’hui disparue “Nouvelle Donne”, n’hésitait pas à publier des micro-fictions. Et je n’oublie pas Fluide Glacial où je publiais non seulement des blagues et aphorismes drolatiques, mais aussi de petites histoires. Tout cela m’a conforté et encouragé.
CCE : La publication en ligne qui constitue à mon avis le prolongement de l’effervescence des petites revues et de la micro-édition à la fin du vingtième siècle te paraît-elle un bon support pour le court ?
JJN : Un bon support, oui, d’autant plus que la lecture sur écran convient mieux aux textes courts qu’aux longs. On peut lire par exemple une petite nouvelle sur son smartphone lors d’un voyage en métro. J’ai publié des textes sur des revues en ligne. Mais je reste indéfectiblement attaché au papier.
14:48 Publié dans Mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le mouton noir, jean-jacques nuel, christian cottet-emard
mardi, 08 avril 2014
Le mouton noir
Vient de paraître chez Passage d’encres, dans la collection Trait court :
Le mouton noir,
une plaquette regroupant 16 textes courts.
Ce recueil est dans la veine de Courts métrages (Le Pont du Change, 2013), de Lettres de cachet (Asphodèle, collection Confettis, 2013) et de Modèles réduits (Microbe, 2013) : il fait partie de l’ensemble Contresens, contenant plusieurs centaines de textes, dont je parlerai prochainement dans un entretien avec Christian Cottet-Emard.
Le mouton noir, qui ne comprend que des textes à la première personne, est un recueil plus intime et personnel, où je me livre à autant de vraies que de fausses confidences, mêlées d'humour et d'absurde.
Un extrait :
JOURS DE MARCHÉ
La coopérative des petits producteurs de la Corrèze m’avait délivré une carte d’adhérent : elle portait, je m’en souviens encore, le numéro dix-neuf. Chaque lundi matin, par tous les temps, j’allais tenir mon étal de livres sur le marché local. De la vieille fourgonnette à la carrosserie piquée de rouille, je sortais les deux tréteaux, la grande planche de bois brut, la chaise pliante et ma marchandise. Au milieu des vendeurs de saucissons, de pâtés de sanglier, de vin paillé, de fromages, de miel et de moutarde, qui criaient pour attirer le chaland, je disposais mes plaquettes de littérature et mes cartes-poèmes en petits tas bien droits ; j’exposais des tirages de tête ornés de gravures originales. Les clients étaient rares. Au plus fort de l’hiver, mes livres et moi frissonnions dans le vent glacial. Mes maigres recettes étaient heureusement complétées par la vente annexe de bouteilles d’eau-de-vie, sur lesquelles j’avais une marge de trente-trois pour cent. L’alcool était en fait ma principale source de revenus ; sans cette denrée, je n’aurais jamais pu tenir financièrement durant ces longues années à la campagne.
Le mouton noir, 32 pages, 12 x 21 cm, 5 € (+ 1,65 € de port pour un ex). Règlement à l’ordre de Passage d’encres.
Passage d'encres, Moulin de Quilio, 56310 Guern.
Suite au décès de l'éditrice Christiane Tricoit, ce recueil n'est plus disponible.
21:52 Publié dans Mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le mouton noir, jean-jacques nuel, passage d'encres
lundi, 13 janvier 2014
Le milieu du monde
Le Journal des Poètes (n° 4 / 2013) publie l'un de mes textes, "Le milieu du monde", une sorte d'hommage à Kafka. On aimerait bien avoir en France l'équivalent de ce trimestriel poétique de Belgique, qui aborde sa 83e année.
LE MILIEU DU MONDE
Joseph K. avait rejoint le train Brest-Vladivostok dans une gare de la Mitteleuropa, une banale station ferroviaire dont le nom complexe et saturé de consonnes n’était pas resté dans sa mémoire. Il s’était endormi sur son siège peu après le départ ; le sommeil avait été long et profond car le jour était levé depuis longtemps quand il se réveilla. Il avait froid. Il était seul. Le train se trouvait arrêté en pleine voie, loin de toute zone habitée, probablement aussi loin de son point de départ que de son point d’arrivée. La neige tombait en abondance et avait recouvert tout le paysage alentour ; les rails avaient disparu sous la couche épaisse, et bientôt, s’il continuait à neiger avec cette régularité et cette intensité, le convoi lui-même ne serait plus perceptible. Remontant les voitures vers l’avant jusqu’à la locomotive, puis en sens inverse jusqu’à l’arrière du train, il ne vit personne, pas même le conducteur, pas même le contrôleur, et il n’y avait plus aucun bagage, à part son vieux sac à dos. Le wagon-restaurant était propre, rangé, vidé de tout aliment et de toute boisson, comme s’il n’avait pas servi depuis longtemps. Joseph K. se mit à errer d’une voiture à l’autre, seul dans ce train fantôme que ses fantômes eux-mêmes avaient déserté.
*
Signalons aussi deux publications récentes : deux textes dans Les tas de mots n° 14 et quelques blagues dans Fluide Glacial n° 451.


10:56 Publié dans Mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nuel, journal des poètes, fluide glacial, les tas de mots
dimanche, 10 novembre 2013
L'autre Salon 2013

L'Autre Salon se tiendra à Grigny (Rhône) les 16 et 17 novembre 2013. Je serai présent les deux jours sur le stand des éditions Le Pont du Change. Outre la tenue du stand, je signerai mes derniers recueils publiés cette année :
- Courts métrages (Le Pont du Change) ;
- Lettres de cachet (Asphodèle) ;
- Modèles réduits (Microbe).
Tous renseignements sur L'Autre Salon.
18:30 Publié dans Annexes et dépendances, Mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : l'autre salon, jean-jacques nuel, courts métrages, lettres de cachet
vendredi, 25 octobre 2013
Feuilles d'automne

Quelques-uns de mes textes courts viennent de paraître dans Le Spantole n° 372. Sous une belle couverture rouge, cette revue belge dirigée par Thierry Haumont en est à sa 58e année !
Souhaitons la même longévité à Claude Cailleau qui anime depuis six ans Les Cahiers de la rue Ventura et qui m'accueille dans le numéro 22.
D'autres textes figurent au sommaire de la revue en ligne trimestrielle Paysages écrits n° 19, animée par Sanda Voïca et Samuel Dudouit.
21:38 Publié dans Mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le spantole, paysages écrits, jean-jacques nuel
jeudi, 12 septembre 2013
MICROBE 79
Le 79e numéro de la revue Microbe vient de paraître !
J'en ai assuré la préparation et la coordination.
Au sommaire : StéphaneBeau
Christian Chavassieux
Christian Cottet-Emard
Roland Counard
Grégoire Damon
Bernard Deglet
Christian Degoutte
Fabrice Farre
Jean-Marc Flahaut
Alain Helissen
Frédérick Houdaer
Hervé Merlot
Paola Pigani
Stéphane Prat
Pascal Pratz
Marlène Tissot
Les illustrations sont de Nicole Vidal-Chich
Les abonnés « + » reçoivent également, en supplément à la revue, le mi(ni)crobe 41 :
Modèles réduits de Jean-Jacques Nuel. Il s'agit d'un petit recueil contenant 22 textes brefs.
Plus d'infos ? ICI.
Pour tous renseignements, contacter ericdejaeger@yahoo.fr
16:30 Publié dans Mes publications, Revues littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : microbe, nuel, modèles réduits
vendredi, 12 juillet 2013
Patchwork, revue littéraire

Il convient de saluer une nouvelle revue littéraire, surtout quand elle a choisi de s’incarner dans le papier. Anthony Dufraisse, qui avait lancé voici quelques années la revue Mercure, est le maître d’œuvre de ce projet. En exergue, une citation de Georges Perros donne le ton : « Il faudrait créer une revue d’une imprévisible diversité, façon patchwork. » Son rythme de parution prévu est de deux numéros l’an.
C’est d’abord, visuellement, un très bel objet de format 11 x 17, 5 cm, sous une élégante couverture violette à rabat, créée par le graphiste Sébastien Lordez. Un sommaire diversifié et de qualité, à commencer par un extrait du Journal de 1929 de John Cowper Powys (traduit par Jacqueline Peltier). L’auteur américain a alors 56 ans et pense abandonner ses épuisantes tournées de conférences, quitter Greenwich Village pour se retirer à une centaine de kilomètres au nord de New York et se consacrer à l’écriture. Les pages reproduites parlent de son installation à la campagne et de la découverte de la nature. Suivent des contributions d’auteurs connus, dont Jean-Michel Maulpoix, Yves Leclair, Denis Grozdanovitch, Gil Jouanard, Jacques Jouet. Stéphane Beau ferme la marche avec ses "apories".
Patchwork, numéro 0, Juin 2013. 7 €.
Pour renseignements et commandes, écrire à revuepatchwork@free.fr
14:55 Publié dans Mes publications, Revues littéraires | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : patchwork, revue litteraire, dufraisse, powys


