samedi, 16 avril 2005
Un lévrier
Barthélémy l'Anglais, Livre des propriétés des choses
Paris, avant 1416. Traduit par Jean Corbichon
Reims, Bibliothèque municipale, ms. 993, fol. 254v.
Avec ce Lévrier, on baisse le rideau sur le blog, pour une semaine de vacances.
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vendredi, 15 avril 2005
Les ateliers d'écriture
Les ateliers d’écriture, j’en ai toujours détesté le principe, je n’ai jamais compris leur utilité. Comme je demandais à Abdelkader Djemaï, lors d’un festival du livre à Saint-Claude, à quoi pouvaient bien servir ces ateliers d’écriture qu’il animait avec constance en France et à l’étranger, il me répondit « Surtout pas à faire des écrivains ! », confortant ainsi ma conviction. Il me donna ensuite, car l’homme est subtil, des justifications (communiquer l’amour des mots, de la littérature, le goût de la lecture, développer les facultés créatrices, etc.) qui ne suffirent pas à me convaincre. Mon avis reste que cela ne peut servir qu’à assurer un revenu complémentaire à des écrivains nécessiteux (et par définition, presque tous le sont). A de très rares exceptions près, les auteurs ne peuvent vivre de leur écriture qu’à la condition de consacrer du temps, à côté de leur œuvre, à des activités para-littéraires (interventions en milieu scolaire, ateliers d’écriture, résidences d’auteurs, piges diverses pour des magazines, etc.) dont certaines sont largement aussi prenantes et assommantes que le second métier que nos aînés pratiquaient et que la plupart d’entre nous pratiquent encore. A toutes ces corvées subventionnées ou chichement rétribuées, que l’on obtient essentiellement par relations, en étant introduit et bien vu par certains donneurs d’ordre, je préfère infiniment le second métier (et d’ailleurs dans mon cas l’unique métier, mes droits d’auteurs ayant été dérisoires) que j’ai exercé dans le privé puis dans l’administration, lequel avait au moins l’avantage de me rendre libre de toute attache, indépendant, sans comptes à rendre. La liberté n’a pas de prix.
Pour en finir avec les ateliers d’écriture, je pense que l’écriture créatrice ne s’enseigne pas, car elle n’est pas réductible à des procédés. Leur danger est de donner à certains candidats à l’édition l’illusion qu’elle les transformera en écrivains. Si Raymond Carver fut un génie, les ateliers qu’il fréquenta n’y sont pour rien.
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jeudi, 14 avril 2005
110 poètes et moi
Je viens de recevoir une invitation pour le lancement à Saint-Martin-d'Hères (Isère) de cette anthologie "111 poètes d'aujourd'hui en Rhône-Alpes", coéditée par la Maison de la poésie Rhône-Alpes et l'éditeur Le Temps des Cerises. Ayant pu la feuilleter sur un stand du dernier Salon du Livre de Paris, j'ai pu vérifier que cet ensemble, réalisé et annoté par Jean-Louis Roux, comprenait quelques-uns de mes poèmes, que je lui avais envoyés à sa demande, tout en lui précisant que ces poèmes étaient anciens, très anciens, que je n'écrivais plus de poésie depuis vingt ans et que, dans ces conditions, je le laissais juge de les reproduire ou non, car j'ai quelque scrupule à passer pour un poète "d'aujourd'hui". Jean-Louis Roux a néanmoins retenu ces poèmes, et me consacre quelques lignes de commentaires. Etrange que ce passé refasse ainsi surface, et que l'on puisse encore me considérer comme un poète, alors que je suis défroqué depuis si longtemps !
J'avais l'an dernier relu ces anciens poèmes et imaginé qu'un éditeur soit intéressé à leur republication ; voici le projet de préface que j'avais composé, pour les replacer dans l'évolution de mon écriture.
Projet de préface à une réédition hypothétique de mes «poésies complètes»
Il peut paraître surprenant, au prime abord, qu’un individu qui n’est pas encore complètement mort à l’heure où il écrit ces lignes, et qui est susceptible de produire encore de la littérature (et a même le désir avoué et affiché de produire de plus belle), ose présenter ses poésies comme complètes. Comment peut-on avoir la prétention de se connaître suffisamment pour risquer un jugement aussi définitif ? Pour prendre ce pari ? Je le prends cependant. L’écriture de ces poèmes, parus chez divers éditeurs entre 1984 et 1989, m’apparaît aujourd’hui, dans la distance critique du temps, comme une époque refermée de ma vie passée, une étape qui a été nécessaire mais dont le retour est improbable.
Ces poèmes, d’une composition lente, difficile, ont occupé une période importante de ma vie. Ils contiennent les thèmes de mon œuvre globale. Ils les annoncent, les développent à leur manière sobre, parfois trop sobre à mon goût actuel. Mais ils sont irrémédiablement datés, témoins figés, arrêtés (je serais incapable de les reprendre et d’en changer une ligne), vestiges d’une écriture que je ne pourrais plus emprunter.
Lorsque je lis, relis, ces poèmes anciens, je ne me trouve certes pas en face d’un étranger, je reconnais une part de moi-même, une parmi d’autres qui se sont tues au moment de l’écriture. Et même si cette recherche est allée très loin, dans une sorte d’ascèse de l’expression, même s’il m’arrive d’être satisfait ou heureux de nombre de ses résultats, je souffre aussi de ne présenter de moi qu’une part limitée, à laquelle les lecteurs risquent de me réduire.
Ces propos sembleront surprenants, notamment à ceux qui placent la poésie au-dessus des autres genres littéraires, mais je l’ai vécu ainsi : la poésie ne m’a pas permis d’exprimer la totalité de mon être. Lorsque j’écris en prose, devenue depuis lors mon mode exclusif d’expression, j’essaie d’inclure la poésie (du moins, ce que je mettais dans ma poésie) dans le corps du texte. Lorsque j’écrivais de la poésie, je ne parvenais pas à y rassembler tout ce que je mets dans la prose, et notamment l’humour, la dérision, un désespoir très quotidien et prosaïque, toutes ces dimensions qui concourent à dresser une œuvre en laquelle je me reconnais enfin.
Et cependant, la poésie, si elle a été une étape, s’est révélée fondamentale. Elle a été d’abord la joie de lecture de mon adolescence, la porte d’entrée sur la littérature, et le vrai déclencheur de mon envie d’écrire. Lorsque je me suis mis à la création, elle a été, comme plus tard les aphorismes auxquels j’allais sacrifier aussi sur une période limitée, une école de rigueur et de densité. Sans ces premiers textes, sans ces premières publications, sans la confiance que m’ont accordée alors des éditeurs, je n’aurais pas continué ni progressé dans ma voie.
Même si je m’en suis longtemps défendu, j’ai une dette envers la poésie, et je redécouvre que ces textes que j’avais laissés derrière moi font partie de mon œuvre. Lors de lectures ou de rencontres, certains lecteurs me réclament ces poèmes, désormais introuvables. Voici donc venu le temps de republier, 20 ans après le premier recueil édité, l’ensemble de ces plaquettes en un seul volume intitulé : Poésies complètes. Pour solde de tout compte. Et par fidélité.
J.J.N.
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lundi, 11 avril 2005
Une leçon de lucidité
A l'opposé de certains raseurs phraseurs qui se croient obligés de nous pondre chaque matin une crotte stylisée ou une perle de culture sans le moindre intérêt, Christian Cottet-Emard mène à son rythme l'un des meilleurs blogs littéraires du moment.
Son feuilleton "Tu écris toujours ?" nous livre les tribulations d'un auteur en quête d'éditeur, en quête de ce minimum de reconnaisssance qui permet de survivre. C'est une vraie entreprise de lucidité, de démystification, et il est à conseiller à tous les jeunes auteurs qui se font encore des illusions sur le monde des lettres (les questions du compte d'auteur et des bourses littéraires y sont notamment abordées avec réalisme).
J'attends avec impatience la suite, les suites, des pérégrinations de cet auteur au sein du monde littéraire réel, partiellement désenchanté - mais encore plein de ressources. Car ce journal, s'il explique les pièges, les déceptions, propose aussi des solutions, modestes mais jouables.
Ecrivain véritable, fin critique, Christian Cottet-Emard se révèle désabusé sans être amer. Et le tout, pour ne rien gâter, avec humour.
Extrait :
Bien que je ne m’exprime pas depuis longtemps sur la toile, je m’y suis déjà fait copieusement insulter par des gens que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam, la plupart du temps par des écrivassiers ne jurant que par la liberté d’expression tout en regrettant de ne pas en être les seuls bénéficiaires. Ils font partie du bataillon des petits censeurs que j’évoquais plus haut.
Dernièrement, l’un d’eux, grâce aux moteurs de recherche, a exhumé une de mes vieilles notes de lecture, certes un peu vache, à propos d’un livre qui ne m’avait pas plu. Aucune réaction de l’auteur du livre (j’aurais adopté la même attitude à sa place) mais un gros caca nerveux de son lecteur ulcéré par cette fameuse note qui m’a menacé par blog interposé de je ne sais quelle vengeance en me traitant au passage de “chétif salopard”. Cet imprudent ignore que je pèse quatre-vingt-six kilos tout nu. Alors, “salopard”, peut-être, mais “chétif” non !
20:00 Publié dans Annexes et dépendances | Lien permanent
lundi, 04 avril 2005
Pour Thomas Bernhard
Oui, de Thomas Bernhard, l'un des livres les plus forts que j'ai lus. Avec Extinction, et les éléments de l'autobiographie, L'Origine, La Cave, Le Souffle, Le Froid, Un enfant. Pour ceux que ce style dérouterait d'abord, ce ressassement en boucle légèrement ouverte qui conduit infailliblement du sombre à la lumière, de la détestation à l'acceptation, je conseille de commencer par Le neveu de Wittgenstein, plus facile d'accès.
Au-delà de l’immense admiration que je voue à l’œuvre de Thomas Bernhard (son originalité créatrice, son intelligence critique), la lecture de cet auteur m’a apporté une libération de ma pratique d’écrivain. Une tradition scolaire et universitaire française, une certaine image du bon goût et du bien écrire avaient fini par me convaincre qu’il ne fallait pas user de deux procédés en littérature qui sont contraires à la finesse et à la nuance : la répétition de mots et le soulignement de mots (qui se traduit à l'imprimé par des mots ou passages en italiques). Or, je vis ces procédés à l’œuvre chez Thomas Bernhard, d’une manière constante, quasi industrielle et hautement créatrice, procédés qui correspondaient naturellement à mes envies d’écrivain mais que j’avais censurés durant des décennies. Grâce à lui, j'ai pu enfin les utiliser sans complexe et en faire mon profit.
20:50 Publié dans Lectures | Lien permanent
jeudi, 17 mars 2005
La nouvelle
Dès le lendemain il appela Laurent, en appuyant sur la touche préenregistrée de son portable. Mais ce fut sa compagne qui décrocha.
- Oui ?
- Bonjour, c’est Jean-Luc. Tu vas bien ? Je voudrais parler à Laurent.
- Il vient de sortir pour aller à la bibliothèque. Si tu veux, je lui demande de te rappeler à son retour.
Il hésita.
- Et bien, d’accord, finit-il par dire.
Une heure plus tard, Laurent rappela.
- Salut, tu cherchais à me joindre ?
- Comment vas-tu, répondit Jean-Luc volontairement par ces mots banals. Il ne voulait pas lui annoncer d’emblée la nouvelle.
- On fait aller (c’était leur expression favorite à tous deux pour indiquer que leur existence n’avait rien d’enthousiasmant et que rien ne s’était produit de notable récemment). Et toi, quoi de neuf ? poursuivit son ami, qui semblait surtout s’enquérir de l’objet de l’appel.
Mais Jean-Luc, comme sourd à la question, continuait ses travaux d’approche.
- Que deviens-tu, depuis la semaine dernière ?
Cette interrogation ne s’adressait pas à la vie familiale ni professionnelle de Laurent. Sans qu’ils se soient donné le mot, les deux amis ne parlaient jamais entre eux des aléas et des mille détails de leurs vies quotidiennes, jugées peu dignes d’intérêt ; leur curiosité ne s’exerçait que sur le domaine qui leur était essentiel et commun : la littérature - ou plus précisément : l’écriture. Leur différence d’âge (Jean-Luc était plus vieux de vingt ans) s’effaçait lorsqu’ils communiaient dans la même passion exclusive, échangeant les adresses et les informations littéraires, se racontant inlassablement leurs dernières tentatives d’édition.
- Rien à signaler, dit-il d’un ton plutôt neutre. J’ai fait de nouveaux envois aux éditeurs et aux revues. J’attends, je guette les réponses chaque jour dans ma boîte aux lettres.
La conversation venait d’être placée sur le sujet attendu. Jean-Luc profita de l’occasion. Il déplia enfin la joie contenue dans sa voix ; il la laissa parler pour lui.
- J’ai reçu une bonne nouvelle. La revue Soror va publier l’un de mes textes ; j’avais les épreuves au courrier d’hier.
Il y eut d’abord un silence en retour. Bref, mais perceptible. Comme un temps d’arrêt. Un blanc. Puis Laurent parut heureux ; du moins prononça-t-il les mots que Jean-Luc attendait.
- C’est génial ! Une des revues les plus prestigieuses, et chez un grand éditeur ! Te voilà reconnu maintenant. Et quel texte as-tu envoyé ?
- Je te l’avais montré la dernière fois que l’on s’est rencontrés : c’est une nouvelle déjà ancienne, qui s’intitule L’Avent. Elle a d’ailleurs été refusée par plusieurs petites publications. Ce qui montre que les grandes revues sont finalement aussi accessibles que les confidentielles, et qu’il ne faut pas se décourager.
Ils échangèrent encore quelques phrases, sur leurs projets respectifs. Des propos presque ordinaires, mais sur un ton plus allègre que d’habitude. Laurent semblait heureux, heureux pour Jean-Luc - c’est du moins ainsi que ce dernier interpréta sa réaction. Comment être sûr ? Il ne pouvait voir ni son visage ni l’attitude de son corps, et les inflexions de sa voix étaient assourdies par la distance.
Le silence succéda à leurs paroles. Ce fut d’abord le silence de Laurent, puis celui de Jean-Luc, puis un silence commun qui s’écoula, s’accumula jusqu’à devenir perceptible et pesant. Laurent ne semblait pas disposé à prolonger la conversation. Peut-être que la durée commençait à le gêner : tous deux habitaient des coins opposés du pays et la communication était à sa charge. C’est pour cela que Jean-Luc avait appelé la première fois et qu’il avait été déçu de ne pas trouver son ami au bout du fil. Pour une fois qu’il était porteur d’une bonne nouvelle, il aurait aimé éterniser cet échange (surtout après l’avoir gardée pour lui toute la soirée précédente, toute la nuit sans pouvoir dormir et une grande partie de la journée, tout ce temps en tête-à-tête avec une joie trop grande). Mais il ne pouvait faire payer à un autre le prix de son bonheur. Il prit congé.
- A bientôt.
- A bientôt, Jean-Luc. Et franchement, bravo. C’est une vraie réussite. Un sacré encouragement.
Il reposa le téléphone portable sur son bureau. Devant lui, l’enveloppe à en-tête de la revue Soror - si belle, si élégante - renfermait la précieuse réponse. A côté d’elle, sa montre indiquait une heure de fin d’après-midi d’hiver, une heure familière, à laquelle il avait coutume d’écrire depuis si longtemps. Depuis tant d’années. Des décennies. Il retrouva sa solitude. Une vieille fatigue qu’il avait oubliée depuis la veille revint et reprit possession de tout son corps, le tassa sur sa chaise. Il regarda derrière lui, par dessus son épaule, par delà son épaule, et vit la succession de portes ouvertes, en enfilade, jusqu’à l’autre bout de l’appartement, jusqu’à la porte-fenêtre du balcon par laquelle on ne voyait que le noir uni de la nuit. Il ferma les yeux. Si une femme avait répondu à sa déclaration d’amour après vingt ans de silence, quelle aurait été sa réaction ? Aurait-il encore été là, rivé à sa table, réduit à l’état de squelette ou de fantôme, à guetter la réponse ? Cette nouvelle, si heureuse, si providentielle, si follement espérée (et devenue inespérée avec le temps) ne pouvait combler une attente aussi longue, ni effacer la souffrance passée. Le désert avait traversé la plus large part de sa vie. Rien ne lui rendrait ces années perdues. Rien ne le ferait revivre. Il fixa l’enveloppe dérisoire, refermée sur un contenu dérisoire. Toute une vie pour ça, pour une réponse après mille refus, une lettre de quelques lignes, quelques mots si communs au fond, une signature qui compte dans le milieu littéraire. Connaître la solitude, l’échec, l’amertume, devenir vieux, pour une chance qui n’en est plus une depuis longtemps, tout ça pour réussir quand il est trop tard.
*
(La nouvelle a été publiée notamment dans le magazine Bien-dire n° 30)
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dimanche, 13 mars 2005
Panthère
Physiologus
Angleterre, 3e quart du XIIIe siècle
Paris, BNF, département des Manuscrits, Latin 3630, fol. 76
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