lundi, 10 octobre 2005
L'anti traité d'athéologie
Dans Le Figaro Magazine, quelques « bonnes feuilles » du dernier ouvrage de Matthieu Baumier, paru aux Presses de la Renaissance, L’anti traité d’athéologie, en réponse au best-seller de Michel Onfray :
http://www.lefigaro.fr/magazine/20051008.MAG0017.html
Présentation de l'éditeur
En quelques années, Michel Onfray est devenu le principal promoteur d'un antichristianisme militant sans équivalent dans le paysage intellectuel français.
Campant sur des positions équivoques définies arbitrairement comme un " nietzschéisme de gauche ", l'auteur du Traité d'athéologie fait de l'hédonisme le stade ultime d'une civilisation du plaisir et de la jouissance. Son opposition radicale violente aux trois monothéismes fondateurs de civilisations - le judaïsme, le christianisme et l'islam - constitue l'armature d'un mode de pensée dont les failles sont ici découvertes, mises à nu. Avec rigueur et minutie, Matthieu Baumier démonte le système Onfray point par point, thème par thème, argument par argument. L'aveuglement militant et les approximations d'Onfray - dont les méthodes et les références relèvent ici plus du sophisme que de la philosophie -, apparaissent alors avec une évidence qui ne peut laisser insensible.
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jeudi, 29 septembre 2005
L'Oie Plate a son site
L’Oie Plate, éditeur d’ouvrages pratiques pour les auteurs, ouvre son site internet.
A cette occasion, je remets en ligne l’article que j’avais écrit lors de la sortie en mars 2005 de l’annuaire Audace :
L’infatigable Roger Gaillard nous a livré pour le Salon du Livre de Paris 2005 sa nouvelle édition de l’annuaire AUDACE, Annuaire à l’Usage Des Auteurs Cherchant un Editeur, dont la première version a déjà près de 20 ans ! Ouvrage longtemps retardé par les difficultés rencontrées l’an dernier par le Calcre, précédent éditeur de l’annuaire. Les choses étant complexes par ailleurs, voici la situation actuelle : le Calcre, mis en liquidation judiciaire, n’existe plus. Une nouvelle association, Cose-Calcre, dont j’ai déjà parlé, a repris les buts du Calcre ainsi que la gestion du magazine Ecrire & Editer et la diffusion de livres pratiques pour les auteurs. Parallèlement, d’anciens bénévoles du Calcre (l’ex noyau dur) ont créé une maison d’édition, L’Oie plate, qui édite désormais Audace ainsi qu’un ouvrage de Marc Autret, 150 questions sur l’édition (voir http://marcautret.free.fr ). Pourquoi l’Oie plate ? Pourquoi pas ? C’est en tout cas, au-delà d’un logo rigolo, un acronyme forgé par le facétieux Roger et qui signifie « Observatoire Indépendant de l’Edition Pour Les Auteurs Très Exigeants » !
On ne présente plus cet annuaire, mais il n’a jamais été aussi gros et riche d’informations : 1097 éditeurs de littérature (dont 627 de romans, 489 de poésie, 440 de contes et nouvelles, 207 de théâtre, etc.) sont répertoriés, chacun sur une fiche d’une demie page comprenant coordonnées complètes, données chiffrées et commentaires. Audace répond aux questions que se posent les postulants à l’édition : quelle est la politique éditoriale de tel éditeur ? Quel type de contrat propose-t-il ? Quelle est sa taille ? Combien de titres par an ? Publie-t-il une revue ? Pratique-t-il le compte d’auteur ? Accepte-t-il des auteurs débutants ? Combien reçoit-il de manuscrits ? Quel sera son délai de réponse ?...
Audace est bourré de conseils pratiques. Il donne les clés des contrats d’édition. Il conseille les débutants sur la présentation et la protection du manuscrit, explique le rôle des comités de lecture. Mais au-delà de ces informations, Audace s’engage, notamment dans le domaine de l’édition à compte d’auteur, critiquant les éditeurs prestataires, les recommandant ou les déconseillant. Couvrant tout le spectre de l’édition, cet annuaire peut se révéler utile à tout auteur.
54 € + 5 € de port, soit 59 €.
Disponible auprès de
L’Oie plate, B.P. 17, 94404 Vitry Cedex.
site internet : www.loieplate.com
contact : info@loieplate.com
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Et aussi : 150 questions sur l'édition, antisèche à l'usage des auteurs, de Marc Autret, 19 € (+ 3 € de port)
Comment démarcher les éditeurs, préparer son tapuscrit, négocier un contrat, obtenir un à-valoir, placer une traduction, corriger des épreuves, protéger un texte, se faire attribuer un ISBN, chiffrer les coûts de l’impression numérique, détecter un contrat suspect, publier sous pseudonyme, diffuser une œuvre sur le net… ? En 150 articles et 240 pages, ce guide arme les auteurs de stratégies concrètes pour affronter le droit, les contrats et les pratiques de l’édition. Qu’il soit romancier, poète, journaliste, traducteur…, le « chercheur d’éditeur » trouvera ici toutes les clefs pour mener à bien un projet réaliste.
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mardi, 06 septembre 2005
La possibilité d'une île
Par cet article, je suis bien conscient d’entrer dans une zone de turbulences. Parler, écrire de Houellebecq ne peut plus se faire dans la sérénité, rarement un auteur a été l’objet d’une telle passion (la « bataille d’Hernani » autour de Hugo en 1830 devait être bien modeste en comparaison !), adulé par les uns, vomi et exécré par les autres, selon une ligne de partage un peu irrationnelle, des clivages qui ne sont ni classiques, ni logiques. Mais, face à une critique largement indigne, dans les torrents de hargne et de mauvaise foi actuellement déversés par certains journalistes installés contre un auteur seul au monde de sa création (malgré l’inouï tapage), il devient urgent et essentiel de témoigner, comme simple lecteur, de dire à quel point l’irruption de Houellebecq dans les lettres françaises et dans la littérature internationale est une chance, un séisme salutaire, dire à quel point cette œuvre est bien autre chose que son écume médiatique, le plan médias de ses éditeurs et le fracas de scandale couvrant la voix si nouvelle qui nous parle du monde et de nous-mêmes.
L’une des nombreuses idées reçues qui circulent sur Houellebecq (et visant à discréditer son œuvre) est qu’il aurait produit un premier roman intéressant, Extension du domaine de la lutte, et que la suite ne serait qu’une mauvaise copie, une exploitation commerciale de ses thèmes de prédilection. Tout au contraire je pense qu’Extension du domaine de la lutte, excellent roman, n’est que le seuil et la promesse de l’œuvre future ; depuis cette publication, chaque nouveau livre frappe plus fort, nous emmène plus loin, jusqu’à ce livre-somme, complexe et ambitieux, La possibilité d’une île. Ici, dans un double mouvement, Houellebecq se concentre et se développe, l’auteur le dit lui-même, et peut-être sans malice : « Je crois que c’est mon meilleur livre. » Ce qu’il confirme dans le Journal qu’il tient désormais sur internet : « La possibilité d’une île est mon chef d’œuvre, sur le plan romanesque tout du moins.».
L’intrigue du roman a été suffisamment rapportée dans d’autres articles pour qu’on y revienne en détails ; la querelle autour de la science-fiction (le recours à ce genre dévaloriserait le livre) est un faux débat : pour peu qu’on le détourne, ou qu’on dépasse le cadre étroit de ses règles, tout genre peut servir à un livre de littérature ; Bernanos a bien écrit Un crime, qui est une sorte de roman policier, et sans rien perdre de son génie. La possibilité d'une île n'utilise d’ailleurs la SF que comme élément structurant, pour intercaler les récits avec va et vient dans le temps, et mettre en perspective le récit fondamental de Daniel1, qui est notre contemporain, "observateur acéré de la réalité contemporaine".
D’une structure entrecroisée bien plus complexe que Plateforme (que l’auteur juge curieusement raté), La possibilité d’une île est un roman sur le temps, celui de l’homme individuel, celui de l’humanité, leurs (possibles) éternités respectives. Ce roman contient, enchâssés dans le corps du texte, les aphorismes les plus saignants et cinglants que l’on ait pu lire depuis longtemps sur la déchéance physique de l’homme détruit par l’âge, « La vie commence à cinquante ans, c’est vrai ; à ceci près qu’elle se termine à quarante. », et des pages poignantes sur la détresse des personnes âgées, considérées dans nos sociétés comme de purs déchets, alors qu’une civilisation devrait « se juger au sort qu’elle réserve aux plus faibles, à ceux qui ne sont plus ni productifs ni désirables. ».
L’essentiel du roman, c’est le récit de Daniel1, humoriste à succès vivant à notre époque, récit qui sera commenté deux mille ans plus tard par ses lointains descendants clones, Daniel24 et 25, des néohumains. Le personnage de Daniel, ignoble et cynique mais lucide et en quête d’amour, « J’étais sans doute un des derniers hommes de ma génération à m’aimer suffisamment peu pour être capable d’aimer quelqu’un d’autre. », est une grande réussite. Sa position est le meilleur poste d’observation de la société moderne. Comme le fou du roi, le bouffon, le comique peut aller trop loin, sans crainte de sanction (avec même la récompense de la gloire, du sexe et de la richesse) ; tout en en faisant commerce, il dit l’abject et le révèle, il tend à la société le miroir déformé du rictus, ou le mal à peine exagéré. On a parlé de la lucidité de Houellebecq, une qualité que même ses détracteurs lui reconnaissent ; on pourrait le qualifier de voyant, car dans la vision à peine caricaturée, à peine déformée de notre présent, il révèle notre avenir. « Ce que nous essayons de créer, c’est une humanité factice, frivole, qui ne sera plus jamais accessible au sérieux ni à l’humour, qui vivra jusqu’à sa mort dans une quête de plus en plus désespérée du fun et du sexe ; une génération de kids définitifs. » En quelques formules ciselées, glaciales, définitives, qui tombent comme des condamnations, il résume les clés du fonctionnement de nos sociétés : « Dans le monde moderne on pouvait être échangiste, bi, trans, zoophile, SM, mais il était interdit d’être vieux. » ; « Augmenter les désirs jusqu’à l’insoutenable tout en rendant leur réalisation de plus en plus inaccessible, tel était le principe unique sur lequel reposait la société occidentale. » Il décrit le monde tel qu’il est, sans œillères idéologiques, montrant la violence, l’insécurité, l’ennui, le vide, la misère sexuelle et sentimentale et surtout, après la perte irrémédiable des repères et valeurs traditionnels, la place et le rôle du sexe dans notre société, sa valeur marchande, sa valeur exclusive.
Dans une de ses interviews, Houellebecq affirme être « spécialiste » de deux types de scènes : celles de sexe et de mort. La mort d’Annabelle dans Les particules élémentaires est une merveille d’émotion (avec cette phrase, sublime, « Son corps reposait à mi-hauteur, désormais inutile, analogue à un poids pur, dans la lumière. »), elle peut vraiment tirer les larmes, prouesse exceptionnelle dans la littérature, contrairement au cinéma. Dans ce nouveau livre, on trouve peu de scènes de mort, sauf la brève description de celle du chien Fox ; quant aux scènes de sexe, contrairement aux romans précédents elles ne sont pas catastrophiques mais en général heureuses et réussies, ce qui les rend du coup plus banales et conventionnelles.
Houellebecq est rejeté principalement par ceux-là qu’il dénonce, dont il décrit les ridicules et l’ignominie, et qui accaparent tous les pouvoirs : cette génération issue de 68 de libertaires alliés aux libéraux et qui tiennent la quasi totalité des médias, qui règlent la vie culturelle et universitaire. Qui font la loi – et la police de la pensée. (L’une des raisons de son succès, certes non la meilleure, tient à ce qu’il nous venge, en les moquant, de leur domination.) Toutefois, Houellebecq n’est pas réactionnaire en ce qu’il ne se place pas d’un point de vue passéiste et ne regrette pas l’état antérieur (par exemple, bien qu’il semble penser que la religion a été un ciment pour l’humanité, un rempart contre la violence et l’égoïsme des hommes, il n’a foi qu’en la science et annonce l’inévitable déclin des religions), il radiographie le présent et en projette l’ombre future, forcément sinistre, au train où vont les choses.
Que peuvent répondre les détracteurs officiels – les Naulleau, Patricola et consorts – du haut de leur position professorale, de leur prétendue culture et de leur appareil critique, à ceux que la lecture de Houellebecq a bouleversés, éclairés, consolés ? Si mes goûts proprement littéraires me porteraient plutôt vers Joyce, Mallarmé ou Kafka, les romans de Houellebecq restent ma plus grande émotion de lecture. Une approche d’ordre émotionnel qui est la reconnaissance d’une souffrance. Et d’une vérité sur l’état de notre société, laquelle parce qu’elle ne prend pas la forme d’un exposé théorique mais est incarnée par des « héros » - dont maints aspects sont certes désagréables, provocants, immoraux - nous saisit. Cet auteur a su transformer sa souffrance et son malaise en mode de connaissance.
La question de savoir dans quelle mesure Houellebecq est proche des idées ou des comportements de ses personnages m’importe moins que l’œuvre, qui seule compte et restera en définitive. Le vrai débat qui vaille de s’installer à propos de cet auteur porte sur son style. Car Houellebecq, s’il a le génie de sa vision du monde, n’a pas celui d’avoir trouvé un style littéraire unique, comme Thomas Bernhard, cet autre fabuleux « professeur de désespoir », inventeur d’un ressassement moteur et créateur, d’un procédé de répétition évolutive. Le style houellebecquien n’est pas un non-style, ou un sous-style (voir pour cela la prose journalistique), c’est un style classique, parfois un peu lourd, mais que viennent constamment relever les épices de l’humour et de la poésie, ainsi qu’un usage très maîtrisé, très créatif, du point-virgule. Loin de la perfection flaubertienne, de la musique célinienne, il se rattache aux efficaces romanciers du social, dans la ligne d’un Balzac ou d’un Zola.
Houellebecq, c’est sa force, dépasse le seul domaine de la littérature, ou se sert de la littérature pour une œuvre bien plus fondamentale de dissection de la réalité contemporaine, et, à sa façon, de moraliste, qu’il poursuivra peut-être désormais sous une forme cinématographique. Il a su décrypter, incarner et assumer le malheur du monde moderne, le concentrer en lui et le rendre sous une forme accessible à un grand nombre. Ce portrait d’une époque, ce portrait de l’homme occidental actuel, est décrit de l’intérieur, vécu dans la souffrance par un auteur qui a payé personnellement, par son enfance et son adolescence difficiles (sa fascination avouée pour Un pedigree de Modiano tient à ce malheur partagé). Chez lui, comme chez les plus grands auteurs, il y a en filigrane de l’écriture du sordide une compassion pour le genre humain, une tendresse, et même – au-delà des provocations - une faiblesse pour cette moitié de l’humanité que sont les femmes, qu’il idéalise parfois, à moitié salvatrices, comme les deux belles héroïnes de ce nouveau roman, Isabelle et Esther, « celle qui n’aime pas suffisamment le sexe, celle qui n’aime pas suffisamment l’amour ».
Le lecteur a tout à gagner à traverser le rideau de mauvaise publicité qui se fait autour de Houellebecq (et que l’auteur se fait à lui-même), à oublier le scandale, les stratégies éditoriales, les articles superficiels et expéditifs d’une critique indigente, à surmonter les préjugés : l’œuvre existe, d’une concentration, d’une force inégalées dans la récente production littéraire.
La possibilité d’une île, de Michel Houellebecq, Fayard, 22 euros.
Voir le site www.michelhouellebecq.com
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mercredi, 24 août 2005
Houellebecq, par Arrabal
La chasse à l’homme est ouverte. Haro sur Michel Houellebecq, coupable de vendre, coupable de n’être pas un écrivain maudit (ou plutôt si, maudit, mais pas dans le sens du 19e siècle…), coupable d’être, dans le désert littéraire français, le seul écrivain de sa génération d’envergure internationale. C’est que Houellebecq vise juste, et frappe fort. Donc dérange. Après l’article indigne d’Angelo Rinaldi dans Le Figaro, les agressions perfides du bien-pensant Assouline sur son blog, le pamphlet de Naulleau (si les premiers livres de Jourde et Naulleau ont été remarquables, utiles et salutaires, leur petit commerce du dénigrement ressassé commence à faire long feu…), on a donc plaisir à découvrir un livre en faveur de l’auteur des Particules élémentaires pour rétablir un peu la balance, même s’il est sans nuance ni recul, puisque dicté par l’amitié et l’admiration.
Arrabal et Houellebecq, c’est d’abord une histoire d’amitié. Celle de deux écrivains, de deux créateurs, de deux poètes. « Une fois décédés la plupart de mes meilleurs amis tels que Beckett, Ionesco ou Topor, aujourd’hui Houellebecq occupe une place très spéciale dans ma vie. Nous parlons de théologie, de philosophie, de sciences et d’amour avec la gravité éclairante de l’humour. » Ce livre relate donc leurs rencontres, leurs conversations, les lettres échangées, le dialogue de deux esprits non conformistes.
Arrabal tient Houellebecq pour l’un des plus grands, pour un génie. « Plateforme est le traité de morale et le poème lyrique de notre temps. » Derrière la provocation reprochée par beaucoup à l’auteur de Plateforme (et qui n’est pas faite pour déplaire à Arrabal, lui-même, membre avec Topor et Jodorowsky du mouvement Panique, ayant largement pratiqué tout au long de sa vie la provocation élevée au rang de l’un des beaux-arts), provocation qui n’est que l’énoncé d’une vérité (« Celui qui dit ce qu’il pense cause des effets dévastateurs parmi les Gribouilles adeptes d’idéologies fossiles mais fortement mobilisatrices. »), Arrabal voit la profondeur de l’œuvre. Houellebecq est un sismographe, mesurant l’intensité des séismes, les connaissant si bien qu’il les prévoit et les annonce, « C’est le dernier résistant qui (sans perdre sa gaieté) témoigne face aux « bulldozers » des passeurs sous silence, des censures et des intimidations. », un témoin d’une implacable lucidité sur la situation de l’homme dans la société moderne (« les êtres humains, souvent cernés par la misère, passent leur vie dans la solitude et l’amertume. Les sentiments d’amour, de tendresse et de fraternité ont presque totalement disparu. Dans leurs rapports ils font preuve d’indifférence et parfois de cruauté. », écrit-il dans Plateforme), mais derrière ce pessimisme, se devinent la tendresse pour la femme et le rêve d’un monde meilleur.
Procédant par fragments, « arrabalesques » et « jaculatoires », sacrifiant à son goût pour la définition et l’étymologie, Arrabal tourne autour de son sujet, autour de ses thèmes et de ses obsessions, Houellebeq n’étant plus qu’une des étoiles de sa galaxie mentale. Il parle aussi beaucoup de lui-même, de ses amis et connaissances vivants ou disparus (Beigbeder, Kundera, Bennny Lévy, John Lennon, Yoko Ono, Hallier …). On est d’abord surpris et gêné par les redites, les mêmes phrases resservant d’un article à l’autre, avant de leur trouver un effet littéraire de répétition, comme la technique d’un peintre qui procéderait par petites touches, retours, avancées circulaires, pour préciser peu à peu le motif complet de sa toile. Ces répétitions deviennent une sorte d’incantation, et dans les raccourcis poétiques, les courts-circuits du sens, Arrabal trouve des formules qui sont des révélations, celle par exemple sur le clonage : « Lancelot du Lac, chevalier de la Table Ronde, rêvait d’être purifié par le Graal comme Houellebecq par le clonage. » Et Lanzarotte est Lancelot en espagnol !
En septembre 2002, Houellebecq comparaissait devant la 17e chambre du Palais de Justice de Paris pour « blasphème », un délit pourtant aboli en France depuis plus d’un siècle. Arrabal fut l’un de ses meilleurs défenseurs. Ayant été lui-même accusé en 1967 du même délit, étant passé sous le régime franquiste par les cachots de Murcie et par la prison de Carabanchel, il eut alors l’honneur d’être défendu par Cela, Aleixandre, Canetti, Paz et Beckett, futurs prix Nobel de littérature. Beckett eut cette phrase admirable pour la défense d’Arrabal : « C’est beaucoup ce que doit souffrir le poète pour écrire, n’ajoutez rien à sa propre peine. »
Au final, un portrait s’est dessiné, pas forcément conforme ni fidèle à l’intégralité de l’original, peut-être gauchi par l’amitié, mais près de l’intime de l’homme et du ressort de sa création. Un Houellebecq tendre comme ces vers reproduits de son poème Le Temps qui terminent l’ouvrage : Au fond j’ai toujours su / Que j’atteindrais l’amour / Et que cela serait / Un peu avant ma mort.
Houellebecq, de Fernando Arrabal, Le Cherche-Midi éditeur, 2005, 13 euros.
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lundi, 08 août 2005
Portes
Deux portes d’entrée sur Ulysse, le chef-d’œuvre de James Joyce. D’abord la porte de la Tour de Sandycove (aujourd’hui transformée en musée Joyce), le premier chapitre du roman commençant sur la terrasse de la Tour, où Buck Mulligan vient se raser en plein air, et se poursuivant dans la salle circulaire du premier étage, où les trois protagonistes, Stephen Dedalus, Buck Mulligan et Haines prennent leur petit-déjeuner ; cette porte exposée au rez-de-chaussée du Musée était à l'origine située à 4 mètres du sol et on y accédait par une échelle. Ensuite, la porte du 7, Eccles Street, domicile de Leopold Bloom, lieu de son départ et de son retour au dernier chapitre du roman, lieu du monologue final de Molly Bloom. L’immeuble correspondant à cette adresse, une des plus célèbres de la littérature internationale, était alors situé du côté droit de la rue (en venant de Dorset Street), à peu près en face du numéro 76, mais il n’existe plus, rasé en 1982 pour faire place à une extension du Mater Private Hospital. La porte d’entrée originelle a été transportée et scellée dans le mur de la cour du Joyce Centre, sis 35 North Great George’s Street, Dublin 1.
A ces portes se rattache une symbolique des clés très présente dans Ulysse. Stephen, vers la fin du premier épisode, sortant le dernier de la Tour, en ferme la porte et garde sur lui la clé, qu’il rendra ensuite à Mulligan qui la posera sur ses vêtements au bord de la plage. Stephen ferme un monde où il ne reviendra plus. A la fin du roman, Bloom rentrant chez lui en compagnie de Stephen, ne retrouve plus ses clés qu’il avait laissées dans un autre pantalon ; il en est réduit à escalader la grille et passer par l’arrière-cuisine avant de venir ouvrir à Stephen. Entre ces deux bornes, nous croisons John O’Connell, le directeur du cimetière de Glasnevin où parvient le convoi funèbre du pauvre Dignam, qui garde les clés du monde des morts. Et Bloom, démarcheur en publicité pour le journal L’Homme Libre, envisage pour l'un de ses clients, M. Alexander Cleys, (« établissement Cleys, négociant en thés, vins et spiritueux) une publicité représentant deux clés croisées et reposant sur un jeu de mots : LA MAISON A CLE(Y)S.
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mercredi, 03 août 2005
Voyages dans le Dublin d’Ulysse
Aux amoureux de l’œuvre de Joyce, et notamment d’Ulysse, qui voudraient retrouver un peu des os et des articulations de la ville de Dublin sous la chair du roman, on ne saurait trop conseiller, d’abord un séjour dans la capitale irlandaise, ensuite quelques guides qui les aideront à reconnaître quelques lieux noyés au sein d’une ville qui, bien que grandement changée depuis un siècle, a le souci de préserver l’extraordinaire patrimoine de ses écrivains. L’entreprise n’est pas qu’un pèlerinage et un prétexte à rêver de Joyce, mais une démarche très logique, l’auteur lui-même ayant affirmé que si Dublin devait un jour être détruite, elle pourrait être reconstruite à partir de ses livres.
Le livre indispensable (en anglais) est The Ulysses guide, Tours through Joyce’s Dublin, de Robert Nicholson aux éditions New Island (11 euros). L’auteur connaît son sujet, puisque, né et vivant à Dublin, auteur d’ouvrages sur Joyce, il a été conservateur du musée Joyce à Sandycove, puis du Dublin Writers Museum avant de devenir directeur du James Joyce Centre. Son petit livre suit les déplacements de Leopold Bloom et de Stephen Dedalus le 16 juin 1904, et propose 8 circuits avec cartes, photos anciennes, rappels du texte joycien, pour revivre pas à pas les principaux épisodes, de Télémaque à Pénélope.
Deux petits documents peuvent aussi se révéler utiles. L’un est un simple dépliant cartonné (vendu 1 euro à l’Office du Tourisme), Ulysses Map of Dublin. Il localise sur un petit plan 37 points clés du roman dans Dublin et environs, et surligne 4 itinéraires complets, dont celui du convoi funèbre conduisant Paddy Dignam de son domicile au cimetière de Glasnevin.
L’autre est un plan de la ville recto-verso (sponsorisé par Guinness !), « So this is Dyoublong ? », édité par le James Joyce Centre. Au nord de la Liffey, qui coupe la ville en deux, 46 pastilles numérotées, et au sud, 41 pastilles, renvoient en marges à des citations extraites des œuvres Dubliners, Stephen Hero, A portrait of the Artist as a Young Man, Ulysses, Finnegans Wake, chaque citation s’inscrivant dans un lieu précis de la cité.
Enfin, il vous reste la possibilité d’assister au Bloomsday, qui se tient chaque 16 juin à Dublin. Des lectures de l’œuvre, des reconstitutions, des déplacements sur les lieux sont organisés, mais pour en profiter pleinement, il faut une excellente maîtrise de la langue anglaise. Tous les renseignements sur le site www.jamesjoyce.ie
et à l’adresse suivante :
The James Joyce Centre, 35 North Great George’s Street, Dublin 1
tel 00353 1- 8788547, e-mail info@jamesjoyce.ie
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vendredi, 08 juillet 2005
L’éternelle actualité de Léon Bloy
Cet article est paru dans le n° 14 du Journal de la Culture.
Je suis venu tard à Léon Bloy. Longtemps je ne l’ai connu que de nom, et de mauvaise réputation. On sait que Bloy sut se rendre insupportable à ses contemporains par son intransigeance et sa franchise. La fameuse conspiration du silence, élevée par ses ennemis comme une sorte de cordon sanitaire pour continuer en paix leurs petites affaires et leur petit commerce littéraire, et qui eut pour notable conséquence de le réduire à la misère, fut si efficace qu’elle dure un siècle après la mort de l’auteur. Une autre conspiration, plus actuelle, nous empêche d’aller à Bloy : celle d’une réputation de réactionnaire : catholique presque intégriste, ennemi de la démocratie, antisémite, anti-révolutionnaire, etc., (un récent article du Matricule des Anges traînait encore ces encombrants clichés, partiellement fondés mais essentiellement faux, la richesse et la complexité de Bloy étant irréductibles à toute étiquette). Mais la police de la pensée post-soixante-huitarde n’explique pas tout. Car, dans les années 60, à la veille de mai 68, alors que régnaient une bourgeoisie ennuyeuse et un catholicisme tiède, et qu’on apprenait au lycée la littérature dans le Lagarde et Michard, Bloy était pareillement maudit. Passé sous silence, comme on dirait passé par les armes. Car Bloy a toujours dérangé. Vivant, mort, il est le même scandale. Celui qu’on ne veut pas entendre.
Incontestablement, depuis quelques années, un mouvement souterrain mais irrépressible semble faire sortir Bloy de sous la poussière des bibliothèques et de sous le silence. Internet joue une large part dans cette réhabilitation, car de nombreux blogs font l’éloge du furieux imprécateur. Les rééditions de certains ouvrages (l’œuvre complète étant parue naguère au Mercure de France), se succèdent : Sueur de sang, au Passeur, le Journal, dans la collection Bouquins chez Robert Laffont, Exégèse des lieux communs, chez Rivages (2005) et à la fin de l’année 2004, les deux romans Le désespéré et La Femme pauvre à la Part Commune. Espérons que reparaîtra bientôt Histoires désobligeantes, splendide recueil de nouvelles qui demeure l’une des meilleures portes d’entrée de l’œuvre (semble-t-il réédité par L'Arbre Vengeur, tout récemment).
Loin de moi l’idée, ou l’ambition, d’être un exégète de la pensée de Bloy, et d’écrire un article inspiré comme certains chroniqueurs qui sont pris dans la même spirale spirituelle (je renvoie à un bel article de Dantec, « BLOY EST VIVANT et nous sommes morts » sur le site de Tsimtsoum. Mais alors qu’aux yeux des vrais catholiques je ne suis qu’un mécréant, qu’est-ce qui me fait aimer si fort Léon Bloy, à l’égal d’auteurs aussi différents et apparemment inconciliables qu’Artaud, Bataille, Lautréamont (que Bloy fut d’ailleurs l’un des premiers à découvrir), Thomas Bernhard, Jarry ? Une conception exclusive et forcenée de la littérature, probablement. Une commune rage, une commune exigence, qui les fait paraître vivants dans un monde endormi. La même haine du bourgeois, et de la vie bourgeoise qui nous digère peu à peu.
Le désespéré, encombré de digressions sur l’état du monde catholique, de portraits de la société littéraire, artistique et journalistique de son temps, n’est pas véritablement un roman, mais une transposition de la vie même de Bloy, se décrivant ici sous le personnage de Caïn Marchenoir, dans les années de sa liaison avec la prostituée Anne-Marie Roulé, peinte sous les traits de Véronique Cheminot. On y retrouve des épisodes de sa vie, les heurs et surtout les malheurs, la description au vitriol de la société littéraire de son temps (Paul Bourget, Catulle Mendès, Alphonse Daudet, Guy de Maupassant, qu’il exècre tous et vomit – mais on relèvera concurremment son admiration pour Baudelaire, Verlaine et Flaubert, preuve qu’il ne se trompait pas dans l’élection des géants), la collaboration aux journaux de l’époque, la création de son propre périodique Le Pal, (ici Le Carcan), le tout visant à démontrer « l’écrasement d’un homme supérieur par une société infâme ». Si Marchenoir est un désespéré, c’est que la société est proprement désespérante.
Cet ensemble parfois hétérogène, fourre-tout, tient par le liant d’un formidable style, qui n’a rien à vrai dire d’original, mais reste d’une puissance inégalée. Cet excès de mots, ces images énormes et osées, cette fabuleuse inventivité dans la hargne et la démolition, passent dans le fleuve du style, dans la langue inspirée, fracassante de Bloy. Suprêmement polie dans la forme et restée cependant à l’état brut, animée par une nécessité intime de garder et livrer intactes ses pensées, sans la moindre concession, et le parti de la fureur : « Coûte que coûte, je garderai la virginité de mon témoignage, en me préservant du crime de laisser inactive aucune des énergies que Dieu m’a données. Ironie, injures, défis, imprécations, réprobations, malédictions, lyrisme de fange ou de flammes, tout me sera bon de ce qui pourra rendre offensive ma colère ! »
Le lecteur gardera longtemps en mémoire cette scène énorme, « déplacée » selon nos (trop) sages conceptions mais d’une force irrésistible, dans laquelle Véronique, pour décourager Marchenoir de mêler à l’amour mystique l’amour humain et sexuel au risque de dénaturer le premier, se fait couper les cheveux puis arracher toutes les dents afin de s’enlaidir définitivement.
La Femme pauvre, écrit et repris pendant dix ans après la publication du Désespéré, bien que non exempt de digressions, répond davantage à la forme convenue du roman. L’héroïne, Clotilde Maréchal, connaît la misère matérielle et morale. C’est une sorte de mélodrame, la pauvre fille étant affligée de la pire condition entre une mère et un beau-père vicieux et méprisables, et sa jeunesse est un catalogue de douleurs. Mélodrame quasi métaphysique, combat d’un esprit lumineux dans la fange, partagé comme souvent chez Bloy entre l’espérance et l’impatience, la pauvreté étant vécue par Clotilde, absolument femme et absolument pauvre, comme une porte vers la sainteté. Quand elle rencontre le bonheur, ce n’est qu’un répit, tout devant finir tragiquement, dans une existence vécue comme une nuit traversée de quelques étoiles consolatrices qui sont de bonnes âmes. L’irruption fréquente dans le roman de la tendresse nous révèle, derrière l’imprécateur, la compassion de l’auteur devant la souffrance universelle, l’une des plus terribles étant la mort d’un enfant : « En présence de la mort d’un petit enfant, l’Art et la Poésie ressemblent vraiment à de très grandes misères. Quelques rêveurs, qui paraissaient eux-mêmes aussi grands que toute la Misère du monde, firent ce qu’ils purent. Mais les gémissements des mères et, plus encore, la houle silencieuse de la poitrine des pères ont une bien autre puissance que les mots ou les couleurs, tellement la peine de l’homme appartient au monde invisible. ».
« L’auteur n’a jamais promis d’amuser personne. Il a même quelquefois promis le contraire et a fidèlement tenu sa parole. » Bloy ne vise ni au divertissement ni à l’édification, c’est la misère qui se déroule, et l’âme de Clotilde est elle aussi broyée par la société, comme l’a été celle de Marchenoir, La Femme pauvre pouvant être lue comme un pendant du Désespéré (le premier projet de titre était d’ailleurs La désespérée).
Bien que ces livres soient superbes, on ne peut affirmer que Bloy est un véritable romancier ; il n’est pas le plus à son aise dans cette forme intermédiaire, supposant un art de la construction dont il n’a pas la patience, et qu’il sature de portraits, de digressions et considérations. Bloy n’est à mon sens jamais meilleur que lorsqu’il se resserre sur la forme courte du conte ou de la nouvelle, ou lorsqu’il se lâche complètement dans son Journal.
Les deux romans furent des échecs commerciaux. Il n’y eut presque pas d’articles de presse. L’auteur connaissait ainsi le même destin misérable que ses héros. Ce long étouffement de la parole de Bloy, de sa prose fracassante, dont quelques obstinés fidèles ont su malgré tout transmettre la flamme et la mémoire pour lui faire traverser le siècle, illustre bien le pouvoir de la médiocrité, coalisée en institution, sur le génie solitaire. Bloy est inacceptable, et c’est en cela qu’il est une voix majeure de la littérature française. La réédition de ces deux romans redonne une actualité à Bloy, une actualité qu’il n’a jamais vraiment perdue et ne perdra jamais. Il est temps de le rendre à notre soif, avant que nous ne finissions par oublier, sous l’abondance égale de la médiocrité contemporaine, l’idée même de la soif
Le désespéré, Léon Bloy, La Part Commune, 2004, 18 €.
La Femme pauvre, épisode contemporain, Léon Bloy, La Part Commune, 2004, 18 €.
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