dimanche, 25 janvier 2015
Autres courants, de Phillippe Jaffeux
Le travail de Philippe Jaffeux, dont les précédents ouvrages sont parus chez Passage d’encres et à l’Atelier de l’agneau, a été plusieurs fois évoqué sur ce blog. Son dernier livre, Autres courants, complète Courants blancs. Il se compose de 1820 phrases disposées par séries de 26 sur 70 pages, que l’on peut lire à la suite ou picorer au hasard, car l’ensemble procède de l’accumulation. Chaque courant, couvrant une ligne (le format du livre est adapté à la longueur de la ligne, et non l’inverse) énonce une sorte de contradiction, entre sens et non-sens. Enregistrés avec un dictaphone numérique, ces phrases, chacune close sur elle-même entre une majuscule de départ et un point final (sans aucun autre signe de ponctuation), donnent une impression d’étrangeté. Les thèmes du corps, de la page, de l’alphabet, de la parole, de l’ordinateur s’enchevêtrent :
« Des nombres divins honorent une somme de lettres qui rejettent l’impiété d’une écriture infinie. »
« Les lettres sont notre meilleur outil de connaissance car il suffit de les voir pour les comprendre. »
« Une forme encercla les bords du temps et l’espace de sa page déborda sur celui du cosmos. »
Cette accumulation donne l’idée d’une production de texte quasi mécanique et presque infinie ; on se demande d’ailleurs si un ordinateur ne pourrait pas produire tout seul ces courants, avec un programme adapté, mais serait-il capable sauf par accident de l’humour et de la poésie qui se glissent dans ces lignes ?
« Le tranchant du vide était d’autant plus dangereux qu’il aiguisait les deux faces d’une feuille blanche. »
« La voie lactée enlace notre planète car une danse des lettres entraîne la parole dans une spirale. »
« Les ordinateurs perdirent leur mémoire dès qu’il se souvint qu’il n’était pas une machine inédite. »
L’intérêt de lire Jaffeux, outre d’assister à la réalisation patiente et obstinée d’une entreprise littéraire extrémiste, c’est qu’on se pose plein de questions sur l’écriture. Une phrase n’est-elle pas d’abord des mots ? Un mot n’est-il pas d’abord des lettres ? Une lettre (tapée) n’est-elle pas d’abord un octet ? La plupart des écrivains écrivent pour dire quelque chose, « délivrer un message », alors que Jaffeux dit pour écrire, son message n’étant rien d’autre que le corps matériel du texte, dont le sens joue un rôle intermittent sur le théâtre de l’écriture.
« Les lettres sont plus petites que les mots car elles savent simplifier la monstruosité de l’écriture. »
« L’alphabet souffle souvent dans la direction d’un vent qui se plie sous le poids d’un sens imprévisible. » Illustrant cette assertion, une des phrases (19e page) est écrite à l’envers, de la droite vers la gauche. Le dernier courant (Ilomitdeséparersesmotspardesblancs…) supprimant les espaces de séparation entre les mots, nous fait prendre conscience que la matière verbale, comme la matière première, est composée de plein mais aussi de vide, le blanc entre les lettres entre les mots entre les lignes, et que ce vide aussi est créateur de sens.
Autres courants, de Philippe Jaffeux, Atelier de l’agneau. 16 €.
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samedi, 17 janvier 2015
Lecture chez Verso
11:24 Publié dans Lectures, Rencontres avec | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : verso, lecture, dailly, nuel, sebasti, tixier
mardi, 02 septembre 2014
Lectures & rencontres 2014
Avant la fin de l’année, je lirai des extraits de mes recueils publiés ou des textes inédits à plusieurs occasions :
- le 13 septembre à 20 h 30, à l’invitation de Hervé Bougel et de l’association Effervescence, à Civrieux d’Azergues (Rhône) ;
- le 8 octobre à 19 heures, dans le cadre des lectures parisiennes de la revue Verso, à la librairie La lucarne des écrivains, 115 rue de l’Ourcq, 75019 Paris ;
- le 13 novembre à 19 heures, en compagnie de Roland Tixier, à la galerie Jean-Louis Mandon, 3 rue Vaubecour, 69002 Lyon.
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mercredi, 25 juin 2014
L'Alphabet de Jaffeux
On a récemment chroniqué sur ce blog deux ouvrages précédents de Philippe Jaffeux, dont l’écriture relève selon maints critiques d’une poésie expérimentale, écriture que je qualifierais plutôt d’expérience radicale. N et O sont déjà parus (chez Passage d’encres et chez L’Atelier de l’Agneau). Ce copieux volume de 394 pages au format 21 x 29, 7 cm regroupe toutes les lettres du début de l’alphabet, de A à M.
L’ampleur du travail (des années de labeur) impressionne et force le respect. Comme Ponge prenait le parti pris des choses, Jaffeux prend le parti pris de la lettre comme élément de base constitutif de la langue. Chaque lettre de l’alphabet fait l’objet d’un traitement et d’un exercice différents. Pour chacune d’entre elles, une contrainte fixe le cadre. En voici quelques exemples.
La lettre B, intitulée « Suite . », présente 26 lignes sur chacune des 26 pages, soit 676 lignes ou 338 phrases disposées sur 2 lignes et encadrées par deux points finaux. Chaque page débute de plus en plus bas : aucun espace sur la première page jusqu’à 26 espaces sur la dernière.
La lettre D s’intitule « Entretien ? » car elle contient 676 questions classées dans l’ordre alphabétique. Les 26 réponses de chaque page sont disposées sur deux lignes soit 52 lignes et 51 interlignes.
La lettre F, intitulée « Lettre ! », présente 26 lignes sur chacune des 26 pages. La page A compte exactement 26 lettres A et ainsi de suite jusqu’à la page Z qui contient 26 lettres Z.
La lettre I, intitulée « Théâtre – », présente 52 lignes et 51 interlignes introduites par 26 tirets dans chacune des 26 pages, ainsi qu’un nouveau nom d’acteur, en italique, qui est toujours une anagramme du mot « alphabet ». La pagination se déroule en haut à droite et en bas à gauche afin de suggérer un jeu de cartes.
On le voit dans ces indications données par l’auteur, autant que la lettre, le nombre est essentiel : il structure et engendre à la fois le texte. Le procédé n’est pas nouveau, de grandes œuvres du passé obéissent à des compositions mathématiques. La Divine Comédie de Dante est entièrement régie par les nombres (le 3 et le 1, les tercets, les 33 chants du Purgatoire et du Paradis, les 33 + 1 chants de l’Enfer…). Mais Jaffeux, se situant en deçà des histoires, en fait une méthode et une machine productrice, il invente en continu et se renouvelant constamment.
Lancé sur l’aire de jeu du papier blanc 21 x 29, 7 cm, Jaffeux joue non seulement sur les mots mais aussi sur tous les autres éléments du langage écrit : les signes de ponctuation, la typographie, la justification, l’envers et l’endroit, le blanc de la page ou de la ligne, les distorsions visuelles, graphiques ou orthographiques. Le langage n’est plus utilitaire, au service d’une histoire ou docile au sens que lui imprime un auteur tout puissant : il raconte ses propres histoires selon des lois mécaniques.
Alphabet – de A à M, de Philippe Jaffeux, Passage d’encres, 30 € (+ 6 € de frais d’envoi).
Passage d’encres, Moulin de Quilio, 56310 Guern.
15:35 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philippe jaffeux, alphabet, passage d'encres
Soleils levants
La revue Passage d’encres a cessé sa parution régulière mais continue de produire des « hors séries ». Le dernier en date, intitulé « soleils levants », traite bien evidemment du Japon.
Andoche Praudel, céramiste, photographe, écrivain et grand connaisseur du pays, en est l’artiste invité. Il assure la coordination de cet ensemble, avec Atsuko Nagai et Martine Monteau. Cette dernière présente ainsi le Japon : « Ce pays de retenues et de décharge soudaine, de pudeurs et d’exaltation des sens, d’îlots séparés et de solidarités, où les énergies contraires défont périodiquement des cités entières, des milliers de vies ensemble, nous fascine et nous fait peur. »
L’archipel du soleil levant est vu aussi bien sous l’angle de ses traditions que sous celui de sa récente et tragique actualité : Fukushima. On y parle du nucléaire, du tremblement de terre, mais aussi des temples traditionnels, des missionnaires angevins au Japon depuis le 19e siècle, de cinéma, de théâtre et de poésie. De belles photos et illustrations complètent ce superbe numéro.
Soleils levants, Passage d’encres, 20 €.
Passage d’encres, Moulin de Quilio, 56310 Guern.
15:34 Publié dans Lectures, Revues littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : passage d'encres, japon, andoche praudel
mardi, 25 février 2014
Courants blancs
Après deux livres remarqués chez Passage d’encres et L’Atelier de l’agneau, Philippe Jaffeux revient avec « Courants blancs ». Le format carré du livre (21 x 21 cm) est d’une largeur suffisante pour que toutes les phrases, même longues, tiennent sur une seule ligne. Une phrase = une ligne. L’effet visuel, moins marqué que dans les précédents ouvrages de Jaffeux, joue cependant : 70 blocs de 26 lignes. Une impression de remplissage et d’entassement. De stock rangé après production.
L’éditeur dit dans sa présentation que ces « courants » « ressemblent à des aphorismes, des pensées imaginatives ». Ressemblent. Car hormis leur brièveté, et leur aspect volontiers sentencieux, ils sont d’une autre nature. Le « courant blanc » de Jaffeux est bien différent de l’aphorisme selon La Rochefoucauld (dont le chef d’œuvre « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement » vaut la meilleure des poésies), bien différent de la formule énigmatique, minérale et parfois un peu hautaine de René Char, bien différent des « pensées » d’Antonio Porchia. Les aphorismes sont un concentré de sens, une formule arrêtée, immobilisée sur sa forme la plus brève et dense à la fois.
Rien de tel chez Jaffeux. C’est moins le sens qui l’intéresse que le langage lui-même, cet instrument, ce véhicule utile (utilitaire) pour charrier le sens mais qui, revenant « à vide », n’est pas pour autant vide de tout sens, car il a sa propre existence et sa propre histoire. On retrouve dans la majorité des phrases des mots tels que « lettre », « alphabet », « écriture », « parole », « voix »… qui nous rappellent que le sujet du livre, c’est le langage. Ici, le sens n’est pas à l’état de concrétion, mais à l’état de circulation, comme un courant alternatif, il suit le mouvement de la langue (à la fois système et organe, car l’auteur n’a pas écrit ces phrases, mais les a enregistrées sur un dictaphone numérique).
Écrire des aphorismes est un art difficile. La Rochefoucauld n’est pas un auteur prolixe. Dans toute sa vie, Porchia n’a livré qu’un peu plus de 1100 pensées (« Voix complètes »). On imagine ces auteurs les reprenant jour après jour, les ressassant pour obtenir la meilleure formulation. Dans ce seul livre, Jaffeux livre plus de phrases (26 x 70 = 1820) que Porchia dans toute son œuvre. Car ce qui l’intéresse, c’est aussi la production de texte, on le sent en quête d’une sorte de processus semi-automatisé. Il se livre à d'incessantes variations sur ses thèmes, figures libres sur la page. Des variations qui pourraient presque être infinies, si l’homme avait davantage de force ou de temps. L’impression qui s’en dégage, outre l’étrangeté de cette avalanche de paradoxes, est celle d’une densité, d’une contradiction permanente, née de phrases qui se mordent la queue, s’annulent ou se retournent contre leur propre énoncé.
Non, Jaffeux n’écrit pas d’aphorismes, mais livre une nouvelle expérience sur la langue, cette fiction née entre l’animal et l’ordinateur, et ballottée entre les deux. Ici, le langage écrit et rêve sa propre histoire.
« Les lettres sont des notes de musique que nous ne savons pas encore lire. »
« Les lettres sont peut-être des nombres qui refusent de se mesurer à l’infini. »
« Il succomba à l’ivresse d’écrire après avoir refusé de boire de l’encre. »
« Les animaux pensent à notre place depuis que les machines domestiquent notre nature. »
« Sa page fut recouverte par ses empreintes dès qu’il identifia l’écriture à un crime. »
« Les animaux s’arrêtèrent de parler pour donner aux hommes la chance d’obéir à leurs cris. »
Philippe Jaffeux, Courants blancs, L’Atelier de l’agneau 16 €
16:10 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : courants blancs, philippe jaffeux, l'atelier de l'agneau
jeudi, 12 décembre 2013
L'Almanach du saumon poétique
Une belle initiative des dynamiques éditions du Petit Véhicule : la création de l’Almanach du saumon poétique, littéraire et fraternel. Il vient de sortir et pourra vous accompagner tout au long de l’année 2014. Coordonné par Stéphane Beau et Luc Vidal, illustré par Nicolas Désiré Frisque, ce bel objet relié à la chinoise conjugue la fantaisie, la poésie, l’humour, le sérieux et le léger. Un auteur ouvre chaque mois par un texte original, puis se succèdent de nombreux textes littéraires le plus souvent tirés des archives des éditions du Petit Véhicule et de feue la revue Le Grognard.
Dans leur introduction, Beau et Vidal rappellent qu’historiquement, l’almanach est un annuaire, un calendrier illustré. Traditionellement, c’étaient les colporteurs qui diffusaient cette publication annuelle qui nous instruisait sur les phases de la lune, les solstices et les équinoxes, les horaires des marées, les recettes de cuisine, etc. Bref, un livre pratique, vivant, quotidien et populaire. Son principe remonte à la Grèce antique (Les Travaux et les Jours, d’Hésiode) ; quelques-uns ont marqué l’histoire : l’Almanach Vermot, l’Almanach du Père Peinard, l’Almanach ouvrier et paysan de L’Humanité… (J’ajouterai pour ma part : les almanachs du Père Ubu, écrits par Alfred Jarry.) Mais l’exemple qui a motivé les deux auteurs est l’Almanach surréaliste du demi-siècle publié en 1950 par les éditions du Sagittaire. Y figuraient (excusez du peu !), sous la direction d’André Breton, Benjamin Péret, Antonin Artaud, Octavio Paz, Julien Gracq…
L’Almanach du saumon ne peut se prévaloir de si prestigieuses signatures mais nous donne à découvrir nombre de textes excellents que l’on pourra picorer au gré des jours et des saisons.
Vous trouverez en pièce jointe descriptif, sommaire et bon de commande.
Almanach du saumon poétique littéraire et fraternel 2014, éditions du Petit Véhicule, 15 €.
19:29 Publié dans Annexes et dépendances, Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : almanach du saumon poétique, le petit véhicule, beau, vidal