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jeudi, 12 avril 2007

Le club des pantouflards, de Christian Cottet-Emard

medium_clubdespantouflards.jpg

 (Cet article, plus complet que celui que j'avais consacré l'an dernier à ce livre sur mon blog, est paru dans La presse Littéraire n° 9.)

 

Christian Cottet-Emard, qui anime avec humour et lucidité l’un des meilleurs blogs littéraires du moment (http://cottetemard.hautetfort.com), et qui s’est fait connaître comme poète, nouvelliste et romancier (Le grand variable, chez Editinter) vient de publier, dans la collection Petite Nuit, chez Nykta, un savoureux mini-polar, Le club des pantouflards.

L’histoire – relevant davantage de la politique-fiction que du genre policier - se situe dans le quartier lyonnais de Vaise, entre la rue Gorge de Loup et le pont Masaryk, un quartier jadis ouvrier (l’entreprise de la Rhodia), aujourd’hui déshérité mais en pleine rénovation, où quelques bobos aménagent des lofts dans les friches industrielles. Le héros, qui n’a rien d’héroïque, répond au nom improbable d’Effron Nuvem, et mène une vie grise de chômeur solitaire, celle d’un contemplatif sans autre perspective que la lecture de livres de poches (dont Les âmes mortes, de Nikolaï Gogol) et la consommation de sardines à l’huile portugaises Roses de France et de cafés au lait avec tartines. Tous ses espoirs semblent derrière lui : « Ses grands rêves d’adolescence le visitèrent. Ils étaient quant à eux de beaux papillons de jour mais ils avaient fait le chemin à l’envers, retournant vite aux chrysalides puis aux larves qui le rongeaient de l’intérieur. »

Une vie morne, vide et fermée où l’insolite s’invite, sous la forme d’une paire de pantoufles que Nuvem décide de s’offrir, d’une manière irraisonnée. Il ne s’étonne pas de l’étrange sollicitude du marchand de chaussures, qui l’invite bientôt au repas trimestriel du « club des pantouflards », un cercle fermé où les notables tirés à quatre épingles dînent et s’empiffrent de mets fins, pantoufles aux pieds. Cailles, grives, pigeons, faisans aux quatre choux, la nourriture abondante et choisie est dispensée par l’énorme Graziella. Quantité et qualité se conjuguent à la table : « un goûter composé de petits sandwiches au foie gras, de brioches, de choux à la crème, de crêpes, de babas au rhum, de petits-fours et de fruits confits, le tout arrosé de vieux porto et de muscat de Sardaigne. » Notre héros, qui a des prédispositions certaines pour la bonne chère, allume un Lusitania et boit de grandes rasades de Cognac.

Mais que vient-il faire dans cette galère, même aux allures de paradis gastronomique ? « Que pouvait valoir l’adhésion d’un chômeur, une de ces « âmes mortes » à peine bonnes à émigrer d’un fichier à un autre au gré des fluctuations d’une comptabilité d’actifs et de passifs que se jetaient sans cesse à la figure lors de joutes télévisées les dignes héritiers de l’escroc Tchitchikov ? » C’est là que le roman devient une fable politique angoissante : ce club ressemble en effet  à une phalange secrète et présente une liste aux élections municipales, sans succès. Bientôt Effron Nuvem voit la ville basculer dans une organisation totalitaire dont il devient, grâce à ses relations pantouflardes, l’un des employés, affecté au service du broyage des documents administratifs. Un engin monté sur chenilles entièrement revêtu d’un blindage noir trône au milieu de la place du quartier, assurant la surveillance de la ville, et la délivrance d’argent et de formalités administratives par une seule et même carte de crédit, sésame contrôlé et délivré par les autorités, comme si dans ce pays venait de se réaliser la crainte du croisement des fichiers informatiques. « Dans cette masse de métal compact dépourvue de toute ouverture luisait une petite lueur rouge de la taille d’un œilleton. » Ce blindé est une belle trouvaille romanesque, big brother matérialisé dans un engin militaire, inamovible et menaçant.

Le héros ne s’en formalise pas, et ne se pose jamais de questions, content de sa tâche répétitive au sous-sol de la mairie. Autour de lui, les opposants se font d’ailleurs rares et peu combatifs, les belles âmes éprises de liberté attendant les beaux jours pour défiler dans la rue. « Maintenant que les gens retrouvaient leur climat habituel et que la douceur des températures incitait à sortir se promener, l’élite citoyenne de la population se sentait incommodée par la présence silencieuse mais insistante du blindé. » Mais après cette molle résistance, le confort prend le dessus, les commodités du système gagnent chaque jour les faveurs des plus contestataires.

Dans ce livre, de la taille d’une longue nouvelle, on retrouve l’originalité de l’inspiration et la maîtrise de l’écriture, le sens du fantastique et les talents de conteur de Cottet-Emard. Cette fantaisie si pleine d’humour et de portraits truculents (l’éléphantesque Graziella, le petit gros à moustache, le vieux maigre aux allures d’insecte) baigne dans une atmosphère kafkaïenne. A l’ouverture du roman, le nom de Nuvem disparaît d’un fichier d’ordinateur ; à la fin il est à nouveau supprimé : « crédit épuisé carte non valide ». Victime impuissante et quasi consentante d’une machination obscure, il n’est qu’un pion : « Les pantoufles d’Effron Nuvem arpentaient de vastes carrés de bitume qui passaient du noir au blanc, réduisant sa silhouette à celle d’un pion sur cet échiquier dessiné par la lune. » Le héros descend les neuf cercles de l’enfer, mais il n’est pas la seule victime dans ce monde cruel et burlesque où les rivalités pour le pouvoir autorisent tous les coups, jusqu’à l’élimination du concurrent ou du prochain.

Le rire que l’on éprouve à la lecture est vite mêlé de malaise et d’inquiétude, comme si nous étions plus proches de ce monde qu’on ne voudrait le croire, pas même à la distance d’un rêve ou d’un cauchemar. Cottet-Emard excelle à nous décrire l’individu broyé et effacé par la politique de l’absurde.

 

Le club des pantouflards, de Christian Cottet-Emard, Ed. NYKTA, collection Petite Nuit. 80 pages, 5 €.

 

Descriptif et références complètes sur le blog de l'auteur :

http://cottetemard.hautetfort.com/archive/2006/06/19/le-c...

 

19:25 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature, Culture

samedi, 24 mars 2007

Bukowski lit ses poèmes

Les fanatiques de Bukowski peuvent trouver sur le site Youtube plusieurs vidéos montrant l'auteur lisant ses propres poèmes.

Un exemple parmi bien d'autres :

 

Bukowski reads "The Secret of My Endurance"

mardi, 20 mars 2007

Revue de détail n° 7

(Ces chroniques sont parues dans La Presse littéraire n° 8.)

 

LA FAUTE A ROUSSEAU n° 42

medium_Fauterousseau42.2.jpgRevue de l’APA (Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique, désormais reconnue d’intérêt général), La Faute à Rousseau paraît trois fois par an. Diffusée aux adhérents, elle commence maintenant à être distribuée en librairies. Elle rend compte des activités de l’association, offre des notes de lectures et présente un dossier. Celui du dernier numéro, dans la continuation du précédent consacré au « Nom », explore le thème des « Familles ». « Le 13 juillet 1980, Julien Green note dans son Journal : « Quand j’ai demandé à Mauriac pourquoi il n’écrivait pas son autobiographie, il m’a répondu : Impossible. J’ai une famille. » Sans doute les familles n’apprécient-elles guère les autobiographies de leurs membres, dès lors qu’ils cherchent à dire leur vérité plutôt qu’à fixer l’histoire collective du clan. Sans doute aussi chacun doit-il construire son identité, trouver sa voie, à partir des histoires, projets ou conflits des générations antérieures. »

Beaucoup de collaborations sur ce thème, couvrant la période contemporaine. Le plus intéressant est le dossier « Classiques », avec les contributions sur Hugo, Sartre, Gide, Virginia Woolf, Mauriac. Philippe Lejeune livre un bel article sur Jean-Jacques Rousseau : «  La faute à Rousseau, c’est d’avoir abandonné ses cinq enfants. La faute à Voltaire, c’est d’avoir révélé ce fait au public dans un pamphlet anonyme. Merci à Voltaire, qui poussa Rousseau à écrire, en réponse, ses Confessions. Merci à Rousseau de s’y montrer – c’était très nouveau pour l’époque – attentif à l’histoire de la personnalité, et sensible à l’existence de l’inconscient. »  Et d’ajouter : « Lecteur des Confessions, je vais donc jouer mon rôle en remarquant un « enchaînement d’affections secrètes » qui a échappé à Rousseau, un chaînon manquant, une « disjonction » étonnante. Jamais, dans les Confessions, Rousseau n’établit de lien entre les deux faits suivants : il a abandonné ses enfants, mais il avait été lui-même abandonné par son père, comme le Petit Poucet. »

Sans tomber dans le piège de la spécialisation universitaire ou de l’hermétisme, La Faute à Rousseau offre un contenu accessible, riche et varié - seul un effort de mise en page reste à faire, pour éviter l’impression d’empilement des articles. Rappelons que l’APA, fondée en 1991 par Chantal Chaveyriat-Dumoulin et Philippe Lejeune, réunit actuellement plus de 800 membres adhérents. Son premier objectif est d’assurer la conservation des textes autobiographiques inédits rédigés par des personnes de tous milieux sociaux. La plupart de ces textes, malgré leur intérêt, ne pourraient pas trouver d’éditeur en raison du manque de notoriété des auteurs ; dispersés dans les archives familiales, ils sont menacés de disparition à plus ou moins long terme. Le lieu de cette conservation est la médiathèque municipale de la Grenette, dont une partie est mise à la disposition de l’APA par la municipalité d’Ambérieu-en-Bugey, près de Lyon. L’APA publie des comptes rendus des textes autobiographiques reçus (les échos) dans son « Garde-mémoire ». Elle offre en lecture son fonds, riche de plus de 2000 dépôts inédits, dont l’intérêt, au-delà d’un genre littéraire, est également historique et sociologique.

 

La Faute à Rousseau, APA, La Grenette, 10 rue Amédée-Bonnet, 01500 Ambérieu-en-Bugey. 84 pages, 9 €. http://sitapa.free.fr

 

 

LES MOMENTS LITTERAIRES n° 15 et n° 16

Projet original que celui de cette belle revue semestrielle animée par Gilbert Moreau, d’une présentation sobre et classique, « à l’ancienne », qui privilégie l’écriture intime et publie journaux intimes, carnets, correspondances et récits autobiographiques… prolongeant chaque fois une riche réflexion sur la source et les rites de l’écriture. Des dossiers ont été consacrés à Annie Ernaux, Gabriel Matzneff, Hubert Nyssen, Charles Juliet, Henri Bauchau…

Le numéro 15 donne à lire un dossier Rezvani, avec une introduction de Bertrand Py, son nouvel éditeur, des extraits des Carnets de Lula, sa femme défunte, et une interview de l’auteur pleine de fulgurances : « Je ne prémédite pas mon travail. Je me sers de la peinture, de l’écriture ou même de la musique comme moyen d’extraction de ce qui se passe dans mon esprit. Ce qui m’intéresse, c’est ce que je ne sais pas. Du moment où l’on se met à écrire, il sort de vous des choses tout à fait inattendues. Dans une lettre à sa sœur, Kleist écrivait « les mots tirent la pensée. » C’est ça qui est passionnant. » Rezvani établit des rapprochements et des comparaisons entre les divers arts qu’il a pratiqués pour définir l’écriture : « Quand je me suis mis à écrire, je me suis cru délivré de la matérialité, je pensais pouvoir écrire dans un bistro, en voyage… En réalité, pas du tout, je me suis aperçu que l’écriture était beaucoup plus prenante, ritualisée, qu’elle vous enferme, vous rend maniaque. » et son approche de l’ordinateur et du traitement de texte est originale : « Depuis quelques années, je me suis mis à l’ordinateur. C’est un moyen extraordinaire. Etrangement je trouve que le travail d’écriture devient comme de la sculpture avec de la glaise. A l’ordinateur, les phrases deviennent une matière, il y a un côté plastique assez extraordinaire. » Signalons dans cette même livraison de savoureux portraits par Robin Wallace-Crabbe, peintre et écrivain australien.

Le numéro 16 est consacré à une longue expérience d’écriture à quatre mains (expression qui m’a longtemps hérissé du temps de l’écriture à la plume mais qui retrouve un peu de vérité avec l’écriture au clavier, le rapprochement avec le piano devenant légitime) menée par Daniel Zimmermann et Claude Pujade-Renaud. Une aventure bien exceptionnelle car l’écriture est par essence un exercice solitaire. Hugo Marsan présente l’histoire d’amour et de littérature de ce duo littéraire, « la danseuse et le funambule, la bourgeoise et le prolétaire ». Là aussi, une interview pleine d’enseignements sur les pratiques d’écriture en commun, conduite. par Gilbert Moreau, et illustrée par des extraits d’un « cahier des rêves ». Claude Pujade-Renaud revient sur la genèse de cette collaboration : « Nous avons continué à nous montrer les ébauches de ce que nous écrivions chacun de nôtre côté. L’essentiel était l’existence d’un destinataire immédiat, une écriture avec l’autre, pour l’autre et d’une certaine façon contre l’autre parce que, inévitablement, s’instaurait un rapport de rivalité, de défi. » Pour elle le travail d’écriture est « toujours très long, très laborieux » et est incomparable avec la musique : « dans l’écriture, le signifiant est là, bête, épais, incontournable. »

 

Les Moments littéraires, B.P. 175, 92186 Antony Cedex. 128 pages, 12 €

 http://perso.wanadoo.fr/les.moments.litteraires/

 

 

lundi, 19 mars 2007

Ma page sur Myspace

Je ne sais pas encore ce que ça va et peut donner, mais je viens d'ouvrir une page sur Myspace. Son premier intérêt est de rassembler des éléments de présentation sur une seule page. Et ce n'est pas mal famé, puisque Joseph Vebret m'y a rejoint...

http://www.myspace.com/jeanjacquesnuel

 

lundi, 12 mars 2007

Rencontre avec Passage d'encres

medium_couverture_Archipel_des_possibles_Berlin_70.2.jpgRevue d’art et de littérature de création, indissolublement, Passage d’encres affirme sa présence depuis plus de dix ans, parallèlement à une activité éditoriale – quatre collections : Trace(s), Trait court 1, 2 (en coédition avec la revue OX, dirigée par Philippe Clerc) et 3 (en ligne). Rencontre avec une revue originale et pas forcément élitiste.

 

(Cet entretien, précédemment paru dans Ecrire & Editer n° 36, a été réactualisé par Christiane Tricoit.)

 

Jean-Jacques Nuel : Quel était le projet de création de Passage d’encres, et pourquoi ce titre ?

Christiane Tricoit : Le projet était, au départ, de s’inscrire dans une tradition de travail étroit entre écrivains et artistes (édition de textes ou d’œuvres pour la plupart inédits), avec une optique résolument contemporaine et cela sans esprit de chapelle. Ce projet a pris corps en 1996.

Le titre Passage d’encres, au sens propre, est emprunté au vocabulaire des arts graphiques : s’agissant de couleurs (noir compris), on parle de « passages », et le logo original – passage d’encres – reflétait d’ailleurs cette dynamique du rouleau encreur. Mais ce titre renvoie surtout à une notion plus large, celle de go-between, de passeur ou de relais.

Pour chaque numéro, le thème est communiqué à un artiste invité (parfois plus) qui réalise une estampe ou une œuvre originale selon la technique de son choix ; celle-ci est encartée dans le tirage de tête Collector, vendu par abonnement (à un prix abordable). Sabine Jahn (sérigraphie) et Michael Würzberger (linogravure) ont ainsi collaboré au n° 27, « Archipel des possibles – Berlin » (février 2007).

Chaque livraison donne lieu à un événement pluridisciplinaire : exposition, concert, lecture (France ou étranger).

La revue Passage d’encres est éditée par une association loi 1901 éponyme qui accueille des écrivains, des artistes ou d’autres éditeurs pour des rencontres dans ses locaux, une grange réhabilitée de Romainville (Seine-Saint-Denis).

 

JJN : Le sous-titre est " art / littérature ". Comment s’organise la revue autour de ces deux pôles ?

ChT : Ces deux pôles sont à égalité. Il s’agit de les mettre en correspondance, en dialogue plutôt qu’en illustration, de manière que la revue soit un lieu de création où l’alchimie puisse se faire.

 

JJN : Quelles qualités recherchez-vous dans un texte ? Doit-il se raccrocher à un thème et acceptez-vous des textes théoriques ?

ChT : Le traitement de texte, par sa facilité, suscite les vocations littéraires... Il n’est que de voir le nombre de textes qui arrivent par la poste ou par courriel. Dans les Salons, on repère l’auteur potentiel à plusieurs mètres – lire, à ce sujet, Lettre d’un éditeur de poésie à un poète en quête d’éditeur (Ginkgo éd., 2006)... Certains ne s’intéressent même pas aux revues dans lesquelles ils veulent être publiés.

Et, là comme ailleurs, il existe des plagiaires, des faiseurs. Nous recherchons une écriture, une voix originale, qui se tienne. Le thème, traité librement, est un fil rouge (double) qui permet de garder une cohérence au numéro, même si les variations sont multiples, comme en musique, avec ses temps de respiration (blancs).

Passage d’encres publie aussi des critiques ou des essais. Le dernier en date, « Du sein de la fiction », de Pierre Drogi (n° 27), a même inauguré le feuilleton littéraire dans la revue.

 

JJN : Comment diffusez-vous la revue ?

ChT : La revue est diffusée par CDE/Sodis et par les Editions La Dispute.

Les sites Internet – www.passagedencres.org et www.elvir.org (université de Poitiers) ou www.arsc.be (Association des revues scientifiques et culturelles) sont précieux pour des structures comme la nôtre.

 

JJN : Pourquoi ne publiez-vous pas de chroniques sur les livres et les revues ?

ChT : Il existe déjà beaucoup de chroniques... avec, parfois, des renvois d’ascenseur quand ce n’est pas du copinage : Je parle de ton livre, tu parles du mien, etc. Le milieu littéraire, comme d’autres, fonctionne généralement en bandes. Par ailleurs, il est évident que certains chroniqueurs ne lisent pas toutes les revues qu'ils citent. Je tiens un journal (pas un blog) en ligne, King-Gong/Infos, régulièrement réactualisé.
La publication en ligne est plus souple et moins coûteuse. Depuis un an, les numéros sont doubles (papier/virtuel) avec des contenus différents. Enfin, Passage d’encres, comme c’est souvent le cas, fonctionne avec une équipe de bénévoles qui disposent de peu de temps.

 

JJN : Le coût de réalisation d’une revue luxueuse et originale doit être élevé. Parvenez-vous à l’équilibre financier ? L’aide des organismes publics vous paraît-elle suffisante ?

ChT : Passage d’encres n’est pas une revue luxueuse (pas de papier glacé, peu de quadri, sauf exception). Même si elle coûte toujours cher à fabriquer , elle reste dans la moyenne. Disons qu’une personne, relayée par quelques collaborateurs et amis fidèles (le noyau dur) – cumule plusieurs fonctions  (au moins cinq).

Faire une revue sans grands moyens et sans être adossé à un éditeur requiert pas mal d’énergie. Jusqu’à ces dernières années, les revues et éditeurs en région étaient bien mieux lotis, financièrement parlant, que leurs confrères d’Ile-de-France, même si la subvention du CNL, quand elle est octroyée, est précieuse. Les pouvoirs publics sont conscients de la nécessité d’une véritable diversité culturelle, et particulièrement du rôle de l’édition et la librairie indépendantes, dont le travail de défrichage (œuvres ou lecteurs) est primordial. Ainsi, la région Ile-de-France a-t-elle annoncé des aides pour ce secteur et œuvre-t-elle en ce sens en regroupant plus d’une centaine d’éditeurs sur son stand au Salon du livre, avec un catalogue commun, et en créant, entre autres, un centre de ressources.

 

JJN : Répondez-vous aux envois de textes ? Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs désireux de publier ?

ChT : 1. Autant que faire se peut. 2. Lire et encore lire ; envoyer un manuscrit sans fautes de français.

 

 

***

 

medium_couverture_NULLES_PARTS_68.2.jpgFiche signalétique

Revue : Passage d’encres

Adresse : 16, rue de Paris, F-93230 Romainville

Tél. : (33-1) 48 43 22 23

Fax : (33-1) 48 43 22 23

Courriel : passagedencres@wanadoo.fr

Directrice de publication et directrice artistique : Christiane Tricoit

Rédactrice en chef : Christiane Tricoit*
*Ponctuellement, carte blanche à un membre du comité de rédaction autre que Ch. T.

Membres du comité de rédaction : Yves Boudier, Jean-Claude Montel, Frater Rodriguez, Christiane Tricoit

Année de création : 1996

Périodicité : quadrimestrielle

Nombre de pages : une centaine en moyenne

Impression : offset

Format : 24 x 27,5 cm

Brochage : dos carré collé

Couverture (noir, quadri…) : variable

Illustrations : oui

Photos : oui

N° ISSN : 1271-0040

N° CPPAP :

Prix au numéro : 20 €

Prix de l’abonnement : 55 € (3 numéros)

ou 100 € (Collector : 3 numéros + 3 estampes numérotées et signées)

Tirage : de 500 à 700 ex.

Nombre d’abonnés : une centaine

Diffuseur : CDE/Sodis par La Dispute

 

samedi, 10 mars 2007

Joséphin Soulary, un poète lyonnais (4)

Petite anthologie



SONNET DE DECEMBRE


L’hiver est là. L’oiseau meurt de faim; l’homme gèle.

Passe pour l’homme encor ; mais l’oiseau, c’est pitié !

Dans un bouquin rongé des rats plus qu’à moitié

j’ai lu qu’il paie aussi la faute originelle.

 

La bise a mangé l’air, durci le sol, lié

Les ruisseaux. - Temps propice aux heureux ! La flanelle

Les couvre ; au coin du feu le festin les appelle.

Mais les autres ?.. Sans doute ils auront mal prié !

 

Le soleil disparaît sous la brume glacée ;

C’est l’acteur des beaux jours qui, la toile baissée,

Prépare sa rentrée au prochain renouveau ;


Et, tandis qu’on grelotte, il vient, par intervalle,

Regarder plaisamment, l’oeil au trou du rideau,

La grimace que fait son public dans la salle.

 

in La chasse aux mouches d’or



 

*

 

 

 

LES IRONIES DE LA MORT

 

Enfant mal accueilli, comme un fardeau qui gène,

« O madame la Mort, disais-je, à mon secours ! »

Mais elle : - « Cher baby, j’aime à trancher des jours

Pleins d’azur ; j’attendrai que le ciel t’en amène. »

 

A vingt ans, rebuté par la beauté hautaine,

« Cette fois, c’en est fait, criai-je à l’autre, accours ! »

Mais elle : - « J’ai souci des coeurs pris à leur chaîne ;

J’attendrai que tu sois aimé de tes amours. »

 

Plus tard, nouveaux appels (je débutais poète) ;

Mais elle : - « Je fais cas d’un laurier sur la tête ;

J’attendrai qu’on t’imprime et que tes vers soient lus. »


Aujourd’hui, las de tout, je l’implore ; mais elle :

- « Non pas ! ton âme aspire à l’heure solennelle ;

J’attendrai pour venir que tu n’y songes plus. »


in Les diables bleus


 


*

 

 


DANS LA BRESSE AU SOL GRIS

 

Dans la Bresse au sol gris coupé d'étangs limpides,

Saint Hubert a souvent ri de me voir chasser ;

Car le râle me nargue en ses crochets rapides,

Et le lièvre, bien coi, me regarde passer.

 

Un jour, las et fourbu, les flancs du carnier vides,

Je m'étendis à l'ombre et cessai de penser.

Deux bouleaux balançaient sur moi leurs voix timides,

Et je crus les entendre en ces mots converser :

 

«Comprends-tu, disait l'un, qu'on soit assez poète

Pour venir de si loin dormir, et qu'on s'entête

A poursuivre un gibier qu'on veut ne pas tenir ?»

 

Et l'autre : « Mon avis est que cet imbécile,

Ennuyé de sa femme, aura quitté la ville

Pour s'ennuyer tout seul, et n'en pas convenir.»

 

in La chasse aux mouches d'or


 

 

*

 


 

UNE GRANDE DOULEUR

 

Comme il vient de porter sa pauvre femme en terre,

Et qu’on est d’humeur noire un jour d’enterrement,

Il entre au cabaret ; car la tristesse altère,

Et les morts sont bien morts ! - c’est là son sentiment.


l se prouve en buvant que la vie est sévère ;

Et, vu que tout bonheur ne dure qu’un moment,

Il regarde finir mélancoliquement

Le tabac dans sa pipe et le vin dans son verre.

 

Deux voisins ses amis sont là-bas chuchotant

Qu’il ne survivra pas à la défunte, en tant

Qu’elle était au travail aussi brave que quatre.


Et lui songe, les yeux d’une larme rougis,

Qu’il va rentrer ce soir, ivre-mort, au logis,

Bien chagrin - de n’y plus trouver personne à battre.

 

in Les diables bleus



 

*

 



SUB SOLE QUID NOVI ?

 

Sous mes yeux vainement tout se métamorphose,

L’enfance en la vieillesse, et le jour en la nuit ;

Dans ce travail muet qui crée et qui détruit,

C’est toujours même loi, même effet, même cause.

 

Aujourd’hui vaut hier. Comme un collier morose

L’Ennui soude le jour qui passe au jour qui suit ;

Et l’immobile Dieu gouverne ce circuit,

Où l’acteur machinal quitte et prend même pose.


Sur le rayon de l’heure et dans le bruit des jours,

La vie a beau tourner, rien ne change son cours ;

Le pendule uniforme au front du Temps oscille.


N’est-il donc nulle part un monde où l’inconnu

Déconcerte l’attente, où, sur le cadran nu,

La Fantaisie en fleur fasse la folle aiguille ?

 

in Papillons noirs



 

 *



 


FEBRIS ACCESSIO

 

Je me sentais descendre, emporté dans le vide,

Les spirales sans fin d’un abîme sans fond ;

J’entendais clapoter, dans l’inconnu profond,

Comme les caillots lourds d’une flaque sordide ;

 

Rien ne faisait lueur dans cette nuit livide ;

Rien ne ralentissait mon élan furibond ;

Mon corps frappait, aux flancs de l’entonnoir avide,

De seconde en seconde une plainte par bond !


Désespoir insensé ! mes deux mains frémissantes

Vainement s’incrustaient dans les parois glissantes ;

Le sol railleur fuyait sous mon ongle tendu !


Et j’écoutais pleurer, à distance infinie,

Une voix qui disait : « Le pauvre homme est perdu !

Le voyez-vous froisser son drap dans l’agonie ? »


in Papillons noirs


 

 

*



 

LE FAISEUR DE CERCUEILS


Le charpentier des morts sommeille. Il est minuit.

Tout à coup l’établi poudreux craque, et les planches

S’agitent çà et là comme autant d’ombres blanches.

« Oh ! dit-il fou de peur, qui fait ce méchant bruit ? »


Là-bas, dans ce coin sombre où leur acier reluit,

Grincent la lime rude et la scie aux dents franches ;

les ciseaux dans le bois ont fait crier leurs tranches ;

Le rabot a sifflé ; mais qui donc les conduit ?

 

Le sapin s’équarrit, se charpente et se change

Sous d’invisibles mains en quelque chose étrange ;

C’est long, lourd, et béant. - Un fantôme apparaît :


« Ohé ! maître, debout ! Tes morts t’ont fait ta bière ! »

Le coq chante. Il s’éveille. - Il est au cabaret.

« Debout ! criait sa femme ; ohé ! vieux sac à bière ! »


in Papillons noirs




*



 

JUSTICE BOITEUSE


Par ces temps de rancune, un jour ne passe guère

Que le couteau ne fasse à l'écart quelque mort.

Quand on aime le sang, par l'enfer ! on a tort

De naître dans la peau d'un meurtrier vulgaire.


Celui qui tue un peuple au grand jour, et s'endort

Calme, aux râles humains que son genou fait taire,

Celui-là porte haut la gloire du sicaire :

C'est bien plus qu'un héros, c'est le bras droit du Sort.


Il me manque le sens de l'abstrait, je l'avoue !

Entre le gueux qu'on blâme et le brigand qu'on loue

La nuance m'échappe. - Ah ! si j'avais pouvoir !


J'aurais tôt condamné, confondant mes colères,

A la peine d'amour le bandit du trottoir,

Et l'assassin royal à celle des galères !


in Les rimes ironiques

 

 


*




REVES AMBITIEUX

 

Si j’avais un arpent de sol, mont, val ou plaine,

Avec un filet d’eau, torrent , source ou ruisseau,

J’y planterais un arbre, olivier, saule ou frêne,

J’y bâtirais un toit, chaume, tuile ou roseau.


Sur mon arbre, un doux nid, gramen, duvet ou laine,

Retiendrait un chanteur, pinson, merle ou moineau;

Sous mon toit, un doux lit, hamac, natte ou berceau,

Retiendrait une enfant, blonde, brune ou châtaine.


Je ne veux qu’un arpent ; pour le mesurer mieux,

Je dirais à l’enfant la plus belle à mes yeux :

« Tiens-toi debout devant le soleil qui se lève;


Aussi loin que ton ombre ira sur le gazon,

Aussi loin je m’en vais tracer mon horizon. »

- Tout bonheur que la main n’atteint pas n’est qu’un rêve !


in Pastels et mignardises

 

 

Voir également :

Joséphin Soulary (1)

Joséphin Soulary (2)

Joséphin Soulary (3)

 

mardi, 06 mars 2007

Joséphin Soulary, un poète lyonnais (3)

Après l'introduction de l'ouvrage, je republie un extrait de la dernière partie "Une oeuvre à redécouvrir".

 

Si l’oeuvre de Soulary est aujourd’hui oubliée, elle connut dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle un grand succès et une renommée qui ne fut pas que locale. Baudelaire, dont on a toujours salué, parallèlement à son génie poétique, l’intelligence critique, écrivait dans une lettre à Armand Fraisse du 18 février 1860 : « Que M. Soulary soit un grand poète, cela est évident aujourd’hui pour tout le monde, et cela a été évident pour moi dès les premiers vers que j’ai pu lire de lui. »

En introduction à ses Oeuvres poétiques, publiées chez Lemerre, Soulary a reproduit la lettre que lui avait adressée Sainte-Beuve le 8 janvier 1860.

« Monsieur,

«  J’ai un remerciement, déjà bien ancien, mais bien sincère, à vous adresser pour le présent qui m’a été fait en votre nom par M. Delaroa du charmant volume de vos admirables sonnets. Je ne serai content que lorsque j’aurai dit tout haut ce que j’en pense.

« J’ai quelque droit sur le sonnet, étant des premiers qui aient tenté de le remettre en honneur vers 1828 ; aussi je ne sais si je mets de l’amour-propre à goûter cette forme étroite et curieuse de la pensée poétique, mais je sais bien (et je crois l’avoir écrit) que j’irais à Rome à pied pour avoir fait quelques sonnets de Pétrarque, et maintenant j’ajoute : - quelques sonnets de Soulary. »

L’un des plus célèbres critiques du temps égalait ainsi Soulary aux plus grands.


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Certes, toute l’oeuvre du poète n’est pas d’un égal intérêt. La cinquantaine de pages qui composent la partie anthologique de cet ouvrage est extraite de nombreux recueils différents, non seulement parce que nous avons voulu extraire le meilleur de chacun d’eux, mais aussi parce qu’aucun recueil ne peut se lire entièrement avec plaisir par un lecteur contemporain. De très nombreuses pièces apparaissent mièvres et emberlificotées. Il est à ce sujet curieux de constater - mais cela se vérifie chez bien d’autres écrivains, dont de très célèbres - que les poèmes les plus appréciés de son temps sont précisément ceux qui nous touchent le moins aujourd’hui, comme si notre sensibilité s’était transformée, déplacée.

 

On a vu, dans les précédentes pages, à quel point Soulary avait été éprouvé par l’éreintement implacable auquel se livra Jules Lemaître, l’un des critiques de l’époque qui faisait autorité - éreintement dont notre poète ne se remit jamais.

« Toute chose, en passant par les mains de M. Soulary, se rapetisse, s’amignote, s’amenuise, s’amignardise. »

Après de multiples exemples, parfois mal choisis, destinés à montrer les défauts du poète, Lemaitre achève par des propos plus constructifs et pertinents.

« Soulary est un italien. Ses aïeux littéraires sont les poètes de la Pléiade, les précieux du dix-septième siècle et les concettistes italiens, Guarini ou Le Tasse de l’Aminta. Son sonnet des Rêves ambitieux rappelle par la facture tel sonnet de Joachim du Bellay ; ses Métaux font songer aux Pierres précieuses de Rémy Belleau. Il a, comme Ronsard, un fonds gaulois qui perce çà et là sous la mignardise transalpine. Et par delà ces poètes raffinés il se rattache aux troubadours. Il est dans notre siècle le représentant inattendu du gai savoir et de la poésie menue des cours d’amour. Bref, et pour ne retenir que ses traits essentiels, M. Soulary est un concettiste et un provincial. »

« Il se pourrait bien que M. Soulary fût le roi des poetae minores. Et n’allez pas croire que ce soit peu de chose ! »

Cette fin ne sauve rien, au contraire, et l’on comprend que Soulary en ait été si abattu.


Une large part de l’inspiration de l’auteur ne correspond plus du tout à ce qu’un lecteur de poésie moderne aime à lire aujourd’hui. Soulary se situait même largement à part du mouvement poétique de son temps, n’ayant que très peu subi l’influence de ses contemporains, et se rattachait à une veine italienne, qui venait de la Renaissance ; il avait une vision panthéiste de la Nature et s’inspirait plus d’Horace et d’Anacréon que de Lamartine ! L’oeuvre des poètes de la Pléiade nous est étrangère pour les mêmes raisons.


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La caractéristique première de Soulary, c’est la perfection de la forme, parfois la virtuosité. Tous les articles du temps consacrés au poète le définissent comme un "ciseleur", un "orfèvre", et on le compare à d’autres grands sculpteurs de vers qui lui sont contemporains : Théophile Gautier, Leconte de Lisle. On ne saurait réduire Soulary à un pur tenant de l’art pour l’art (car son art, nous le verrons, n’était pas vide de sens) mais il a mérité sa réputation de "plus grand sonnettiste du siècle" et non pas, comme le disait méchamment Lemaitre, parce qu’il en a écrit plus que les autres, mais bien parce qu’il a écrit le plus grand nombre de chefs-d’oeuvre du genre.

Dans un poème intitulé Le sonnet, Soulary expose son art poétique et ses « doux combats » avec la Muse, d’abord rétive :

Je n’entrerai pas là, - dit la folle en riant -

Je vais faire éclater cette robe trop juste !

mais la patience du poète, son travail sans cesse recommencé viennent à bout de cette résistance.

Là, serrant un atour, ici le déliant,

J’ai fait passer enfin tête, épaules et buste.

Cependant le résultat, s’il est obtenu à force de travail, n’a rien de laborieux ni de pesant : Soulary construit une poésie simple, gracieuse et attentive au détail concret. L’oeuvre est toujours solidement et parfaitement construite. L’opposition (nous en avons vu un bon exemple avec Les deux cortèges) est le procédé favori du poète, et on le voit tour à tour conjuguer vie et mort, jeunesse et vieillesse... Son sens de la construction confine parfois à la virtuosité ; ainsi dans Le faiseur de cercueils, il effectue un ingénieux montage entre le rêve et la réalité : le menuisier est endormi ; tout-à-coup, ses outils, animés par d’invisibles mains, découpent les planches et assemblent un cercueil.

Un fantôme apparaît :

Ohé ! maître, debout ! Tes morts t’ont fait ta bière !

Le coq chante. Il s’éveille. - Il est au cabaret.

« Debout ! criait sa femme ; ohé ! vieux sac à bière ! »


Baudelaire, dans sa lettre précitée à Armand Fraisse, fait un éloge de Soulary et dresse à son propos une magnifique étude de l’art du sonnet :

« Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense. Tout va bien au sonnet : la bouffonnerie, la galanterie, la passion, la rêverie, la méditation philosophique. Il y a là la beauté du métal et du minéral bien travaillés. Avez-vous observé qu’un morceau du ciel, aperçu par un soupirail, ou entre deux cheminées, deux rochers, ou par une arcade, etc., donnait une idée plus profonde de l’infini que le grand panorama vu du haut d’une montagne ? Quant aux longs poèmes, nous savons ce qu’il en faut penser ; c’est la ressource de ceux qui sont incapables d’en faire de courts.

« Tout ce qui dépasse la longueur de l’attention que l’être humain peut prêter à la forme poétique n’est pas un poème. »


Ces considérations de forme une fois énoncées, on doit continuer de lire aujourd’hui Soulary pour d’autres excellentes raisons - raisons qui ne sont plus les mêmes qu’au dix-neuvième siècle.

Si une large partie de son inspiration nous est aujourd’hui étrangère, il reste heureusement des domaines où les poèmes sont portés par un sentiment qui n’est pas mièvre ni désuet. Il échappe alors à ses défauts, entraîné par une violence d’émotion qui nous touche encore.

Lorsque Soulary s’emporte contre les injustices, contre la bêtise humaine, il le fait avec une rare violence verbale.

Il dénonce les catholiques trop zélés :

« Je hais ces preux portés à faire entrer leur foi

Dans le ventre des gens, comme une arme aiguisée,

Et j’entends qu’on me laisse agir à ma visée,

Dieu seul nous jugeant tous , chacun plaidant pour soi. »

(Je hais ces preux, in Les diables bleus)

les horreurs de la violence et de la guerre :

« Soit qu’il lave un affront, soit qu’il venge un Etat,

Qu’il dresse un guet-apens ou gagne une bataille,

Sous la balle qui troue ou le couteau qui taille,

L’assassinat toujours est un assassinat ! »

(Ira, in L’hydre aux sept têtes)

ou le patriotisme :

« Il n’est qu’un sol, le globe ; il n’est qu’un Dieu, l’Amour,

Confins des nations, croulez ! fuis sans retour,

Dernier culte imposteur, culte de la patrie. »

(Pro Aris et focis, in Ephémères)


Le Soulary le plus émouvant est celui qui dépeint la misère des pauvres gens, leur désespoir, leur dénuement, leur envie de révolte. Sonnet de décembre nous apparaît ainsi comme l’un de ses plus beaux textes, et peut-être son plus pur chef-d’oeuvre. Ajoutons Au dehors, c’est l’hiver, dans lequel mère, enfants, affamés même en rêve / Songent de pains volés et de vins défendus. Et cette magnifique introduction à Nunc Vivendum :

J’ai souvent admiré que la pauvreté fière,

Quand le travail lui manque, et que la faim la mord,

Ne sache pas gaîment se ruer à la mort

Dans un beau suicide en bloc, par rue entière.

Cette attention aux pauvres gens ne se limite pas à la ville de Lyon et aux canuts, la campagne aussi connait ses pauvres. Dans Le vieux pauvre (in Paysages), Soulary dresse un tableau poignant et nous donne en même temps, chez un poète dont on a souvent dénoncé le maniérisme et l’affectation, un exemple d’une belle sobriété verbale :

Pour ne regretter rien je n’ai rien désiré ;

Où la mort me prendra, là je m’endormirai,

Sans vouloir qu’après moi ce bon soleil s’éteigne.

Cette attention chaleureuse pour les pauvres gens s’accompagne d’une dénonciation des puissants. Sans admirations évoque les "assis au large"et les "haut perchés" pour les traiter de "fantoches" et de "fanges"; on ne peut s’empêcher de penser que Soulary, dans son poste de secrétaire particulier du préfet, devait les voir de bien près ! Ephémérides, Justice boiteuse, Gula (tous reproduits dans l’anthologie) contiennent la même dénonciation des grands personnages, depuis le bourgeois "auguste pourceau" jusqu’aux rois, "qui ne daignent signer l’histoire / qu’avec du sang au bout des doigts".

Il y a chez Soulary des accents très libertaires. Son ami Vingtrinier dit qu’il se proclamait libre-penseur et qu’il ne voyait dans le monde que des loups, des ingrats et des méchants.

Dans un tel rôle, et à la même époque, les lyonnais ont un autre poète, Pierre Dupont. On connaît encore quelques-unes de ses chansons, et Charles Baudelaire lui a consacré des articles élogieux, dont deux études reproduites dans L’Art romantique. Dupont reste une figure très vivante à Lyon ; malgré la qualité souvent médiocre de son oeuvre, il n’est pas oublié comme Soulary. Probablement bénéficie-t-il, à travers le temps, d’une image toujours vivace de poète prolétarien.

Bien loin des ingéniosités et des préciosités qui le rapprochent des poètes de la Pléiade, nous rencontrons aussi chez Soulary des poèmes de l’ennui de vivre et d’élans vers l’infini, dont l’inspiration nous fait penser à Baudelaire, le poète du Voyage, qui voyait notre existence comme "une oasis d’horreur dans un désert d’ennui".

Relisons Charles Baudelaire :

O Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre !

Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !

(...)

Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?

Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

Rapprochons ce texte de Sub sole quid novi ? où nous retrouvons les mêmes thèmes, les mêmes accents :

Aujourd’hui vaut hier. Comme un collier morose

L’Ennui soude le jour qui passe au jour qui suit ;

A la description de l’ennui (le spleen baudelairien), succède le même appel vers l’inconnu :

N’est-il donc nulle part un monde où l’inconnu

Déconcerte l’attente, où, sur le cadran nu,

La Fantaisie en fleur fasse la folle aiguille ?


Mais ce qui apparaît au lecteur moderne comme la plus grande richesse de Soulary, son originalité et sa meilleure veine, reste l’humour. Cette dimension, certes remarquée à son époque, n’avait pas été suffisamment perçue, et on aimait Soulary pour d’autres raisons. Le sonnet le plus célèbre, Les deux cortèges, n’est-il pas de l’anti-humour par excellence ? Du bon sentiment, un peu risible, comme toute naïveté. Si l’on en rit, c’est aux dépens de l’oeuvre, et de l’auteur.

Mais, comme disait Lemaitre, « heureusement pour lui, il a fait beaucoup mieux » ; le meilleur est dans d’autres pièces, dans l’humour précisément. Soulary le revendiquait d’ailleurs : n’a-t-il pas titré l’un de ses ouvrages Sonnets humouristiques ? Et un autre Les rimes ironiques ? Les pièces humoristiques, très nombreuses dans ses recueils, sont autant de chefs-d’oeuvre que l’on admire sans réserve. Ces tableaux parfaits, finement observés, solidement construits, sont servis par la forme sans faute. La construction est souvent la même, une large exposition, descriptive ou narrative - et le dernier vers, en rupture absolue, décoché comme un trait, vient éclairer ou contrecarrer tout le reste du poème.

Certes le fond de cet humour n’est pas gai : présence de la mort, inconstance féminine, amertume... « L’humour chez lui est un composé de fantaisie italienne et de brume lyonnaise qui découle le plus souvent d’une veine d’amertume. » (Marieton) Le meilleur de Soulary est ainsi imprégné de tristesse et de l’idée de la mort :

Pour chaque enfant qui naît ici-bas, Dieu fait naître

Un petit fossoyeur expert en son métier,

Qui creuse incessamment sous les pieds de son maître

La place où l’homme un jour s’abîme tout entier.

(Le fossoyeur, in Pastels et mignardises)

ou encore dans ce credo philosophique :

Le germe est la marche vers l’être,

Et l’être est l’essor vers souffrir ;

Souffrir, c’est commencer de naître,

Et naître, c’est déjà mourir.

(Le gland, in Poésies diverses)


Ces mots sont ceux d’un blessé de la vie. « La dure condition de sa vie, écrit Marieton, a toujours pesé sur son oeuvre ; elle y a marqué d’autant plus profondément qu’il y avançait davantage. » Il ajoute que la lecture du poète, pour riche et intéressante qu’elle soit, n’est pas un exercice de sérénité : « après une fréquentation assidue du poète, on découvre en lui un humoriste, et sous cet humoriste un attristé. »

Les constantes de Soulary, ce " fond de tristesse", produit de son enfance malheureuse et de sa vie grise, le désenchantement, se retrouvent dans ses poèmes, font un excellent et subtil ménage avec l’humour, pour composer une peinture un peu amère de la vie. De la tristesse est né l’humour, sombre et violent parfois, mélancolique en général. Et cette note finale, drôle et désabusée, éclaire le poème, le sauve de l’académisme de sa forme et nous rapproche de son auteur.

 

Voir également :

Joséphin Soulary (1)

Joséphin Soulary (2)

Joséphin Soulary (4)