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samedi, 17 mai 2008

Quelques revues littéraires...

(Voici trois chroniques que j'avais composées il y a plus d'un an pour le numéro 22 du magazine Salmigondis, mais celui-ci n'est jamais paru. Je les mets donc en ligne avant qu'elles ne soient trop périmées...)

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L’ANACOLUTHE n° 12 (Le Roc du cavalier, 12430 Ayssènes). 6 €. Abonnement 2 n°s 11 €.  http://lanacoluthe.user.fr

Cette « revue littéraire de création » prend son temps, va à son rythme. Créée en 1992, elle sort seulement son 12e numéro en 2006 : « Comme d’habitude L’Anacoluthe se fait attendre. C’est ainsi. Mais l’important n’est-il pas de durer ? Et puis la lenteur, n’est-ce pas le propre de la littérature de création ? Lente à écrire, lente à lire, lente à diffuser, elle passe dans le public comme à travers un filtre très fin. »

Nouvelles, réflexions, extraits de romans, poèmes, poésie en prose, textes courts… L’Anacoluthe aime la recherche, mais pas le recherché, préférant la simplicité de ton et l’originalité du style. Michel Gremeaux anime ce beau lieu (impression en Garamond sur papier vélin ou vergé, ici sur Centaure offset 120 g ivoire) qui reçoit pour cette livraison Régine Detambel, Cécile Graindorge, Pascale Petit, Luc Louwette, Estelle Folscheid, Lionel Pfister. Tableaux et dessins accompagnent ces textes d’une bonne tenue, subtils, délicats et charmeurs, magnifiquement mis en valeur par la typographie et le support. Cette réussite illustre l'originalité irréductible de la revue papier et la nécessité de sa survivance, la littérature gagnant à être lue ainsi matérialisée plutôt que sur l’écran de la revue virtuelle.

 

LE JETE DU MATIN n° 9, (Jan Bardeau, 67 rue Berbisey, 21000 Dijon). Gratuit.

Publication de l’association Cachouz Product, Le Jeté du Matin renaît de ses cendres et entame sa troisième formule (lancé une première fois en 1995, jeté aux orties en 96, relancé en 2001 puis rejeté), sous la forme d’un fanzine trimestriel aux pages grisées. Pourquoi revenir ? Par nécessité : « Face à la médiocrité des publications actuelles, il fallait que brillent à nouveau l’étoile du talent et la fureur de la création. » ! On retrouve l’humour de Jan Bardeau, qui pose en 2e de couv’ dans le rôle de Jean-Gaston Sacquavaing, maire de Cachow-City et gouverneur de la vallée de la Cachouzienne ! Bandes dessinées, jeux, nouvelles du terroir délirantes, petits textes fantaisistes (dont une histoire de « Tête de cochon » illustrée d’une véritable tête de cochon photographiée à la cuisine, à la salle de bains, dans le salon) voisinent sans esprit de sérieux. « La rédaction est totalement solidaire des propos tenus par les auteurs, quoiqu’elle reconnaisse que certains ne devraient plus circuler en liberté depuis longtemps, et que les autres, s’ils ne sont pas irrémédiablement crétins, sont alcooliques. » Vous voilà prévenus !

 

ICIELA, iciélà n° 3 (La Maison de la Poésie, 10 place Pierre Bérégovoy, 78280 Guyancourt). 10 €.

Sous l’enseigne de la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, où Roland Nadaus occupe des fonctions électives, paraît cette revue belle et luxueuse, et néanmoins pleine et passionnante. Dans l’édito, Marc Gial-Miniet précise : « On demande à l’art un moyen d’évasion… Et bien non ! ! Surtout pas ! ! L’art doit rendre visible ce qui ne l’est pas, et il ne doit pas masquer justement ce qui fait mal. Il doit rendre à tous une meilleure lisibilité du monde dans ses beautés comme dans ses horreurs. »

Un dossier sur la poésie québécoise d’expression française, un entretien avec Eugène Savitzkaya, à l’occasion de la remise du prix des Découvreurs en 2004 pour « Exquise Louise », et des textes et poèmes d’Albane Gellé, Gabriel Lalonde (Le plus beau poème/ c’est celui que je n’ai pas encore écrit/ Le plus beau poème/ c’est celui que peut-être je n’écrirai jamais). La revue rend un hommage à Jacques Simonomis, poète et revuiste (Le Cri d’Os) mort à 64 ans, le petit dossier comprend des poèmes de cet auteur, un texte fraternel de Roland Nadaus, « J.S. ne nous a pas quittés », et une photo belle et émouvante de Jacques, portrait empreint de sa bonhomie et de son humanité. L’allée qui longe la Maison de la Poésie à Guyancourt porte désormais son nom.

 

mercredi, 14 mai 2008

Nouvelles en trois lignes, de Félix Fénéon

1160406386.jpgFélix Fénéon (1861-1944) a créé en 1906 dans le journal Le Matin une rubrique intitulée Nouvelles en trois lignes qui fut vite célèbre. S’inspirant de faits-divers réels, il les réécrivait de manière à en faire ressortir la cruauté ou le comique, dans une mécanique implacable.

Régine Detambel a préfacé un choix de ces nouvelles paru en 1997 au Mercure de France. A titre d’exemples, j’en reproduis une dizaine, ciselées comme des aphorismes, qui apparaissent comme des bijoux d’humour noir dans un monde où toutes les morts sont égales et absurdes.

 

*

 

Rattrapé par un tramway qui venait de le lancer à dix mètres, l’herboriste Jean Désille, de Vanves, a été coupé en deux.

 

M. Abel Bonnard, de Villeneuve-Saint-Georges, qui jouait au billard, s’est crevé l’œil gauche en tombant sur sa queue.

 

Le Dunkerquois Scheid a tiré trois fois sur sa femme. Comme il la manquait toujours, il visa sa belle-mère : le coup porta.

 

De trouver pendu son fils Hyacinthe, 69 ans, Mme Ranvier, de Bussy-Saint-Georges, fut si déprimée qu’elle ne put couper la corde.

 

Comme son train stoppait, Mme Parlucy, de Nanterre, ouvrit, se pencha. Passa un express qui brisa la tête et la portière.

 

Une machine à battre happa Mme Peccavi, de Mercy-le-Haut (M.-et-M.). On démonta celle-là pour dégager celle-ci. Morte.

 

C’est au cochonnet que l’apoplexie a terrassé M. André, 75 ans, de Levallois. Sa boule roulait encore qu’il n’était déjà plus.

 

Rue de Flandre, Marcel Baurot, et cette quintuple amputation lui fut mortelle, a eu les doigts coupés par une scie circulaire.

 

Le soir, Blandine Guérin, de Vaucé (Sarthe), se dévêtit dans l’escalier et, nue comme un mur d’école, alla se noyer au puits.

 

Mlle Paulin, des Mureaux, 46 ans, a été saccagée, à 9 heures du soir, par un satyre (22 ans, trapu, chapeau mou sur visage ovale).

 

Pour la cinquième fois, Cuvillier, poissonnier à Marines, s’est empoisonné, et, cette fois, c’est définitif.

 

Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes, Mercure de France.

 

(portrait par Signac)

 

vendredi, 02 mai 2008

Tom et Les lignes dans Le Capital des Mots

Tom ne dit mot.

Ses lèvres ne bougent pas. Son visage ne bouge pas. Son corps ne bouge pas.

Il a écrit quelques dernières lettres, la veille, sans indiquer son nom au dos de l'enveloppe. Des lettres sans retour et sans suite, qu'il n'a même pas signées, qu'il n'a pas pris la peine de dater. Des lettres cachetées et jetées dans la boîte postale au bas de son immeuble. Puis il a refermé l'encrier.

Tom n'écrit plus.

(...)

 

La suite dans Le Capital des Mots, la revue web d'Eric Dubois, où sont publiés ce mois-ci deux de mes textes courts, "Tom" et "Les lignes" :

http://le-capital-des-mots.over-blog.fr/article-18275387....

 

Au sommaire de ce même numéro, je signale un texte de mon amie Anne-Lise Blanchard.

 

dimanche, 30 mars 2008

André Rochedy, un projet d'exposition

La bibliothèque de Saint-Agrève (Ardèche) m'a récemment contacté pour obtenir un exemplaire des numéros 1 et 17 de la revue Casse, dans lesquels figuraient des poèmes d'André Rochedy. Cette bibliothèque compte en effet réaliser une exposition consacrée à ce poète, natif de la ville, afin d'évoquer sa vie et son oeuvre ; elle veut par ailleurs constituer un fonds rassemblant ses recueils et les revues qui ont parlé de lui.

 

Sur le blog de la revue Casse, j'avais évoqué en 2006 André Rochedy. Je reproduis ce billet.

 

André Rochedy, auteur d’une importante œuvre poétique, est mort le 9 août 2006. Né à Saint-Agrève (Ardèche) en 1942, il demeurait à Lyon où il fut professeur de lettres. Grand connaisseur de la poésie, il m’apporta son aide et ses conseils tout au long de l’existence de la revue Casse, et il figurait au nombre de ceux que je nommais dans l’ours « les amis de l’ombre ». C’est grâce à lui que je pus obtenir pour Casse les textes des meilleurs poètes belges, dont Gaspard Hons, Carino Bucciarelli, André Romus et bien d’autres ; il fit aussi partie des jurys que je formai pour les prix de poésie et de nouvelles organisés par la revue.
Son œuvre est parue chez Cheyne éditeur et à L’Arbre à paroles.
JJN


*

Les griffes des belettes
creusent le sommeil
Des lunes d’hiver
croissent dans nos ciels
Nous ne guérirons pas du froid

Le voyageur dit qu’il va
au plus blanc de la neige

*

Mais quelle bouche a bu
tout le sang de l’étoile
les pommes ensemble
ont vieilli au matin
L’alouette est entrée dans la pierre
nous laisserons nos yeux
aux arbres du jardin
Nous sommes couchés
dans la rosée de soufre
Sur nos mains nos visages
la langue rêche des brebis

*

Un enfant garde
la maison des songes
surgissement de l’orge
dans l’obscur
La mort jappe au fond de l’ombre
quand la lumière élève
les visages
et les oiseaux
tombés en nuit

in Casse n° 1

*

D’un coup d’épaule le vent renverse le jardin et bras levés les ombres s’envolent.
Cris enfoncés dans l’herbe comme étoiles noyées.

Que la blancheur nous soit passage à l’heure où les ténèbres mangent les yeux. Si froids les corps quand ils s’éloignent. Qui nous dira les mots qui montent jusqu’au visage de l’amandier ?

La nuit gagne sur l’enclos de la lampe, une herbe noire recouvre l’étang. On ne sait pas le bruit que font les paroles sous la neige. On peut mourir d’oublier le souffle de la mer.

in Casse n° 17

lundi, 17 mars 2008

Revues littéraires et blogs littéraires

1657635980.jpgRéseaulire est le site Internet de diffusion et de distribution en bibliothèques de l'édition indépendante. Il regroupe des éditeurs choisis pour la qualité de leurs fonds tant en littérature qu'en sciences humaines, en art ou en jeunesse.

Réseaulire met à la disposition des bibliothécaires :

- des outils efficaces et rapides pour rechercher et commander les livres de leur choix,

- un catalogue d'animations (conférences, expositions...) pour rapprocher auteurs et lecteurs.

 

Dans ce cadre, Réseaulire propose une animation que je conduis sur le thème :

Revues littéraires et blogs littéraires

(à partir de mon guide La Revue mode d’emploi, paru aux éditions L’Oie plate).

 

Le paysage des revues littéraires a été bouleversé par l’apparition des sites et des blogs littéraires, offrant de nouveaux espaces aux lecteurs comme aux auteurs. La revue virtuelle signifie-t-elle la mort de la revue traditionnelle papier, ou peut-elle être pour cette dernière un complément et un moyen de promotion ?

 

Toutes les infos sur cette page.

http://www.reseaulire.com/index.php?ind=ani&p=fic&... 

  

vendredi, 14 mars 2008

L'autoroute (extrait 2)

Il termine la suite de clichés par une vue de trois-quarts des grillages qui délimitent l’aire, puis laisse aller son regard sur le paysage extérieur. Il y a, derrière les clôtures, une sorte d’espace neutre, une zone rapportée de graviers entre lesquels une herbe folle et forte a poussé, avec quelques arbustes acharnés à survivre. Des chardons des ronces des orties. Des nids de vipères qu’on pressent sous la caillasse. C’est une zone tampon, désolée, désertée, comme démilitarisée, un périmètre utile de protection et de transition. On n’y compte que de rares excroissances. Des hangars de tôle et de moellons. Des monuments nains de ciment qui doivent avoir une secrète utilité, pour le service des eaux, l’électricité ou le téléphone. Des bouches d’incendie surnageant rouges sur des lits de fougères, ou parmi un entrelacs de ronces grises. Le paysage résiduel de l’activité morte des hommes.
Car ici, à cette place, sous ses pieds, de part et d’autre de son corps, à l’est et à l’ouest, au sud et au nord, sur une zone bien plus large que l’actuel tracé goudronné, des engins jaunes de terrassement ont dû venir, tout saccager comme dans le paysage de son enfance, faire une trouée dans le décor naturel, retourner le sol, arracher les arbres et la végétation, tuer ou chasser les animaux, percer une voie large, avant de remblayer, aplanir, goudronner, bétonner, clôturer un ruban de terre qui est devenu une frontière artificielle infranchissable. Oui, sûrement, comme dans son enfance, d’énormes camions-bennes, très hauts sur roues, ont dû charrier des tonnes de gravier, défonçant les voies communales, les transformant en chemins creux, boueux. C’est un trafic et une industrie dont la mémoire s’est perdue, maintenant que l’autoroute s’impose dans le paysage, encastrée, enracinée comme si elle était de toute éternité. Et pourtant il a bien dû exister un avant, une histoire de l’autoroute, des étapes de sa conception et de sa construction : des projets, des plans, des enquêtes d’utilité publique, des actes administratifs, des arrêtés, des décrets – les autorités après une consultation formelle imposant leur volonté – puis des préparatifs, des repérages, des bornages avant l’irruption des lourds engins motorisés, avant les tranchées, les destructions, les exactions. Des maisons évacuées, éventrées, démolies au bulldozer, à la boule ou à l’explosif ; des champs dévastés, des vergers anéantis, des chemins supprimés, des souvenirs rasés, des mares, des étangs et des biefs comblés, des buttes rasées, des dénivellations annulées, l’horizontal triomphant ; il y a bien eu une chose à la place d’une autre – naturelle et originale – une substitution de beauté par un acte violent, un acte écrit de violence publique.

 

(extrait d'un roman inédit) 

samedi, 09 février 2008

Les langues

A force de travail, et surtout de persévérance, il avait réussi à écrire une œuvre et, progressivement, à la faire éditer. Le succès était venu, d'abord timide et relatif, puis consolidé, irradiant dans les pays voisins de la sphère linguistique.

L'écrivain était maintenant connu. Son nom figurait dans les divers recensements et catalogues officiels. Ses livres se vendaient bien. Les sorties en poche prolongeaient le succès des éditions originales. On commençait, lentement mais sûrement, à traduire ses œuvres dans un nombre de langues croissant.

Mais un bonheur n'est jamais complet et celui-là l'était moins que tout autre. L'auteur s'exprimait dans un idiome partagé, pays natal et francophones confondus, par seulement trois pour cent de la planète. Cela le chagrinait. Certes, ce n'était pas négligeable, et il aurait pu connaître un sort plus défavorable en écrivant en islandais ou en albanais, langues plus minoritaires. Inversement, il aurait pu être plus favorisé comme le sont les Anglais ou les Chinois.

Aucune langue n'offrait une couverture complète du globe. L'écrivain enviait parfois ces langages apparemment universels que sont la musique et la peinture, mais le sont-ils vraiment ? Il écrivait pour un public limité et jamais son œuvre ne serait traduite en toutes les langues. Il y avait trop de langues. Il y avait trop peu de traducteurs.

Assis devant un bock de bière, à la terrasse d'un café de sa ville natale où beaucoup ne le connaissaient ou reconnaissaient même pas, il songeait à ces milliards d'hommes avec lesquels il ne pouvait pas communiquer. Il n'y avait rien à faire. L'écriture ne le mènerait pas jusqu'à ces hauteurs où planaient ses rêves fous. La dispersion des langues, leur éparpillement rendaient vain tout rêve d'universel.

Les langues ne sont que de pauvres véhicules, qui n'assurent pas la desserte complète de la terre. Elles tournent dans leur territoire, un peu sur les franges, guère au-delà. Elles ont une autre espérance de vie que la nôtre, elles dépassent notre durée, venant d'avant nous et nous survivant, mais elles meurent aussi, et toutes les œuvres qui ne sont déjà plus que des souvenirs ne seront alors plus même des souvenirs, elles auront sombré, corps et biens, dans la mort définitive des mots que l'on ne déchiffrera plus, dans cette alignée de signes muets, stupides. Les œuvres prolongent un peu nos vies mais sont aussi de passage. Les ouvrages sont peu de chose. La littérature occupe un faible volume dans l'espace, et il n'est que provisoire. Les mots ne sont rien. Ils n'ont pas de mémoire. Finalement on écrivait comme on vivait, sur du vent, sur de l'eau, sur de l'air.

 

(texte publié dans le recueil La gare, Orage-Lagune-Express, 2000 ; dans Portraits d'écrivains, Editinter, 2002)