jeudi, 20 février 2014
Les moments littéraires n° 31
La revue de Gilbert Moreau consacre son dernier numéro à Diane de Margerie. Romancière, critique littéraire, nouvelliste, traductrice, biographe, elle est l’auteur d’une œuvre diverse qui donne une large place à une certaine forme d’autobiographie. Sa jeunesse est marquée par l’errance, son père étant diplomate. Après Berlin, Londres, elle se retrouve à Shanghaï puis à Pékin au moment de l’invasion japonaise. Le père Theillard de Chardin, jésuite, en exil à Pékin, est son professeur de physique et lui prodigue ses conseils. Elle se retrouve ensuite en France, puis à Rome, où elle rencontre Alberto Moravia. Avant de se fixer à Chartres, lieu où elle écrit. « Quand j’ai fait le choix de venir habiter à Chartres, j’ai beaucoup pensé à Pékin. Je me demande s’il n’y a pas une sorte de réminiscence architecturale qui m’a fait aimer tellement cette ville où l’on accède au lieu sacré de la Cathédrale en traversant des ponts tout comme à Pékin où, pour me rendre à la Cité Interdite, je devais emprunter des ponts de marbre. » Elle livre sa conception de la littérature, qui ne doit pas « tout dire » : « L’intérêt du lecteur n’est pas qu’on lui serve tout le dicible. Ce qui l’intéresse et ce qui l’accroche, c’est le secret et l’indicible ; il doit donc décrypter. Je trouve qu’une littérature qui prétend tout dire est une littérature pauvre, sans poésie, répétitive, sans évasion. Les textes sont comme des fruits dont il faut extraire le suc. Le suc, c’est l’intime. »
Le dossier introduit par une belle étude de René de Ceccatty (« Les cinq portes de la fraternité poétique ») se compose d’un long entretien de Diane de Margerie avec Gilbert Moreau et d’un extrait d’une étude sur Proust, « Relation fraternelle : relation ambigüe ? », où elle s’interroge sur la disparition du frère Robert, cadet de deux ans de Marcel, dans La Recherche. « M'intrigue plus que jamais l’énigme de cette œuvre où Robert est effacé – « scotomisé » disent les psychanalystes. Quel travail mental ce dut être que de reprendre toute l’atmosphère de l’enfance et d’Illiers en effaçant Robert, le petit frère, forcément présent. »
Des extraits de journaux d'Anne Serre et de Katherine L. Battaiellie complètent ce passionnant numéro.
Les moments littéraires n° 31. BP 30175 92186 ANTONY Cedex. 12 €.
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jeudi, 13 février 2014
Un entretien avec Frédérick Houdaer
« Un auteur de textes courts n’a presque rien, quelques rares revues, quelques rares éditeurs (Gros Textes, par exemple, qui publie Dejaeger), peu de possibilités de se produire sur une scène, il est le « mouton noir » : les poètes ne le reconnaissent pas des leurs (alors qu’il suffirait qu’il aille à la ligne en appuyant fréquemment sur la touche ENTER de son clavier !) et les prosateurs le regardent de haut en trouvant qu’il ne pisse pas assez loin. Et pourtant, c’est un genre auquel on doit de sacrées réussites : Sternberg, Topor… »
Frédérick Houdaer me consacre un entretien sur son blog, où nous abordons essentiellement mon activité d’éditeur à l’enseigne du Pont du Change. Mais l’auteur n’est pas loin…
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mercredi, 29 janvier 2014
Le dernier numéro de Passage d'encres
Dans un édito intitulé Bouclage, Christiane Tricoit nous informe que la revue Passage d’encres s’arrête avec le numéro 04 (de la série II), du moins sous sa forme papier. Mais les éditions continuent. Plus d’un millier d’auteurs et d’artistes ont été publiés depuis janvier 1996 sous cette enseigne, qui compte une cinquantaine de numéros de revue parus, des ouvrages, des estampes et œuvres originales éditées.
Ce numéro final contient des extraits d’un beau et émouvant journal d’Hubert Lucot, Deuil, tenu après la mort de son épouse. « Ce n’est pas l’absence d’A.M. que je ressens mais son silence, comme si elle parlait ailleurs. Elle m’a quitté pour un autre : le néant. » « Parfois, son absence est concrète : dans l’embrasure d’une fenêtre où elle soignait ses plantes. » Lucot livre aussi une série de collages, avec un commentaire de Daniel Pozner. Ouverte et diverse, la revue accueille des voix très différentes, comme Sylvie Reymond-Lépine, Gérard Cartier, Katia Roessel, Patrick Le Divenah, Michel Le Brigand, Christophe Stolowicki, Elisabeth Boëlle, Jacques Demarcq, Jean-Claude Monteil, Gérard Prémel (qui évoque la mémoire de Jean Sénac) et des dessins et photos de Geneviève Lassus, Claire Nicole, Amy Love, Andoche Praudel, Elina Achéron, Louis-Michel de Vaulchier, Oscar Yana, et Christiane Tricoit dont les talents de directrice de publication ne doivent pas éclipser ceux de la photographe. La revue sera restée jusqu’au bout fidèle à sa ligne : l’alliance et le dialogue de l’art et de l’écrit, la défense de l’éducation et de la culture « en ces temps de grande barbarie ».
Passage d’encres a également publié récemment :
- Nathalie Kremer, Diderot devant Kandinsky, Pour une lecture anachronique de la critique d’art, collection Trace(s).
- La Chambre du rêve, de Bruno Cany, collection Trait court.
- Le numéro # 03 de la revue, intitulé Transitions.
Revue Passage d’encres, série II. # 04 Décalages : Hubert Lucot / Décollages
Moulin de Quilio, 56310 Guern. 20 €.
http://www.inks-passagedencres.fr
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lundi, 13 janvier 2014
Le milieu du monde
Le Journal des Poètes (n° 4 / 2013) publie l'un de mes textes, "Le milieu du monde", une sorte d'hommage à Kafka. On aimerait bien avoir en France l'équivalent de ce trimestriel poétique de Belgique, qui aborde sa 83e année.
LE MILIEU DU MONDE
Joseph K. avait rejoint le train Brest-Vladivostok dans une gare de la Mitteleuropa, une banale station ferroviaire dont le nom complexe et saturé de consonnes n’était pas resté dans sa mémoire. Il s’était endormi sur son siège peu après le départ ; le sommeil avait été long et profond car le jour était levé depuis longtemps quand il se réveilla. Il avait froid. Il était seul. Le train se trouvait arrêté en pleine voie, loin de toute zone habitée, probablement aussi loin de son point de départ que de son point d’arrivée. La neige tombait en abondance et avait recouvert tout le paysage alentour ; les rails avaient disparu sous la couche épaisse, et bientôt, s’il continuait à neiger avec cette régularité et cette intensité, le convoi lui-même ne serait plus perceptible. Remontant les voitures vers l’avant jusqu’à la locomotive, puis en sens inverse jusqu’à l’arrière du train, il ne vit personne, pas même le conducteur, pas même le contrôleur, et il n’y avait plus aucun bagage, à part son vieux sac à dos. Le wagon-restaurant était propre, rangé, vidé de tout aliment et de toute boisson, comme s’il n’avait pas servi depuis longtemps. Joseph K. se mit à errer d’une voiture à l’autre, seul dans ce train fantôme que ses fantômes eux-mêmes avaient déserté.
*
Signalons aussi deux publications récentes : deux textes dans Les tas de mots n° 14 et quelques blagues dans Fluide Glacial n° 451.
10:56 Publié dans Mes publications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nuel, journal des poètes, fluide glacial, les tas de mots
jeudi, 12 décembre 2013
L'Almanach du saumon poétique
Une belle initiative des dynamiques éditions du Petit Véhicule : la création de l’Almanach du saumon poétique, littéraire et fraternel. Il vient de sortir et pourra vous accompagner tout au long de l’année 2014. Coordonné par Stéphane Beau et Luc Vidal, illustré par Nicolas Désiré Frisque, ce bel objet relié à la chinoise conjugue la fantaisie, la poésie, l’humour, le sérieux et le léger. Un auteur ouvre chaque mois par un texte original, puis se succèdent de nombreux textes littéraires le plus souvent tirés des archives des éditions du Petit Véhicule et de feue la revue Le Grognard.
Dans leur introduction, Beau et Vidal rappellent qu’historiquement, l’almanach est un annuaire, un calendrier illustré. Traditionellement, c’étaient les colporteurs qui diffusaient cette publication annuelle qui nous instruisait sur les phases de la lune, les solstices et les équinoxes, les horaires des marées, les recettes de cuisine, etc. Bref, un livre pratique, vivant, quotidien et populaire. Son principe remonte à la Grèce antique (Les Travaux et les Jours, d’Hésiode) ; quelques-uns ont marqué l’histoire : l’Almanach Vermot, l’Almanach du Père Peinard, l’Almanach ouvrier et paysan de L’Humanité… (J’ajouterai pour ma part : les almanachs du Père Ubu, écrits par Alfred Jarry.) Mais l’exemple qui a motivé les deux auteurs est l’Almanach surréaliste du demi-siècle publié en 1950 par les éditions du Sagittaire. Y figuraient (excusez du peu !), sous la direction d’André Breton, Benjamin Péret, Antonin Artaud, Octavio Paz, Julien Gracq…
L’Almanach du saumon ne peut se prévaloir de si prestigieuses signatures mais nous donne à découvrir nombre de textes excellents que l’on pourra picorer au gré des jours et des saisons.
Vous trouverez en pièce jointe descriptif, sommaire et bon de commande.
Almanach du saumon poétique littéraire et fraternel 2014, éditions du Petit Véhicule, 15 €.
19:29 Publié dans Annexes et dépendances, Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : almanach du saumon poétique, le petit véhicule, beau, vidal
mercredi, 11 décembre 2013
Editeurs : bons à tirer ?
La revue littéraire Chiendents consacre son numéro 38 à un dossier sur l’édition, au titre un brin provocateur, Éditeurs : bons à tirer ? Et c’est vrai que l’on parle toujours de la grande misère des auteurs, des libraires, mais jamais de celle des éditeurs, et spécialement des petits éditeurs.
Entre autres articles, on notera une lettre ouverte aux hommes et femmes de bonne volonté, de Luc Vidal, éditeur au Petit Véhicule, qui livre lucidement son expérience. Jean-Luc Nativelle nous parle de la galère d’une signature dans l’espace culturel d’un grand magasin, un grand moment de solitude sauvé par la gentillesse et l’intérêt d’une vendeuse. Gérard Cherbonnier, responsable des éditions du Petit Pavé, s’entretient avec Stéphane Beau : “Faudra-t-il éditer sous le manteau ?” et dresse un tableau objectif de la situation de l’édition. Roger Wallet retrace son parcours d’écrivain, depuis un premier succès (édition au Dilettante, passage chez Pivot, presse nombreuse) suivi d’un échec commercial, d’une tentative de monter une structure éditoriale et de la publication actuelle chez de plus modestes éditeurs. Dans un article ravageur, Stéphane Beau nous livre un portrait sans concessions de l’ingratitude des auteurs : “Toujours prompts à dénoncer les travers des éditeurs, les auteurs ont une fâcheuse tendance à hisser les libraires au sommet de la pyramide des métiers du livre, comme s’il s’agissait de la catégorie la plus noble. (…) Pour les auteurs, le passage par l’éditeur ne représente qu’une formalité technique, rien de plus qu’une étape obligée qui a en outre le grave défaut de ne pas être toujours de tout repos pour leur ego. Une fois que le contrat est signé, l’heureux auteur ne veut plus rien savoir de ce qui se joue dans les bureaux de son éditeur, ni dans l’atelier de l’imprimeur. Tout cela, c’est le travail de l’éditeur : l’auteur, créateur, pur esprit, est au dessus de ces réalités triviales. Par contre, s’il y a une chose que les auteurs adorent, c’est apercevoir leurs bouquins dans les devantures des libraires. Là ils se sentent grands, beaux, forts, puissants, comme si leur talent était décuplé par cette mise en visibilité de leur travail. La vitrine des libraires est comme un miroir où, Narcisses modernes, ils peuvent contempler le reflet de leur propre grandeur.” Et de conclure : “L’éditeur donne vie au livre ; il lui permet d’être. Le libraire caresse l’auteur dans le sens de son ego ; il lui permet de paraître.”
Un dossier passionnant, sans langue de bois, à lire par tous ceux qui veulent découvrir les coulisses de la petite édition.
Chiendents n° 38, éditions du Petit Véhicule, 4 €. Le blog des éditions.
11:02 Publié dans Lectures, Revues littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chiendents, edition
samedi, 23 novembre 2013
Andoche Praudel, la photographie comme art des trophées
Les noms des champs de bataille sont inscrits dans nos mémoires. Mais que sont-ils devenus ? Andoche Praudel a entrepris de les photographier. Il choisit un champ de bataille et sa date, prend la photo sur le lieu même et si possible, à date anniversaire. Il en réalise des images panoramiques, qu’il tire sur un papier Japon aux fibres poreuses. Dans un beau livre au format à l’italienne, nous sont restitués ainsi, par ordre d’apparition chronologique sur la scène de l’Histoire, des lieux de lutte et de carnage aujourd’hui comme reposés bien que leurs entrailles aient été nourries de sang : Carthage, Gergovie, Poitiers, Roncevaux, Teranomari, Azincourt, Valmy, Austerlitz, Waterloo… parmi une série de 26 vues.
On devine que Praudel photographe attend le moment favorable, une levée partielle du brouillard, la survenue d’un rai de lumière, d’un banc de nuages, l’élément changeant qui va donner un sens, un mouvement au décor cadré, lui donner une réelle dimension. Le traitement de la lumière, comme échappée ou comme révélateur, est particulièrement admirable dans deux vues : Gergovie et Glencoe, en Ecosse.
Baldine Saint Girons accomplit un double travail sur cette série de photographies : elle les fait précéder d’une étude, puis elle accompagne chaque cliché d’un double commentaire, l’un en amont (historique), l’autre en aval de la photographie (artistique). Dans une brillante démonstration, elle nous montre que « la photographie se caractérise non seulement comme l’art de conserver des traces, mais comme l’art de fabriquer des trophées, c’est-à-dire d’exhiber des objets paradoxaux qui, tout en étant arborés par les vainqueurs, parlaient en faveur des vaincus »
Non seulement les images sont belles en elles-mêmes, se suffiraient à elles-mêmes, mais leur intensité se trouve comme renforcée par la référence historique qui introduit une dimension du passé et une dimension dramatique, naissant du contraste entre le calme actuel du lieu et ce que nous imaginons de violent et de mortel. « Praudel n’est ni un reporter de guerre, ni un historien, ni un muséologue. Son seul objectif est de conduire, voire de forcer les choses et les lieux à exprimer leur âme, à livrer un témoignage proprement esthétique, trop souvent négligé comme tel », nous expose Baldine Saint Girons. « La photographie réussit à rendre l’histoire vivante : elle nous force à réfléchir sur l’événement et sur les nouveaux partages qu’il instaure. »
Les champs de bataille d’Andoche Praudel, de Baldine Saint Girons, éditions Manucius
11:20 Publié dans Lectures, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andoche praudel, baldine saint girons, manucius, champ de bataille, photographie