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mardi, 08 mars 2016

Courts métrages, feuilleton (3/10)

En feuilleton, des extraits de mon recueil Courts métrages, paru en 2013 aux éditions Le Pont du Change.

 

L’AMANT DE THÉRÈSE

2012 fut l’année Rousseau en région Rhône-Alpes, à l’occasion du tricentenaire de la naissance du grand écrivain. J’avais été recruté, en contrat à durée déterminée de trois mois, par le comité organisateur des festivités. Ma mission exclusive était de rechercher – pour compléter une biographie détaillée – le premier amant de Thérèse Levasseur, un individu de sexe masculin qui, contrairement à Jean-Jacques, n’avait pas laissé de nom dans la littérature et la philosophie. On ne disposait d’aucun élément sur le passé amoureux de Thérèse, à l’exception de ce bref passage au Livre VII des Confessions : « Elle me fit, en pleurant, l’aveu d’une faute unique au sortir de l’enfance, fruit de son ignorance et de l’adresse d’un séducteur. » ; elle n’était donc pas vierge lors de sa rencontre avec Rousseau. Cette notation mise à part, aucune piste, aucun témoignage, aucune archive nous menant à ce prétendu séducteur. Je désespérais de trouver quelque chose. « Cherchez toujours ! » disait-on pour me rassurer. « Cela vous occupera jusqu’à la fin de votre contrat. »

*

 

FUMER TUE

J’avais arrêté de fumer juste avant le début de la guerre et dois peut-être à cette sage décision d’être encore en vie. L’armée nous avait mobilisés et envoyés sur la ligne de front. Dans la nuit noire, le soldat qui allumait une cigarette prenait un risque mortel ; le jeu pour les ennemis consistait à cribler de balles un cercle imaginaire autour du point d’incandescence. Ceux qui se tenaient trop près de l’imprudent pouvaient tomber aussi comme des fumeurs passifs.

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L’AXE NORD-SUD

La frontière entre nos deux pays, âprement disputée au fil des siècles, ne posait pas que des problèmes de sécurité militaire : la véritable querelle était sémantique. Pour nous, elle s’appelait frontière du nord, évoquant les contrées froides septentrionales ; pour les habitants du pays voisin, situé plus haut sur la mappemonde, elle s’appelait frontière du sud, évoquant les contrées chaudes méridionales. Qui détenait la vérité ? Nos géographes respectifs en débattaient régulièrement, sans arriver à un accord, et trois conflits armés entre nos deux peuples n’avaient pu faire prévaloir l’une des interprétations. La dispute avait encore de beaux jours devant elle. Comme la frontière suivait exactement la ligne du quarante-cinquième parallèle, aucun observateur extérieur n’avait pu nous départager.

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Le recueil Courts métrages est disponible aux éditions Le Pont du Change.

 

samedi, 05 mars 2016

Courts métrages, feuilleton (2/10)

En feuilleton, des extraits de mon recueil Courts métrages, paru en 2013 aux éditions Le Pont du Change.

 

LA DERNIÈRE AVENTURE DE SHERLOCK HOLMES

J’avais rarement vu mon ami Sherlock Holmes dans un tel état d’excitation. Il n’avait pas dormi de la nuit et tint à me faire part, dès mon réveil, de ses conclusions. « Élémentaire, mon cher Watson. L’auteur de tous ces crimes, qui nous ont occupés depuis tant d’années et ont passionné le public, n’est autre qu’un médecin d’origine écossaise, écrivain à ses heures, du nom d’Arthur Conan Doyle. Cet esprit machiavélique ne commet pas lui-même ses forfaits, il est le cerveau qui conçoit et conduit dans l’ombre toutes les affaires criminelles. Le professeur Moriarty, l’ennemi public numéro un, n’est que l’une de ses créatures. Il tire toutes les ficelles. Mais ce génie du mal, aussi habile que monstrueux, a commis l’erreur de laisser des écrits. Ce matin, dès que vous aurez fini votre petit déjeuner, nous apporterons les preuves à Scotland Yard. »

Encore une fois, j’étais fasciné par l’intelligence aigüe et le sens de la déduction de Sherlock Holmes. Mais je ne partageais pas son enthousiasme. Vu le nombre et la noirceur des crimes, Doyle serait condamné à la peine capitale. Et, quel que soit mon amour de la justice, je n’avais aucune envie de mourir avec lui.

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LA GENÈSE

Le soir du sixième jour, le grand architecte a dû partir précipitamment, appelé par une urgence sur une autre construction, très loin d’ici. Depuis, nous sommes sans nouvelles. En attendant qu’il revienne pour achever son travail, nous jouons dans le chantier abandonné au cœur du terrain vague, pendant tout un week-end qui n’en finit pas.

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LA BOUTIQUE DE MARKUS

Markus tenait une bouquinerie dans le quartier des Terreaux, au pied des pentes de la Croix-Rousse. Les jours de pluie, on s’y réfugiait et, debout devant les bacs surchargés, on feuilletait les revues illustrées dans la lumière grise. Les bruits de la rue nous parvenaient feutrés et mouillés ; on restait longtemps, perdant la conscience du temps, à écouter Markus. C’était un savant dans son domaine : il nous expliquait la provenance et l’histoire de chaque parution, des comics à la science-fiction, du polar à l’heroic fantasy. Il ressemblait à l’un de ces vieux sages que l’on rencontre au cœur d’une forêt enchantée, dans les littératures de l’imaginaire. Personne ne connaissait son vrai nom, car depuis aussi longtemps qu’on s’en souvienne, il s’était toujours fait appeler Markus, et aucun autre pseudonyme n’aurait pu correspondre plus parfaitement au personnage. Son nom d’origine avait dû se perdre dans les sables mouvants du temps, et il n’était pas sûr que l’administration en ait conservé la trace.

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Le recueil Courts métrages est disponible aux éditions Le Pont du Change.

 


Une illustration de Dominique Laronde pour "La dernière aventure de Sherlock Holmes"

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mardi, 01 mars 2016

Courts métrages, feuilleton (1/10)

En feuilleton, des extraits de mon recueil Courts métrages, paru en 2013 aux éditions Le Pont du Change.

 

LE DROIT D’AÎNESSE

Ma sœur aînée, je le sais, est née un an après moi et se prétend mon aînée. Je ne l’ai jamais contredite pour ne pas la contrarier, car elle peut se montrer, dans ses accès de colère, d’une violence extrême. Et ma position de frère cadet, bien qu’elle repose sur un mensonge, m’arrange au fond : je n’ai jamais aimé les responsabilités, et laisse volontiers à ma sœur, depuis la mort brutale de nos parents, le rôle de chef de famille. Elle a de puissantes relations dans la haute administration, je sais qu’elle s’en est servi pour parvenir à une falsification du registre d’état civil. Mon acte de naissance a été trafiqué : on m’a rajeuni de deux ans pour me faire naître fictivement après elle. J’en veux secrètement à ma sœur. Elle aurait pu tout aussi bien ne pas toucher à mon année de naissance et reculer la sienne de deux ans, le résultat aurait été similaire. Mais sa coquetterie et sa peur de vieillir s’opposaient à cette solution, et elle a préféré attenter à mes jours.

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FEUILLE DE ROUTE

Le soleil, comme un camionneur de l’entreprise Norbert Dentressangle, a un itinéraire et un horaire à respecter.

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LE CORPS DÉCAPITÉ DU MARTYR SAINT-TROPEZ

Le nom de la petite ville de Saint-Tropez, charmant port de pêche situé sur la Côte d’Azur, en France, n’évoquerait probablement rien pour la plupart des gens si ce lieu n’avait été le théâtre, en l’an 68 après Jésus-Christ, du débarquement involontaire d’un martyr chrétien. Torpès, intendant de Néron, refusant d’abjurer sa foi chrétienne, fut torturé et décapité à Pise ; son corps fut ensuite jeté dans une barque sur l’Arno, en compagnie d’un coq et d’un chien. Les courants ramenèrent la barque jusqu’au rivage de l’actuelle Saint-Tropez, où les chrétiens recueillirent le corps, le cachèrent et élevèrent une chapelle au martyr.

La ville tire son nom de Torpès, devenu Tropez. Chaque été, une grande ferveur religieuse pousse des centaines de milliers de pèlerins à se baigner dans les eaux sacrées de la Méditerranée.

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Le recueil Courts métrages est disponible aux éditions Le Pont du Change.

 

vendredi, 19 février 2016

Les Moments littéraires n° 35

Régulière dans la périodicité comme dans la qualité de ses dossiers, la revue Les Moments littéraires consacre son dernier numéro à Lionel Duroy. Un numéro dédié à la mémoire de Fred Deux, auquel la revue avait consacré un dossier spécial.

moments35.jpgAprès avoir été livreur, coursier, ouvrier puis journaliste à Libération et à L’Evénement du jeudi, Lionel Duroy publie son premier roman à l’âge de 41 ans. Il se consacre depuis entièrement à l’écriture, alternant des romans à caractère autobiographique et des réécritures de biographies de célébrités (Ingrid Betancourt, Sylvie Vartan, Gérard Depardieu…).

Son premier livre, Priez pour nous, revient sur son enfance terrible. Misère des parents, dettes, huissiers, expulsion des logements, folie de la mère… « Mon père et nous, les dix enfants, rampions devant une femme très profondément neurasthénique qui hurlait toute la journée et nous glaçait d’effroi dès qu’elle apparaissait. Notre grande préoccupation, pour nous protéger de la honte, était que personne n’entende les hurlements de notre mère. Que nous soyons restés sous le joug de cette idiote inculte qui n’avait pas lu quatre livres, complètement terrorisés, est pour moi un sujet constant de réflexion. » Mais publier le livre l’opposera durablement à toute sa famille. Comme les livres suivants, également autobiographiques, l’opposeront à ses femmes et à son fils : on ne peut tout dire en littérature sans blesser ceux que l’on met en scène. « Cette immense liberté que je m’accorde, aussi bien à l’égard des autres que de ma propre vie, a un prix. Je paie, et ça peut être douloureux. Je ne vois plus mes frères et sœurs et j’ai perdu beaucoup d’amis ».

Le dossier comprend une introduction d’Alice Ferney, un long entretien passionnant avec Gilbert Moreau, le responsable de la revue, et un texte de Lionel Duroy : « Le seul endroit sur la terre dont ils pouvaient être sûrs ».

 

Les Moments littéraires, BP 30175, 92186 Antony Cedex. 12 €.

http://pagesperso-orange.fr/lml.info

 

lundi, 21 septembre 2015

Billets d'absence

Parution septembre 2015

Billets d'absence, de Jean-Jacques Nuel

 

9791092038040.jpgSÉPARATION DE CORPS

« Un matin, Jean-Jacques se réveilla dans les deux lits jumeaux à la fois. Le trait d’union de son prénom avait glissé entre les deux matelas ; il devait se trouver sur le parquet, parmi les moutons de poussière, et sa taille minuscule comme sa couleur gris foncé ne faciliteraient pas les recherches. Profitant de cet incident, Jean et Jacques avaient pris leur indépendance et, après une petite virée nocturne, chacun de son côté, dans les quartiers malfamés de la ville, étaient revenus se coucher dans les deux lits séparés. Maintenant qu’ils avaient goûté à la liberté, ils auraient du mal à reprendre leur existence de frères siamois. » 

 

UN JEU DE SOCIÉTÉ

« On nous avait remis un nouveau jeu, composé seulement de vingt-six cartes. Chacune d’elles portait la figure d’une lettre de l’alphabet, de A à Z, et avait une valeur comprise entre un et dix. Ainsi, un K ou un W valaient dix points, tandis qu’un E ou un A ne comptaient que pour un point. Il était bien rare qu’un joueur avec une faible donne puisse passer les éliminatoires et disputer le grand tournoi, doté de prix en espèces très élevés, mais ces cas exceptionnels étaient montés en épingle par la direction du casino pour nous faire croire que tout le monde avait sa chance dans la vie, quelles que soient les cartes tirées à la naissance. »

Dans la veine de son précédent recueil Courts métrages, Jean-Jacques Nuel livre une mosaïque de textes courts et denses, mêlant l’humour, l’étrange, l’absurde et la poésie.

L’auteur : Jean-Jacques Nuel est né le 14 juillet 1951 à l’Hôtel-Dieu de Lyon et vit actuellement en Bourgogne, près de Cluny. Après avoir publié des recueils de poèmes, il se consacre à l’écriture de textes courts, d’aphorismes, de nouvelles et de récits. A publié notamment Courts métrages (Le Pont du Change, 2013), Le Mouton noir (Passage d’encres, 2014) et un roman Le Nom (A contrario, 2005).

Nombreuses publications en revues, dont L’Infini, L’Atelier du roman, Europe, Moebius, Harfang.

 

Un recueil de 76 pages, format 11 x 18 cm. 12 €.  ISBN 979-10-92038-04-0

Cet ouvrage peut être commandé au moyen du BON DE COMMANDE 

ou acheté sur le site de vente en ligne : www.lepontduchange.fr

 

samedi, 12 septembre 2015

Une publication dans L'Atelier du roman

atelier du roman,jean jacques nuel,écrivain

L'Atelier du roman n° 83 (septembre 2015) accueille 13 de mes textes courts sur le thème du métier d'écrivain.

 

samedi, 29 août 2015

Les Moments littéraires n° 34

Gilbert Moreau, l’infatigable animateur de cette revue de l’écriture intime, reste fidèle à sa formule : un auteur principal, auquel il consacre un dossier et un entretien, quelques auteurs invités (avec souvent des extraits de journaux), des critiques de livres. Ce numéro 34 est centré sur Colombe Shneck, présentée par Jean-Noël Pancrazi.

Journaliste de radio et de télévision, réalisatrice de documentaires, Colombe Shneck est surtout l’auteur d’une œuvre littéraire essentiellement tournée vers la chronique familiale avec un thème récurrent : le secret de famille. Depuis L’Increvable Monsieur Schneck, elle poursuit son travail de mémoire familiale avec Val de Grâce et La Réparation. Avec Dix-sept ans, elle révèle un secret personnel : celui de son IVG. Sa première fiction, Sœurs de Miséricorde, paraît en cette rentrée 2015.

L’histoire de sa famille juive est pleine de terribles secrets, qui lui furent cachés par ses parents afin de lui donner une enfance heureuse. La guerre et la déportation, la mort des proches dans les camps, le grand-père coupé en morceaux (affaire qu’elle découvre dans un vieux Paris Match !). Mais dit-elle, « ce n’est pas parce que les choses ne sont pas exprimées clairement que les enfants ne les savent pas. Ils devinent tout. »

Son œuvre est une recherche de la vérité et de la sincérité, dans une démarche qu’elle partage avec Annie Ernaux, l’un de ses modèles : « C’est une écriture que j’aime. Raconter les faits sans se donner le beau rôle, en étant capable de raconter l’humiliation, la honte, ne pas se mentir, être sincère, c’est quelque chose que j’admire, que j’essaie de reproduire. » Ce riche entretien se poursuit avec un texte de l’auteur, « La glace à la pistache », souvenir de ses relations avec son éditeur Jean-Marc Roberts.

Dans la deuxième partie de la revue, Hervé Ferrage nous livre des extraits d’un Carnet du 11 septembre, tracé pendant les jours qui ont précédé et suivi la catastrophe de New York. Claire Dumay analyse sa relation à l’écriture : « J’écris, je continue à écrire, j’écrirai quand bien même je serai peu lue. »

 

Les moments littéraires n° 34, BP 30175, 92186 Antony Cedex.12 €.

http://lml.info.pagesperso-orange.fr