jeudi, 01 novembre 2007
L'autoroute, première station
Je livre ici le premier chapitre d’un roman inédit, « L’autoroute », composé de douze chapitres ou stations. Ce texte est le développement d’une nouvelle parue dans les revues Salmigondis et i rouge, ainsi que dans mon recueil « Portraits d’écrivains » (Editinter, 2002).
Il regarde le siège du passager, à sa droite, sur lequel reposent une sacoche en cuir noir, un appareil photo numérique, des lunettes de soleil et un petit dictaphone, puis jette un coup d’œil rapide en se retournant vers la banquette arrière. Dans son rétroviseur central il voit le vide à l’arrière de la voiture. Il est le seul conducteur à cette heure, aussi loin que porte le regard sur les lignes droites devant et derrière lui, le seul à descendre le couloir d’autoroute et le cours du temps. Il passe. Le paysage est mobile comme un train d’images. Les grands portiques se rapprochent, les panneaux bleus, les panneaux blancs, les panneaux verts, les directions lointaines, Montpellier, Toulouse, Perpignan, ou étrangères, Barcelone, Andorre. Il dépasse des aires de repos, des stations-services. Il dépasse des véhicules de sécurité garés sur la bande d’arrêt d’urgence. Des messages lumineux en lettres jaunes brillent dans la brume, au dessus des voies. Il voit ces mots sans trop les lire, sans y prêter attention, il n’a plus de destination, il se décide aux embranchements, au hasard, au dernier moment, allant tout droit, ou sur la droite, ou sur la gauche.
Il y a eu un blanc presque imperceptible après la chanson de Chris Rea, un minuscule temps d’arrêt, comme un spasme, après The road to hell, puis une voix vulgaire d’animateur a retenti avant qu’il n’arrête l’autoradio. Il n’y a plus que le bourdonnement régulier du moteur, une sorte de silence lesté d’un léger bruit de fond, familier. Depuis combien de temps est-il parti ? La mémoire hésite, elle n’a plus de repère. L’autoroute n’a pas de début et pas de fin, pas de centre, à peine un plan, un fil rouge sur les cartes routières comme des artères de sang, juste des circuits reliés à d’autres circuits, des voies entrelacées qui composent un infini réseau, tout est pareil, équivalent, équidistant, les voies sont toujours offertes, les stations sont toujours ouvertes, la semaine, le dimanche, les jours fériés, les employés se relaient, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la nuit est animée comme le jour, illuminée. Depuis combien de temps a-t-il quitté la ville ? Quelques semaines, peut-être, un mois, deux mois, qu’importe. Les journées se confondent. Le passé n’est plus qu’un espace incertain, une plage instable. Il va devant lui, sans regarder en arrière, il s’en va vers l’hiver. Depuis le début de sa course il a vu nettement les jours raccourcir ; inexorablement la nuit a gagné ; à force de rouler il lui semble chaque soir être passé de l’autre côté du monde, dans l’hémisphère sombre. Et même dans la journée la lumière a quelque chose de plus lourd, et de voilé.
La voiture suit sa voie tracée à vitesse régulière, toute en courbes dans l’espace. Elle est belle. Il aime ses formes, son profil, ses rondeurs de vaisseau spatial. Elle est faite pour le mouvement, pour le continu du voyage, conçue pour déplacer un être à la surface de la terre ferme, sur la rotondité du globe, sur un ruban d’asphalte à l’infini.
La voiture est grande et confortable. Elle offre, si l’on se réfère à la notice descriptive gardée dans la boîte à gants, cinq places assises et un coffre d’une grande capacité, conformément à sa vocation de berline familiale. Sa carrosserie aux lignes douces est d’un gris plutôt clair, terni par la poussière accumulée des jours. Les vitres sont sales aussi, à l’exception d’une zone du pare-brise où les essuie-glaces ont décrit deux éventails transparents. A l’arrière gauche, on lit « Renault » ; à l’arrière droit, « Laguna ». Entre les deux, au centre exact de la largeur du coffre, un losange d’argent, logo de la marque, troué en son centre d’un autre losange d’un gris indéfinissable et voilé de poussière, un grain de gris aussi indistinct que l’infini. Elle a un moteur diesel, son bruit feutré accompagne la conduite. Elle fonctionne sans aucun incident. Comme un corps qui ne serait jamais malade, un cœur qui ne s’arrêterait pas. Il suffit de remettre du carburant quand le réservoir - d’une contenance de soixante-dix litres - est presque vide ; en gardant une allure douce et constante on parvient à couvrir mille kilomètres avec un plein de gas-oil. Après avoir quitté la station-service, il aime voir l’aiguille de la jauge bloquée au plus haut du témoin, il aime avoir cette réserve qui le rassure, savoir qu’il pourra rouler loin, longtemps.
Des panneaux successifs annoncent une aire de repos : deux mille, mille, trois cents mètres. Une lettre P dans un carré bleu ; à côté, un pictogramme représentant une table et un sapin. Il actionne son clignotant droit et s’engage sur la voie d’accès. L’endroit est désert, battu par le vent. Il gare sa voiture devant le bloc de béton des toilettes, coupe le moteur, reste un long moment, les avant-bras sur le volant, la tête sur les avant-bras, les yeux fermés, immobile. Puis il descend, verrouille les portes d’une pression sur le côté de la clé. Le froid le surprend et le fait tressaillir. Il ferme les boutons de sa chemise grise, remonte la fermeture éclair de son blouson de toile, ses vêtements ne sont plus assez chauds pour la saison. Sur le parking vide il marche de long en large, sur le goudron noir et les allées de ciment, sur les emplacements tracés pour le stationnement des automobiles, sur les lignes blanches un peu effacées, puis sur le talus d’herbe rare tout autour ; il rejoint le grillage final marquant la limite de l’aire, une haute clôture qui court tout le long de l’autoroute et retient captifs véhicules et passagers. Ses mains agrippent les larges carrés de fil de fer gris argent, se crispent comme sur les barreaux d’une cage. Il repart en sens inverse. Il marche pour sentir le sang circuler dans ses jambes, le vent fouetter sa tête, le vider de toutes ses idées, des images accumulées. Pendant près d’une heure il va, revient sur ses pas, traverse l’espace en fermant à demi les yeux, réduisant son regard à une fente, une meurtrière horizontale d’où il voit les courbes de la montagne basse, à l’ouest, au loin, de l’autre côté de l’autre voie. Puis, se retournant vers l’est, il découvre le même relief. L’aire se trouve au cœur d’un cirque de collines, où la percée de l’autoroute en son diamètre est le seul passage, la seule ligne d’échappée. Il remonte dans sa voiture. Le vent s’éteint. Le bruit familier du moteur est une présence rassurante. Il reprend son errance.
A la sortie de l’aire, au bout de la bretelle qui se jette dans le fleuve noir à triple voie, un panneau rouge et blanc en forme de triangle pointe en bas rappelle : CEDEZ LE PASSAGE. Il réintègre sans difficulté le circuit machinal des voitures, il vient grossir le flot, et le nombre ; il est happé et digéré par la file vrombissante. Ensuite il n’y a plus qu’à suivre le mouvement, sans excès de vitesse, en ne dépassant que les véhicules anormalement lents, ceux qui freinent le rythme de sa pensée, de sa rêverie. Il a tout le temps devant lui, et une souveraine absence de destination qui ouvre tout l’espace autoroutier et fait de la distance un océan sans limite.
L’autoroute se déploie, infini ruban recommencé, réserve inépuisable de kilomètres, circuit d’errance où il oublie la marche et le reste du monde. Elle est devenue son milieu naturel. L’immense ramification n’a pas de point de départ ni d’arrivée, ni d’origine ni de fin, seulement des milliers de points d’entrée et de sortie, des milliers de points intermédiaires. Les kilomètres passent, en continu, sur la droite et sur la gauche comme deux pans de manèges symétriques, il a l’impression d’être immobile dans un tunnel à ciel ouvert, dans un couloir d'autoroute qui file d’avant en arrière de son corps, comme dans ces très vieux films où les acteurs font semblant de conduire, statiques devant un décor d’écran qui bouge.
La conduite est facile, les voies se déroulent devant lui, droites, ou en courbes larges et relevées, entre les glissières de sécurité. Il a peu de choses à faire, en somme. Tenir le volant d’une main légère. Laisser le pied droit sur la pédale d’accélérateur, à mi-course. Garder l’axe de son regard sur les voies noires matérialisées par des lignes blanches continues ou discontinues. Donner un coup d’œil furtif dans les rétroviseurs. Actionner son clignotant et doubler les camions, les norias de camions qui remontent des pays frontaliers. Suivre les panneaux indicateurs, les directions fléchées, les noms de destinations en grandes lettres majuscules blanches sur fond bleu. Cela se fait d’une manière machinale, presque automatique. Cette conduite est différente de celle de la ville, où il devait rester constamment vigilant, sur ses gardes, les sens en éveil, inquiet sur sa gauche et sur sa droite. Il n’aimait pas conduire par les rues, les avenues, ou emprunter le boulevard de ceinture qui délimitait la banlieue de l’est. Il détestait les intersections, les carrefours, les ronds-points, les priorités. Sur l’autoroute, comme si la voiture allait toute seule, il suit le mouvement, tournant à peine le volant, sans rétrograder les vitesses. Son attention est légère, quasi flottante. En ce mois de l’année, en cette saison de jours déclinants, la circulation est moins intense. Les vacanciers n’encombrent plus les grands axes. Il n’y a presque pas d’embouteillages, presque pas de ralentissements. On peut maintenir une allure régulière, une sorte de vitesse de croisière comme les bateaux à moteur sur la mer qui ne rencontrent pas d’obstacle ou comme les navettes dans le pur espace. Le temps avance d’un pas égal, d’un mouvement circulaire sur sa droite, couvrant toute la roue des graduations de un à douze sur la petite horloge du tableau de bord ; l’espace défile au même rythme. L’aiguille du compteur reste fixée sur cent vingt kilomètres à l’heure.
Ici, l’espace et le temps se déroulent ensemble, l’un mesure l’autre avec fiabilité. Et c’est peut-être ce double mouvement, la perfection de leur rapport qui libère la pensée, qui lui ouvre un champ immense et l’accélère. Des phrases traversent sa tête. Des bribes d’histoires, des histoires brisées. Ou des souvenirs qui se télescopent. Des apparitions, des fantômes. Il voit des bouts de films, des rushes de sa vie, des promesses, des échecs, des renoncements, des rêves qui n’ont jamais été montés, ou dans un ordre différent. Tout se mélange, se superpose. Jamais il n’a eu autant d’images dans sa tête, autant d’idées, autant de fulgurances. Il devient lourd, saturé. Les mots se pressent derrière ses lèvres. Il saisit le dictaphone posé sur le siège du passager. L’appareil se déclenche au son de la voix. Il parle. Il dit une phrase qui lui traverse l’esprit, avant qu’elle ne disparaisse de son champ mental, il la répète sous plusieurs formes, cherchant la meilleure, la plus juste. Il peut suivre sa pensée à son rythme exact, sans rien en perdre, sans être freiné par le processus laborieux et lent de l’écriture. Et pendant de longues minutes, sur il ne saurait dire combien de kilomètres, jusqu’à l’irruption d’un poste de péage, il continue à voix haute, roulant à faible allure, tenant le volant de la main gauche, le dictaphone de la droite.
18:35 Publié dans Textes et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture, roman
mardi, 23 octobre 2007
Prix de la Nouvelle d'Angers 2008
Un concours intéressant puisqu'il prévoit l'édition du recueil du lauréat...
Règlement
1. L’association Nouvelles R et la Revue Harfang en partenariat avec la Mairie d’Angers, l’association Le Chant des Mots et les éditions Siloë organisent tous les 2 ans un concours de nouvelles qui a pour but de récompenser et de diffuser un recueil inédit d’un auteur contemporain.
2. Ce concours est ouvert à tous les auteurs francophones, résidant en France ou à l’étranger, qui devront présenter un recueil original, non édité et libre de tous droits. Le sujet est libre, dans tous les genres.
3. Chaque candidat adressera son recueil comportant 7 nouvelles et plus, sur 80 pages maximum, en 3 exemplaires dactylographiés en double interligne (1500 signes par page) paginés et reliés, sans autre mention que le titre et un code de 3 lettres suivies de 3 chiffres, ex : ABC 123) pour préserver l’anonymat.
4. Chaque envoi sera accompagné :
- d’une fiche de participation, dactylographiée, au format A4 indiquant nom, prénom, adresse, téléphone, titre du recueil et code choisi par l’auteur ;
- d’un chèque de 10 Euros pour les frais de poste et de dossier (à l’ordre de l’association Nouvelles R ou de la revue Harfang)
Les textes ne seront pas retournés à leurs auteurs : les organisateurs s’engagent à les détruire après les délibérations.
5. Les envois sont à adresser entre le 1 janvier 2008 et le 15 mars 2008, date limite (tarif normal, non recommandé, cachet de la poste faisant foi) à :
Prix de la Nouvelle d’Angers 2008
13 bis avenue Vauban
49000 Angers
6. Le recueil primé sera publié (intégralement ou dans une version remaniée en accord avec l’auteur et en fonction des besoins éditoriaux) dans la collection « îlot » par les éditions Siloë qui en assureront la diffusion.
La remise du prix aura lieu à Angers en octobre 2008 en présence du lauréat, à une date précisée ultérieurement. Tous les participants seront informés du palmarès et recevront un exemplaire du recueil primé.
7. Le jury sera composé des membres habituels du Comité de lecture de la revue et de professionnels du livre : écrivains nouvellistes, éditeurs, journalistes, bibliothécaires, libraires. Les décisions du jury seront sans appel.
8. La participation au concours implique l’acceptation totale du présent règlement. Les organisateurs se réservent le droit d’en modifier les termes ou d’annuler le concours si des partenaires se retiraient du projet ou si des circonstances extérieures les y contraignaient.
12:13 Publié dans Annexes et dépendances | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, culture, revue
jeudi, 18 octobre 2007
Le 17e salon de la revue
vendredi 19 octobre de 21h à 23h,
samedi 20 octobre de 10h à 20h
et dimanche 21 octobre de 10h à 19h30
à l'Espace d'animation des Blancs-Manteaux,
48, rue Vieille-du-Temple, 75004 Paris
Liste des exposants et programme des manifestations sur le site d'Entrevues.
07:32 Publié dans Annexes et dépendances | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, culture, revues, salon de la rvue
lundi, 15 octobre 2007
Safêlivre
L’Oie plate (qui a pris la succession du Calcre) propose aux auteurs un ensemble de guides pratiques pour publier et diffuser leurs oeuvres. Après les annuaires Audace (éditeurs) et Arlit (revues littéraires), voici que paraît la 4e édition du guide Safêlivre, réalisé par André Muriel, dans la collection dirigée par Roger Gaillard.
Organisé en fiches pratiques d’une demi-page, cet annuaire recense plus de 500 salons et fêtes du livre. Outre que cela représente 150 fiches supplémentaires par rapport à l’édition précédente, l’amélioration principale réside dans la double enquête de terrain qui a été faite. Les données pratiques (lieux, dates, références de l’organisateur, participants, nombre de visiteurs, animations prévues) se trouvent plus abondantes, et l’avis critique plus circonstancié, avec les objectifs du salon et le prix du stand. Là où internet ne donne qu’une dispersion des informations, sans regard critique, Safêlivre propose dans un seul ouvrage une somme classée (avec de multiples entrées possibles, par département, ville, genre, date) et commentée. Enfin, figure une liste des prix et concours remis à l’occasion de ces manifestations.
« Les salons sont en train de remplacer les fêtes votives dans maintes communes. La France semble atteinte depuis deux décennies de « salonnite aigüe ». Si le livre et la lecture résistent à la concurrence de l’audiovisuel, c’est aussi grâce à toutes ces manifestations qui les mettent au premier plan. », nous affirme l’auteur du guide. Si mon expérience décevante d’auteur peu connu m’amène à relativiser un peu l'optimisme de ces propos (il faut avoir vécu la galère d’une participation à un salon du livre où l’on reste deux jours derrière une table, dans un hall ou sous un chapiteau glacial et traversé de courants d’air, sans vendre un seul livre !), il est vrai que les petits éditeurs ont tout intérêt à participer à de tels salons, soit directement avec leurs titres, soir en encourageant un auteur local à s’inscrire. Car la petite édition a de plus en plus de mal à trouver sa diffusion. Refusés par les diffuseurs qui privilégient les grosses structures pour des raisons économiques, refusés ou négligés par les libraires qui sont harcelés de demandes tout en étant envahis par les offices des grandes maisons, les petits éditeurs (ou les auteurs auto-édités) voient dans ces fêtes une occasion d’accroître leur visibilité et leur notoriété. Un tel ouvrage pratique, sérieux et documenté, leur sera d’un grand secours pour organiser leur politique de diffusion.
Safêlivre, guide des salons et fêtes du livre, par André Muriel, éditions L’Oie plate, 43 €. www.loieplate.com
07:30 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, culture, safelivre, salon du livre
samedi, 13 octobre 2007
Le site de La Presse Littéraire
Joseph Vebret vient d'ouvrir le site de La Presse Littéraire.
"Quant aux auteurs de la revue, que forment-ils ? Un groupe, un cercle, une bande, un réseau ? On pourrait parler de mouvance ; Gide préférait le mot « circuit » qui suggère bien l’existence de cercles concentriques et communiquant.
La presse Littéraire entend modestement, et à son niveau, se positionner comme un lieu de passages et de convergences, voire même de divergences profondes. Elle se revendique ouverte, tolérante, nécessairement subjective, passionnée, sans ligne préétablie et sclérosante, mais avec une ambition : donner à voir et à penser."
10:00 Publié dans Annexes et dépendances, Revues littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, culture, revue
mercredi, 10 octobre 2007
Le Procope
Le Procope, devenu aujourd’hui un restaurant, est le plus vieux café de Paris. Créé en 1686 par Francesco Procopio, cet établissement est un haut lieu de mémoire de la littérature et de l’histoire politique de notre pays. Une brochure, vendue sur place, retrace ses plus riches heures et ses clients illustres.
Francesco Procopio Dei Coltelli (qui obtiendra ensuite la nationalité française et pourra franciser son nom en François Procope Couteau), né en Sicile en 1650, ouvre à Paris, au 13 rue de l’Ancienne Comédie, un café-glacier où l’on peut déguster le café, nouvelle boisson très à la mode, ainsi que des alcools fins et des sorbets, dans un cadre agréable et raffiné alors que n’existaient dans la capitale que des tavernes.
L’installation de la Comédie-Française dans la même rue en 1689 attira la clientèle du monde du spectacle et les intellectuels. On se rendait au Procope pour voir et être vu, échanger des idées, lire les nouvelles (La Gazette, Le Mercure Galant) que le maïtre de maison affichait sur le tuyau de poêle.
Au cours des siècles, l’établissement vit défiler un nombre impressionnant de personnalités littéraires et politiques :
La Fontaine, puis Racine, Regnard, Le Sage, Crébillon père ;
Voltaire, qui affirma qu’au Procope, « seul l’esprit tenait lieu de carton d’invitation », Diderot, d’Alembert, Jean-Jacques Rousseau ;
Benjamin Franklin, dont on affirme qu’il y écrivit une grande partie de la Constitution américaine ;
Les révolutionnaires Danton, Marat, Fabre d’Eglantine, Camille Desmoulins, Robespierre, Hébert ;
Bonaparte ;
Alfred de Musset, George Sand, Victor Hugo, Théophile Gautier, Honoré de Balzac ;
Gambetta ;
Verlaine, Huysmans, Oscar Wilde, Anatole France.
Sur les murs de l’une des salles, se trouve reproduite la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les portes des « commodités » portent les mentions « citoyens » et « citoyennes ». Le Procope est aujourd’hui un bon restaurant, à l’excellent accueil, où l’on peut déguster quelques spécialités (Tête de veau en cocotte comme en 1686, Coq au vin, Poule au pot, poissons...) dans un cadre superbe et chargé d’émotion.
Brochure « Le Procope – Si Procope m’était conté ou 3 siècles d’histoire », édition 2006, 5 euros.
Le Procope, 13 rue de l’Ancienne Comédie, 75006 Paris. Tél : 01 40 46 79 00 . www.procope.com
18:40 Publié dans Cafés littéraires | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, culture, café littéraire, procope
jeudi, 04 octobre 2007
Rencontre avec Christian Cottet-Emard
Christian Cottet-Emard a accepté de répondre à quelques-unes des questions que j'avais envie depuis longtemps de lui poser, car je suis son oeuvre avec beaucoup d'intérêt (voir ma chronique sur son dernier roman, Le club des pantouflards). Je renvoie pour sa bibliographie à son blog et à son site personnel.
Après un premier roman remarqué (Le club des pantouflards, chez Nykta), mélange détonnant d'humour et de fantastique, quels sont tes projets romanesques ?
En dehors des nouvelles qu'il faut écrire très vite au moment où s'en imposent les sujets, je travaille toujours sur plusieurs chantiers romanesques. Une série de courts romans dans la lignée du Club des pantouflards puisqu'on m'encourage à poursuivre dans cette voie, un roman dont les chapitres sont constitués de nouvelles qui peuvent se lire séparément et un roman humoristique pour me détendre. Je serais très fier de réussir un vrai roman d¹humour. Je suis sur certains chantiers depuis des années et depuis quelques mois seulement sur d'autres. Ayant bénéficié d'une bourse du Centre National du Livre, je me concentre sur le projet que j'ai présenté pour l'obtenir (la série dans la lignée du Club des pantouflards).
Ainsi résumé, tout cela a l'air de partir dans tous les sens mais il existe une véritable unité. Je me sens un peu comme un organiste qui cherche le bon registre. Dès lors, j'accélère un chantier ou un autre en fonction des opportunités de publication qui peuvent se présenter.
La poésie reste l'un de tes modes d'expression privilégiés, et constants dans le temps. Mais par ailleurs, tu écris des nouvelles, des romans, des proses courtes. Prose, poésie, comment coexistent ces deux écritures en toi ?
Je ne suis pas dans le même état psychique et physique selon que j'écris de la prose ou de la poésie. C'est un rapport au monde complètement différent. Mais il peut arriver que ces deux écritures se rapprochent, comme deux rivières allant vers leur confluent. Cela s'est manifesté lorsque j'ai écrit Le Grand variable, expérience au cours de laquelle prose et poésie semblaient vouloir s'aimanter sans cesse. De toute façon, même si je travaille en priorité sur mes chantiers romanesques pour être lu, je reviens toujours, pour le plaisir, à la poésie car elle est le seul espace de liberté qui reste, non seulement en raison de sa désormais totale déconnexion du « marché » de l'édition mais aussi en raison de l'effritement de toutes ses règles. La poésie est aujourd'hui un merveilleux champ de ruines où tout peut recommencer.
Il me semble remarquer une évolution de ta poésie, vers des thèmes plus proches du quotidien. Ressens-tu aussi une évolution, et quels sont les auteurs qui t'influencent ?
Lorsque j'ai commencé à publier de la poésie dans des revues, dans les années 1980, j'étais un jeune homme svelte et j'écrivais des poèmes sveltes. Je recherchais surtout la fluidité, la musicalité, qui ont fini par brider mon expression poétique. J'ai regretté toute ma vie de n'avoir pas pu devenir musicien, compositeur. J'ai dû attendre de franchir la quarantaine pour accepter l'idée que la poésie ne pouvait rivaliser avec la musique. Quant au quotidien qui me pose problème en permanence, je ne me serais jamais autorisé à lui ouvrir la porte de ma poésie. Résultat des courses, je ne suis plus tout à fait un jeune homme svelte, je ne serai jamais compositeur et le quotidien, ce grossier personnage à qui je refusais d'ouvrir la porte, est entré par la fenêtre. Alors, je tente aujourd'hui d'incorporer des éléments du quotidien dans des vers très longs, étiolés, qui s'étendent jusqu'à former de petites sections de prose. Au début de cette expérience, je trouvais le résultat très laid d'un point de vue visuel, typographique, mais l'effet parodique, décalé (c'est le cas de le dire) me plaît bien. Je ne souhaite pas pour autant rentrer dans le rang des poètes du quotidien car cela signifierait, au moins pour moi, que ce quotidien ennemi de tout élan vital et créatif aurait gagné la guerre ! Ce que j'essaie de faire avec cet adversaire sournois, c'est de le jeter dans de longs textes où, bien malmené, ballotté comme un galet ou du bois mort dans un torrent, il pourra peut-être de nouveau faire sens (car le quotidien tel que nous le subissons et tel qu'il est célébré par des poètes au ras des pâquerettes n'a, à mon avis, pas beaucoup d'intérêt). Je creuse aujourd'hui ce sillon mais je ne sais pas si l'on peut parler d¹une évolution. Ce n'est peut-être rien d'autre qu'un mouvement d¹humeur, une réaction contre les crises de formalisme stérile qui conduisent régulièrement, depuis les années 1970 la poésie, notamment la poésie française, dans des impasses. Pour échapper à cette atmosphère confinée, je puise de grands bols d'air chez Breton, Borgès, Auden, Ungaretti, Carver, Pessoa, mais aussi dans la poésie portugaise contemporaine dont l'anthologie parue dans la collection Poésie / Gallimard souligne l'étonnante vitalité.
Dans ton feuilleton "Tu écris toujours ?", dont certains extraits paraissent dans Le magazine des livres, tu te mets en scène avec une part d'autodérision, cultivant un regard mi-désabusé mi-ironique sur le monde de l'édition et sur les auteurs. Que penses-tu de la comédie littéraire qui se joue chaque année, entre la rentrée, les prix et les transferts d'auteurs ?
« Tu écris toujours » est un petit divertissement. Rien ne m'horripile autant que l'esprit de sérieux. « Toujours trop sérieux n¹est pas très sérieux » disait le grand auteur africain Amadou Hampâté Bâ. Or, la société tout entière plonge à nouveau dans l'esprit de sérieux et le monde des Lettres n'échappe pas à cette nouvelle crise de solennité. Beaucoup d'auteurs cherchent à se prévaloir de « professionnalisme », sans doute par peur d'être exclus du grand bazar de l'édition. Je peux comprendre cette angoisse de ne pas être intégré à un système qui pousse à rouler les mécaniques mais j'ai toujours pensé qu'un artiste, en particulier un écrivain, est précisément le contraire d'un professionnel. Ce cirque autour de la rentrée littéraire, des prix et des transferts d'auteurs, ça sent l'industrie, l'entreprise, le chiffre, toutes choses qui ne concernent la création littéraire qu'au moment où elle s'en saisit pour en faire de la littérature ou pour les affronter.
Même si l'on vit pour écrire, écrire ne permet pas souvent de vivre (au sens matériel du terme). Comment ressens-tu cette difficulté ? As-tu réussi à concilier dans certaines périodes de ta vie travail salarié et création littéraire ?
Je n'ai jamais pu concilier la création littéraire et quoi que ce soit. Je ressens cela comme une guerre de tranchée sans fin. Qu'on ne puisse pas gagner sa vie en faisant oeuvre littéraire alors qu'on peut gagner sa vie en tapant dans un ballon, en vociférant dans un micro, en fabriquant à la chaîne des saletés en plastique ou des mines antipersonnel, c'est bien triste mais c'est ainsi dans l'hémisphère Nord et ce sera peut-être ainsi bientôt sur la Terre entière si nous ne réagissons pas vigoureusement... Nous vivons dans une société très morne, celle du gâchis de talent, de créativité, dans laquelle finalement, personne n'est à sa place. Mais c'est peut-être aussi pour cette raison que résiste la littérature, de plus en plus absurde dans un monde réduit à l'économisme, telle une plante rudérale, une fleur de décombres.
Tu as investi le web avec un blog littéraire très apprécié "Cuisine et dépendances". Vois-tu un bénéfice d'internet en terme de reconnaissance et d'audience, et cette pratique du blog a-t-elle une influence sur ton écriture ?
Pour moi, tenir un blog est une petite manie innocente, pas sérieuse, même si j'y parle parfois de choses sérieuses. Le blog, j'en donnerais aujourd'hui, en bientôt trois ans d¹exercice dont je n'ai tiré que des bénéfices, la même définition que celle que j'avais proposée au début à Anne Crignon qui m'avait interviewé pour le Nouvel Observateur : une sorte de salon où l'on cause et où l'on se construit un réseau tout en restant chez soi. Pour moi qui vis très retiré, c'est pratique pour échanger avec des lecteurs, d'autres auteurs, voire pour publier sans être obligé de s'intégrer à un groupe qui impose toujours plus ou moins des rites de passage. Sur internet, on prend ou on jette, on lit ou on ne lit pas. La reconnaissance, c'est le lecteur qui ne juge que le texte. L¹audience, c'est lorsqu'il revient avec des amis quand il est content. Le blog, contrairement aux revues, permet de mesurer soi-même cela avec des statistiques. Celles-ci semblent me sourire mais j'ai bien conscience des limites de cet outil qui n'influence pas mon écriture puisqu'il s'agit d'un simple support, certes plus souple que le papier mais beaucoup plus volatil.
18:55 Publié dans Rencontres avec | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, culture, Cottet-Emard