mercredi, 10 octobre 2007
Le Procope
Le Procope, devenu aujourd’hui un restaurant, est le plus vieux café de Paris. Créé en 1686 par Francesco Procopio, cet établissement est un haut lieu de mémoire de la littérature et de l’histoire politique de notre pays. Une brochure, vendue sur place, retrace ses plus riches heures et ses clients illustres.
Francesco Procopio Dei Coltelli (qui obtiendra ensuite la nationalité française et pourra franciser son nom en François Procope Couteau), né en Sicile en 1650, ouvre à Paris, au 13 rue de l’Ancienne Comédie, un café-glacier où l’on peut déguster le café, nouvelle boisson très à la mode, ainsi que des alcools fins et des sorbets, dans un cadre agréable et raffiné alors que n’existaient dans la capitale que des tavernes.
L’installation de la Comédie-Française dans la même rue en 1689 attira la clientèle du monde du spectacle et les intellectuels. On se rendait au Procope pour voir et être vu, échanger des idées, lire les nouvelles (La Gazette, Le Mercure Galant) que le maïtre de maison affichait sur le tuyau de poêle.
Au cours des siècles, l’établissement vit défiler un nombre impressionnant de personnalités littéraires et politiques :
La Fontaine, puis Racine, Regnard, Le Sage, Crébillon père ;
Voltaire, qui affirma qu’au Procope, « seul l’esprit tenait lieu de carton d’invitation », Diderot, d’Alembert, Jean-Jacques Rousseau ;
Benjamin Franklin, dont on affirme qu’il y écrivit une grande partie de la Constitution américaine ;
Les révolutionnaires Danton, Marat, Fabre d’Eglantine, Camille Desmoulins, Robespierre, Hébert ;
Bonaparte ;
Alfred de Musset, George Sand, Victor Hugo, Théophile Gautier, Honoré de Balzac ;
Gambetta ;
Verlaine, Huysmans, Oscar Wilde, Anatole France.
Sur les murs de l’une des salles, se trouve reproduite la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les portes des « commodités » portent les mentions « citoyens » et « citoyennes ». Le Procope est aujourd’hui un bon restaurant, à l’excellent accueil, où l’on peut déguster quelques spécialités (Tête de veau en cocotte comme en 1686, Coq au vin, Poule au pot, poissons...) dans un cadre superbe et chargé d’émotion.
Brochure « Le Procope – Si Procope m’était conté ou 3 siècles d’histoire », édition 2006, 5 euros.
Le Procope, 13 rue de l’Ancienne Comédie, 75006 Paris. Tél : 01 40 46 79 00 . www.procope.com
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jeudi, 04 octobre 2007
Rencontre avec Christian Cottet-Emard
Christian Cottet-Emard a accepté de répondre à quelques-unes des questions que j'avais envie depuis longtemps de lui poser, car je suis son oeuvre avec beaucoup d'intérêt (voir ma chronique sur son dernier roman, Le club des pantouflards). Je renvoie pour sa bibliographie à son blog et à son site personnel.
Après un premier roman remarqué (Le club des pantouflards, chez Nykta), mélange détonnant d'humour et de fantastique, quels sont tes projets romanesques ?
En dehors des nouvelles qu'il faut écrire très vite au moment où s'en imposent les sujets, je travaille toujours sur plusieurs chantiers romanesques. Une série de courts romans dans la lignée du Club des pantouflards puisqu'on m'encourage à poursuivre dans cette voie, un roman dont les chapitres sont constitués de nouvelles qui peuvent se lire séparément et un roman humoristique pour me détendre. Je serais très fier de réussir un vrai roman d¹humour. Je suis sur certains chantiers depuis des années et depuis quelques mois seulement sur d'autres. Ayant bénéficié d'une bourse du Centre National du Livre, je me concentre sur le projet que j'ai présenté pour l'obtenir (la série dans la lignée du Club des pantouflards).
Ainsi résumé, tout cela a l'air de partir dans tous les sens mais il existe une véritable unité. Je me sens un peu comme un organiste qui cherche le bon registre. Dès lors, j'accélère un chantier ou un autre en fonction des opportunités de publication qui peuvent se présenter.
La poésie reste l'un de tes modes d'expression privilégiés, et constants dans le temps. Mais par ailleurs, tu écris des nouvelles, des romans, des proses courtes. Prose, poésie, comment coexistent ces deux écritures en toi ?
Je ne suis pas dans le même état psychique et physique selon que j'écris de la prose ou de la poésie. C'est un rapport au monde complètement différent. Mais il peut arriver que ces deux écritures se rapprochent, comme deux rivières allant vers leur confluent. Cela s'est manifesté lorsque j'ai écrit Le Grand variable, expérience au cours de laquelle prose et poésie semblaient vouloir s'aimanter sans cesse. De toute façon, même si je travaille en priorité sur mes chantiers romanesques pour être lu, je reviens toujours, pour le plaisir, à la poésie car elle est le seul espace de liberté qui reste, non seulement en raison de sa désormais totale déconnexion du « marché » de l'édition mais aussi en raison de l'effritement de toutes ses règles. La poésie est aujourd'hui un merveilleux champ de ruines où tout peut recommencer.
Il me semble remarquer une évolution de ta poésie, vers des thèmes plus proches du quotidien. Ressens-tu aussi une évolution, et quels sont les auteurs qui t'influencent ?
Lorsque j'ai commencé à publier de la poésie dans des revues, dans les années 1980, j'étais un jeune homme svelte et j'écrivais des poèmes sveltes. Je recherchais surtout la fluidité, la musicalité, qui ont fini par brider mon expression poétique. J'ai regretté toute ma vie de n'avoir pas pu devenir musicien, compositeur. J'ai dû attendre de franchir la quarantaine pour accepter l'idée que la poésie ne pouvait rivaliser avec la musique. Quant au quotidien qui me pose problème en permanence, je ne me serais jamais autorisé à lui ouvrir la porte de ma poésie. Résultat des courses, je ne suis plus tout à fait un jeune homme svelte, je ne serai jamais compositeur et le quotidien, ce grossier personnage à qui je refusais d'ouvrir la porte, est entré par la fenêtre. Alors, je tente aujourd'hui d'incorporer des éléments du quotidien dans des vers très longs, étiolés, qui s'étendent jusqu'à former de petites sections de prose. Au début de cette expérience, je trouvais le résultat très laid d'un point de vue visuel, typographique, mais l'effet parodique, décalé (c'est le cas de le dire) me plaît bien. Je ne souhaite pas pour autant rentrer dans le rang des poètes du quotidien car cela signifierait, au moins pour moi, que ce quotidien ennemi de tout élan vital et créatif aurait gagné la guerre ! Ce que j'essaie de faire avec cet adversaire sournois, c'est de le jeter dans de longs textes où, bien malmené, ballotté comme un galet ou du bois mort dans un torrent, il pourra peut-être de nouveau faire sens (car le quotidien tel que nous le subissons et tel qu'il est célébré par des poètes au ras des pâquerettes n'a, à mon avis, pas beaucoup d'intérêt). Je creuse aujourd'hui ce sillon mais je ne sais pas si l'on peut parler d¹une évolution. Ce n'est peut-être rien d'autre qu'un mouvement d¹humeur, une réaction contre les crises de formalisme stérile qui conduisent régulièrement, depuis les années 1970 la poésie, notamment la poésie française, dans des impasses. Pour échapper à cette atmosphère confinée, je puise de grands bols d'air chez Breton, Borgès, Auden, Ungaretti, Carver, Pessoa, mais aussi dans la poésie portugaise contemporaine dont l'anthologie parue dans la collection Poésie / Gallimard souligne l'étonnante vitalité.
Dans ton feuilleton "Tu écris toujours ?", dont certains extraits paraissent dans Le magazine des livres, tu te mets en scène avec une part d'autodérision, cultivant un regard mi-désabusé mi-ironique sur le monde de l'édition et sur les auteurs. Que penses-tu de la comédie littéraire qui se joue chaque année, entre la rentrée, les prix et les transferts d'auteurs ?
« Tu écris toujours » est un petit divertissement. Rien ne m'horripile autant que l'esprit de sérieux. « Toujours trop sérieux n¹est pas très sérieux » disait le grand auteur africain Amadou Hampâté Bâ. Or, la société tout entière plonge à nouveau dans l'esprit de sérieux et le monde des Lettres n'échappe pas à cette nouvelle crise de solennité. Beaucoup d'auteurs cherchent à se prévaloir de « professionnalisme », sans doute par peur d'être exclus du grand bazar de l'édition. Je peux comprendre cette angoisse de ne pas être intégré à un système qui pousse à rouler les mécaniques mais j'ai toujours pensé qu'un artiste, en particulier un écrivain, est précisément le contraire d'un professionnel. Ce cirque autour de la rentrée littéraire, des prix et des transferts d'auteurs, ça sent l'industrie, l'entreprise, le chiffre, toutes choses qui ne concernent la création littéraire qu'au moment où elle s'en saisit pour en faire de la littérature ou pour les affronter.
Même si l'on vit pour écrire, écrire ne permet pas souvent de vivre (au sens matériel du terme). Comment ressens-tu cette difficulté ? As-tu réussi à concilier dans certaines périodes de ta vie travail salarié et création littéraire ?
Je n'ai jamais pu concilier la création littéraire et quoi que ce soit. Je ressens cela comme une guerre de tranchée sans fin. Qu'on ne puisse pas gagner sa vie en faisant oeuvre littéraire alors qu'on peut gagner sa vie en tapant dans un ballon, en vociférant dans un micro, en fabriquant à la chaîne des saletés en plastique ou des mines antipersonnel, c'est bien triste mais c'est ainsi dans l'hémisphère Nord et ce sera peut-être ainsi bientôt sur la Terre entière si nous ne réagissons pas vigoureusement... Nous vivons dans une société très morne, celle du gâchis de talent, de créativité, dans laquelle finalement, personne n'est à sa place. Mais c'est peut-être aussi pour cette raison que résiste la littérature, de plus en plus absurde dans un monde réduit à l'économisme, telle une plante rudérale, une fleur de décombres.
Tu as investi le web avec un blog littéraire très apprécié "Cuisine et dépendances". Vois-tu un bénéfice d'internet en terme de reconnaissance et d'audience, et cette pratique du blog a-t-elle une influence sur ton écriture ?
Pour moi, tenir un blog est une petite manie innocente, pas sérieuse, même si j'y parle parfois de choses sérieuses. Le blog, j'en donnerais aujourd'hui, en bientôt trois ans d¹exercice dont je n'ai tiré que des bénéfices, la même définition que celle que j'avais proposée au début à Anne Crignon qui m'avait interviewé pour le Nouvel Observateur : une sorte de salon où l'on cause et où l'on se construit un réseau tout en restant chez soi. Pour moi qui vis très retiré, c'est pratique pour échanger avec des lecteurs, d'autres auteurs, voire pour publier sans être obligé de s'intégrer à un groupe qui impose toujours plus ou moins des rites de passage. Sur internet, on prend ou on jette, on lit ou on ne lit pas. La reconnaissance, c'est le lecteur qui ne juge que le texte. L¹audience, c'est lorsqu'il revient avec des amis quand il est content. Le blog, contrairement aux revues, permet de mesurer soi-même cela avec des statistiques. Celles-ci semblent me sourire mais j'ai bien conscience des limites de cet outil qui n'influence pas mon écriture puisqu'il s'agit d'un simple support, certes plus souple que le papier mais beaucoup plus volatil.
18:55 Publié dans Rencontres avec | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, culture, Cottet-Emard
mercredi, 26 septembre 2007
Ecrire à la main ou à la machine
Ecrire à la main ; écrire à la machine
ou
Ecrire à la plume ; écrire au clavier
J’appartiens à une génération qui aura connu une révolution dans l’écriture - ou, pour le moins, la succession (sans complète substitution) de deux manières d’écrire :
- l’écriture à la main (au crayon, au stylo-plume, au stylo-bille) ;
- l’écriture au clavier, qui n’a pris toute sa dimension qu’avec l’ordinateur et le traitement de texte.
La machine à écrire, vieille déjà de plus d’un siècle, aura été un instrument malcommode et peu propice aux corrections ; si quelques romanciers – dont Simenon – l’ont adoptée, pour la plupart des écrivains elle aura représenté moins un outil de création qu’une étape finale et obligée de « mise au propre » ou de « mise au net » : la version dactylographiée (dont la réalisation était souvent déléguée, confiée à une dactylographe) constituait la copie définitive, destinée à la communication du texte.
La plume et l’ordinateur sont des outils sans commune mesure, et l’un ne remplace pas l’autre. Je ne pourrai jamais me passer de mon stylo. Qu’on ne voie pas dans ces propos du passéisme, un attachement exagéré à une pratique ancienne et une crainte devant la révolution informatique. Le débat n’est pas celui de l’ancien et du moderne. Les deux méthodes ne sont pas antagonistes, j’utilise l’une et l’autre et j’en attends des effets, des résultats différents.
Dans mon travail littéraire je produis deux sortes de textes : des articles critiques sur des livres ou des revues, de brefs billets pour mon blog – que je compose directement et complètement à l’ordinateur ; et par ailleurs, des textes de création (nouvelles, récits, journal, aphorismes…) parmi lesquels je range certains articles plus élaborés ou personnels, comme celui que vous êtes en train de lire. Seuls ceux de cette seconde catégorie sont écrits dans leur « premier jet » à la plume ; puis, un entrecroisement de versions successives au clavier et au stylo me permet de parvenir au texte final. Celui-ci est ainsi le fruit de la combinaison des deux méthodes.
Lorsque j’écris avec un stylo, je n’engage que l’une de mes deux mains, la plus habile et motrice (chez moi, la droite), l’autre restant inutilisée, inutile – et je déroule un fil d’écriture, tout mon être vient porter et se concentrer sur cette minuscule issue : un point d’encre au bout de la plume, un filet d’encre qui va broder lentement la phrase, mais dans une continuité, un enchaînement remarquables. J’écris à la main, la plume et les doigts sont au ras de la page, l’œil n’a pas la vision d’ensemble mais suit le point d’affleurement, le mouvement d’avancée linéaire.
Au contraire, dans le travail à l’ordinateur, au traitement de texte, il y a d’abord, à l’instar du pianiste, le recours aux deux mains (j’ai appris à taper avec tous mes doigts, les pouces pour la barre d’espace), l’influx réparti sur un plus grand nombre d’extrémités manuelles et sur les deux côtés gauche et droit de mon corps. La position du créateur par rapport à son texte est différente : il est plus distant, les mots sont plus lointains et virtuels car ils apparaissent sur un écran (les mains sans contact avec celui-ci), sur une surface verticale et non plus horizontale. On a la double impression de le surplomber ou de l’appréhender dans son bloc, et d’être simultanément en son cœur, dans sa matière. J’ai tendance, à l’ordinateur, à ne pas suivre toujours un ordre logique et linéaire. Profitant des possibilités techniques du logiciel inouïes jusqu’alors (couper, copier, coller, déplacer, insérer, etc.), j’écris dans tous les sens, en désordre, puis je recompose, ajoute, supprime, ajuste – comme je le ferais d’une matière. On malaxe le texte comme une pâte, on le raccourcit, le rallonge, le farcit par le milieu ; on le travaille, on le transforme.
Par ce puissant outil on gagne – outre la commodité d’une technique évitant les refrappes et permettant de jouer avec des blocs rendus mobiles – des surprises de juxtaposition, des ruptures imprévues, des rebondissements, une dynamique du sens : un enrichissement du texte.
On perd ce qu’apportait la progression point à point, mot à mot, ligne à ligne : une maîtrise du rythme, une continuité de sens et de musique, une subtilité des enchaînements, le lien. Car l’écriture à la main garantit la musicalité du texte, cette sorte de grâce propre à la phrase littéraire, composée à la fois d’un rythme et d’une sonorité subtile des mots.
Et lorsque dans le processus de création j’établis des versions successives d’un texte, d’abord à la plume, puis à la machine, puis à la main, puis à la machine, par des reprises alternées, j’essaie de tirer profit des deux méthodes d’écriture pour en éliminer progressivement les scories et me rapprocher d’un objet littéraire qui serait à la fois dense et limpide.
18:10 Publié dans Textes et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture
dimanche, 09 septembre 2007
Revue de détail n° 9
(Ces chroniques sont parues dans La Presse Littéraire n° 10)
CARBONE n° 1 et n° 2
Les éditions Le Mort-Qui-Trompe, parallèlement à leurs ouvrages, publient Carbone, une revue pluridisciplinaire au petit format poche, agréablement mise en pages, et dirigée par Axelle Felgine. Carbone se définit comme une « revue d’histoire potentielle, pour animer le souffle des futurs possibles, pour sonder le réel à la lumière de ses récits ». Espace de réflexion et de création, elle réunit trois fois par an des artistes, des écrivains et des penseurs de tous horizons pour offrir un regard original sur de grandes problématiques contemporaines. Chaque numéro s’ouvre sur un entretien, puis rassemble récits et textes critiques sur un même thème, créant des passerelles entre les genres.
Le numéro 1, consacré au thème de l’Esclave, démarre très fort par une rencontre avec Juan Asensio, le créateur du site « Stalker, Dissection du cadavre de la littérature », que Laurent Schang présente ainsi : « Grand contempteur du cirque médiatico-littéraire devant l’Eternel, Juan étrille ou encense, vitupère ou porte aux nues, éreinte ou étreint. Au risque, assumé, de verser parfois dans l’outrance verbale, lorsque par exemple il s’en prend à la personne plutôt qu’à l’écrivain. Les livres sont sa religion et sa foi a l’ardeur des fanatiques. » Le tenancier de « Stalker» (http://stalker.hautetfort.com), site devenant au fil du temps une impressionnante base de connaissances et de critiques alimentée par Asensio et ses invités, nous entretient, avec sa passion érudite et éclairée, de ses auteurs de prédilection : Bernanos, Bloy, Gadenne, Conrad, Faulkner, Broch, Sabato… et redonne ses lettres de noblesse à la fonction critique : « Un critique est d’abord un filtre, c’est là son office, complétant la mission de vigie que Sainte-Beuve lui avait assignée. »
Le numéro 2 s’organise autour du thème de la fin (fin du monde, fin de civilisation, fin de vie, fin de partie, fin de l’histoire…) et s’ouvre par un entretien avec Jean-Pierre Andrevon, figure phare de la littérature de science-fiction française, mais aussi peintre, dessinateur et compositeur : « Peu importe que l’homme disparaisse, tant que la Terre demeure ». L’auteur de « Le Monde enfin » parle des espèces qui ont disparu, bientôt, sur cette fâcheuse lancée, d’autres disparaîtront. « Pourquoi pas l’Homme ? Nous sommes des animaux comme les autres, accrochés à la branche ultime. Elle est fragile, du fait même de notre propre poids. »
Lucien Suel, Jean-Claude Tardif, Marc Alpozzo, Hélèna de Angelis, entre autres participants, apportent leur concours à cette entreprise prometteuse.
Carbone, 1 chemin de la Pelouse, 54136 Bouxières-aux-Dames. 128 pages, 8 €. www.le-mort-qui-trompe.fr
LE CANARD EN PLASTIC n° 2
Semestrielle, cette « petite revue de littératures et d’images » a belle allure, sous sa couverture pimpante colorée ocre et bleu, et son logo rigolo de canard. Elle s’ouvre en fanfare par l’édito d’Edith (référence involontaire à feue la revue Casse dont l’intro était signée Edith O. ?) Elle met en scène des auteurs reconnus et publiés chez de grands éditeurs (Pierre Autin-Grenier, Jacques Gélat, Georges Picard) et de jeunes auteurs en devenir, « plus verts, ayant peu ou n’ayant jamais rien publié » (Allain Robert, Jean-Michel Binsse, Gustave Shadek, Thomas Leclere). Entre chacune de leurs contributions, on retrouve les élégants dessins de rues de Rozenn Brécard, ce qui donne une unité à l’ensemble. « Rozenn Brécard n’est pas née à Paris en 1972. Elle n’est ni tout à fait gauchère, ni tout à fait droitière. Elle n’est pas non plus tout à fait ambidextre et s’est mise à dessiner pour des raisons pratiques indépendantes de sa volonté. » Toutes les petites notices bio-biblio sont du même tonneau, privilégiant l’humour et le recul. Une revue qui ne se prend pas au sérieux, mais dont le projet éminemment sérieux, solide et à suivre, est ainsi défini sur son site internet : « Sans vouloir faire chapelle : une littérature généreuse et cultivant volontiers le décalage, une littérature un peu drôle, un peu noire, un peu bizarre, paradoxale ou fantastique. »
Le canard en plastic, 91 rue de la Fraternité, 93100 Montreuil-sous-Bois. 128 pages, 12 €. www.lecanardenplastic.net
LE GROGNARD n° 1
Cette nouvelle revue trimestrielle, publiée en partenariat avec le site Georges Palante et Le Grenier des Insoumis, illustre la crise que traverse actuellement la revue papier, que le web concurrence et fragilise sans la remplacer vraiment. Le Grognard (Littérature, Idées, Philosophie, Critique et Débats) est une revue disponible uniquement sur internet, mais sa présentation se veut « à l’ancienne ». Stéphane Beau, instigateur du projet, précise que son optique esthétique louche résolument vers les revues des années 1900 : Le Mercure de France, La Revue Blanche, La Plume, ainsi que vers les revues anarchistes et individualistes qu’ont été L’En Dehors, L’Unique, L’Ordre Naturel, La Mêlée… Dernier né de cette famille, Le Grognard s’adresse aux nostalgiques de ces volumes anciens que l’on coupe au couteau avant de les lire, aux amateurs de culs-de-lampes, de fleurons et de lettres ornées, et à tous les amoureux des vieux papiers, « des pages jaunies et cassantes que l’on manie avec délicatesse et tendresse. Bref, à tous ceux qui, bien que fermement convaincus des merveilleuses opportunités offertes par l’univers internet, continuent à vouer aux livres et au support papier une adulation sans réserves ». La déclaration est séduisante, comme l’aspect sur écran (où le texte s’encadre entre lettrines et vieilles illustrations), mais quand on imprime la revue pour avoir la « version papier », on se retrouve tout bêtement avec sa pile de feuilles de papier blanc A4 80 grammes, bien loin du support ancien, de la typographie sur papier bouffant, du format original, et de tous les charmes de l’objet revue. C’est la contradiction d’un tel projet.
Le contenu est intéressant, mêlant textes actuels (Christine Lartigue, Vincent Dubuc, Thierry Guérin, Olivier Brochiera) et textes oubliés, ainsi un article de Frantz Jourdain paru en 1901 dans La Plume. Ygor Yanka publie dans cette livraison un extrait de son roman inédit Eros cui-cui.
Le Grognard, Gratuit, 32 pages. http://perso.orange.fr/legrognard
15:56 Publié dans Revues littéraires | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Littérature, Culture, Revue
samedi, 01 septembre 2007
0, 34 % de chances au tirage
Dans sa lettre type de refus de manuscrit, l’éditeur belge de théâtre LANSMAN s’appuie sur une réalité statistique. Après avoir annoncé à l’auteur, comme il est d’usage, que son manuscrit n’entre pas dans la ligne éditoriale de la maison, il ajoute :
« Cela ne signifie aucunement que votre pièce est sans intérêt. Simplement, malgré notre potentiel d’édition (45 à 55 livres par an, soit environ 70 pièces), les statistiques prouvent qu’un texte qui arrive dans la boîte aux lettres (postale ou courriel) a 0, 34 % de chances d’être publié chez nous. »
Et l’éditeur conclut, avec une certaine gentillesse : « Donc pas de coup de cafard, pas de renoncement : nous vous souhaitons de trouver rapidement un collègue éditeur qui sera heureux de vous publier. »
11:45 Publié dans Annexes et dépendances, Moeurs éditoriales | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, culture, théâtre, édition
dimanche, 26 août 2007
Les écureuils du parc
Chaque fin de semaine, quand je fais un tour à vélo dans Lyon et sa proche banlieue, je ne manque pas d'aller saluer les écureuils du Parc de la Tête-d'Or. Les vrais, ceux qui traversent furtivement les allées boisées et grimpent comme des flèches dans les hauts arbres, comme ceux qui sont représentés dans l'oeuvre de Guy Putinier, ces figurants immobiles (mais figés sur leur mouvement) de la sculpture "L'arbre aux écureuils".
Guy Putinier a taillé en 2007 un tronc d'érable sycomore en place, pour réaliser cette sculpture au coeur d'un espace de repos garni de jeux d'enfants, près du restaurant du parc.


10:29 Publié dans Annexes et dépendances | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : lyon, ecureuils, sculpture
jeudi, 23 août 2007
Pourquoi la littérature ?
Joseph Vebret m'avait invité en juin 2006 à collaborer, sur son site, à la Tribune du lundi, sur le thème "Pourquoi la littérature ?"
Le lien vers mon texte ayant été rompu, à la suite de multiples remaniements du site de Vebret, je republie sur ce blog mon essai de réponse à cette fichue question.
Pourquoi la littérature ?
Avoir à se poser la question saugrenue « Pourquoi la littérature ? », et tenter d’y apporter quelques éléments de réponse, c’est reconnaître déjà la place centrale, vitale, que l’on a accordée à la littérature dans sa propre vie, d’abord comme décor, comme papier peint de son existence, par amour de la lecture, des livres et des auteurs littéraires – et peut-être, au-delà, quand on a basculé du lire à l’écrire et qu’on en devient un acteur, c’est avouer qu’elle représente un choix bien plus fondamental encore, qui nous oblige et change notre relation au monde et aux autres.
Les choses essentielles, qui nous constituent ou orientent le fil de nos jours, ne relèvent jamais de choix simples et conscients. J’ignore pourquoi la littérature est entrée dans mon existence, ou plutôt pourquoi je suis entré dans ses ordres. Pour moi, qui n’ai jamais éprouvé de réel sentiment religieux (bien que trouvant l’athéisme encore plus inconcevable), la littérature représente, avec l’art (la musique, la peinture, le cinéma…) une porte de passage, une façon de communiquer avec une vie supérieure de l’esprit. Je crois que le ravissement que j’ai éprouvé devant certains livres, certaines poésies, à l’écoute de certaines musiques ou devant quelques tableaux, où le poids de mon corps s’évanouissait, où mon esprit s’ouvrait vers le ciel, ce fragile et fugitif aperçu d’un état de grâce, n’est pas totalement étranger à ces expériences mystiques auxquelles je m’intéressais dans ma jeunesse en lisant Jocob Boehme ou saint Jean de la Croix. C’est dire que la littérature (la lecture comme l’écriture, les deux pentes opposées et montantes d’une même pyramide de la connaissance) n’a jamais été pour moi un divertissement, un passe-temps, une création ludique, une activité qui pourrait être enseignée dans un atelier d’écriture, mais une quête exigeante et individuelle, une recherche du sens, de l’intensité et de l’unité de ma vie.
Cela ne peut se faire que dans la difficulté, tant l’écart est fulgurant entre ce que l’on est et ce que l’on cherche, tant le gouffre parait infranchissable pour nos pauvres limites. Certains de mes auteurs préférés (Joyce, Kafka, Mallarmé…) sont réputés difficiles ; de la même façon, l’écriture est difficile. Je rencontre souvent l’incompréhension d’amis lecteurs ou auteurs lorsque j’affirme que l’acte d’écriture, pour moi, est une souffrance. De grands auteurs l’ont pourtant déjà dit (et même Colette, dont la prose nous parait si belle et si heureuse, repoussait chaque jour l’heure de se mettre à son travail qui était pour elle douleur et corvée…) Même si l’on peut éprouver dans le processus de la création de vrais instants de bonheur, de jouissance et d’exaltation, la reprise et la mise au point d’un texte, ses couches successives – lorsqu’on est épris de perfection, de justesse – deviennent souvent une torture volontaire. Tout le monde peut écrire, certes, parfois avec talent, fantaisie, mais bien peu sont destinés à la littérature – celle qui nomme le monde, sous l’aspect trompeur et flatteur de ses apparences. Et si, selon Simenon, « Ecrire n’est pas une profession mais une vocation pour le malheur », je me demande parfois si l’écriture ne relèverait pas moins de la vocation que de la malédiction.
Que se passe-t-il alors, quand ce choix exclusif – que l’on a fait parce qu’aucun autre n’était concevable, ou qui s’est véritablement imposé – ne se conjugue pas avec un statut d’écrivain, autrement dit, quand on ne parvient pas à faire éditer sa production dans des conditions permettant de « vivre de sa plume » ? Quand cet échec est entretenu et aggravé par une conception presque sacrée de la littérature qui vous interdit de faire la moindre concession au commerce des livres, car ce serait se trahir ? Quand la poursuite de l’écriture tout au long d’une vie vous condamne à la misère ou à la coexistence d’un « second métier », dévorateur de temps et d’énergie ?
Si j’écris depuis l’âge de seize ans, je n’ai jamais pu en vivre, malgré mes efforts et mon désir. J’ai donc exercé des métiers alimentaires, sur lesquels aujourd’hui avec le recul je pose un regard moins amer, car ils m’ont apporté aussi des enrichissements et des rencontres. Mais l’écriture ? Songeant à ces années, à ces décennies que j’ai passées à écrire dans la solitude et l’anonymat, soutenu par quelques amis lecteurs, par quelques publications modestes voire confidentielles en revues, et surtout par un ressort indestructible et inexplicable, une sorte d’immodestie salvatrice qui me faisait croire en la valeur, non de ce que j’écrivais dans l’instant, production décevante, insatisfaisante à mes yeux, mais de ce que je pourrais écrire avec le temps, je crois que j’ai été finalement bien solide pour résister à une épreuve aussi longue, qui s’apparente à un interminable enfermement. Peut-être aussi que cette attente, cet espoir, bien qu’en partie déçus, ont été le moteur de mon existence, me permettant d’arriver jusque-là - et qu’ils m’accompagneront toujours, dans cette sorte de foi par laquelle je suis convaincu que la littérature est le lieu écrit, ou à écrire, de l’essentiel.
18:52 Publié dans Annexes et dépendances | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Littérature, culture


